Comment la Chine combat la pollution de l'air
Un an après "l'airpocalypse" de janvier 2013, francetv info s'est rendu à Pékin. Malgré les mesures annoncées par le gouvernement et un hiver moins embrumé, ONG et chercheurs restent pessimistes.
La France enregistre, vendredi 14 mars, un nouveau pic de pollution auxparticules fines. Le seuil d'alerte maximal aux particules a été dépassé dans plus d'une trentaine de départements couvrant une large partie du Nord et de l'Est du pays. Le niveau de pollution à Paris a même dépassé celui de Pékin, pourtant habituée à ces épisodes. Comment la Chine fait-elle face ? Quelles solutions les autorités mettent-elles en place ?
Il est 17 heures, mercredi 15 janvier, quand la présentatrice de la Radio du peuple de Pékin interrompt son émission sur le trafic routier. Un chauffeur vient de lui envoyer un message : "Guomao est invisible." Les tours du quartier d'affaires de la capitale chinoise ont disparu dans le smog, cet épais brouillard de particules fines.
Dans la nuit, l'indice de la pollution de l'air, mesuré par l'ambassade américaine (en anglais) et le ministère de l'Environnement chinois, dépasse les 500, la valeur-limite de cette échelle, calculée en fonction de différents polluants. La ville est bloquée "au-delà de l'index". En moins de six heures, le ciel bleu a disparu.
Jeudi matin, tôt, le compteur de l'ambassade américaine s'affole. Le taux de particules PM2.5, les plus nocives pour la santé, atteint les 671 µg/m³. C'est presque 27 fois la valeur-limite édictée par l'Organisation mondiale de la santé (PDF, en anglais), 48 fois la valeur enregistrée au même moment à Paris, mais moins qu'à New Dehli (Inde) quelques jours plus tôt (700 µg/m³). Ce premier "airpocalypse" de l'année n'est pas que visuel : il se renifle, se goûte et se touche. Dans la rue flotte une forte odeur de charbon brûlé. Le brouillard pique les yeux et la gorge, noircit le lavabo lorsqu'on se lave les mains.
Coincée dans une cuvette où le vent souffle rarement, loin de la mer, la capitale chinoise peine à évacuer ce jour-là sa production quotidienne de particules fines et celle de la province industrielle qui l'entoure, le très pollué Hebei. Selon une étude menée par Greenpeace (en anglais), la combustion du charbon (industrie et chauffage) est la première source de pollution dans la région, avec 25% des émissions directes de particules PM2.5. Toujours selon l'ONG, les 5 millions de voitures de la ville se classent deuxième.
"Les autorités chinoises ne peuvent plus mentir"
S'il rappelle de mauvais souvenirs aux Pékinois, cet épisode de pollution n'a pourtant rien à voir avec celui de l'an dernier. En janvier 2013, la capitale chinoise avait connu plusieurs semaines de smog, avec un pic à 993 µg/m³ de PM2.5 le 11 janvier, rapporte le China Daily (en anglais). "Si on se sent un peu mieux cette année, c'est parce que le gouvernement a mis en place une série de mesures, et parce que le climat est moins favorable à la pollution cet hiver", explique Yu Jianhua, directeur du département de la qualité de l'air au bureau de l'environnement de Pékin.
De fait, les autorités chinoises ont pris le problème à bras le corps ces dernières années. D'abord en publiant, depuis le 1er janvier 2013, les mesures de qualité de l'air de plus de 190 villes. Cet effort de transparence, que peu de pays en développement se donnent la peine de faire, est loin d'être anecdotique. En 2012, un officiel du ministère de l'Environnement avait vertement critiqué l'ambassade américaine, alors seule source de mesure du taux de particules PM2.5 à Pékin. "Désormais, c'est tout sauf un sujet tabou. Là-dessus, les autorités chinoises ne peuvent plus mentir", se félicite-t-on du côté de l'ambassade de France.
Un plan quinquennal ambitieux "pour l'air propre"
Et puis, sous la pression des Chinois, pour qui la pollution de l'air est devenue en 2013 le quatrième sujet de préoccupation, selon une étude, le gouvernement s'est ensuite attaqué aux deux principales sources de pollution de l'air : le charbon et la voiture. En septembre, un plan quinquennal "pour l'air propre" a été adopté. Il prévoit de diminuer la concentration de particules PM2.5 de 25% dans la région capitale (Pékin-Tianjin-Hebei), de 20% dans le delta du Yangzi (Shanghai), et de 15% à l'embouchure de la rivière des Perles (Canton et Hong Kong).
Pour ce faire, le pays, accroc au charbon, doit en ramener en 2017 sa consommation à 65% de son mix énergétique (contre 67% en 2012), et bannir de ses routes les véhicules les plus polluants.
"Ce plan n'est pas assez courageux"
Bonne élève, la capitale chinoise n'a pas attendu le plan gouvernemental. "Dans le centre-ville de Pékin, nous avons aidé 44 000 foyers à passer du charbon à l'électricité pour leur chauffage, et nous avons exclu 288 usines polluantes de la ville", explique Yu Jianhua. Et la municipalité vient d'adopter un nouveau paquet de mesures fin janvier 2014, visant à retirer 180 000 véhicules anciens des routes, et à interdire la construction de nouvelles usines polluantes.
Pourtant, les ONG écologistes ne partagent pas l'optimisme du gouvernement. "L'amélioration de la qualité de l'air cette année est d'abord due au climat [un hiver plus venteux et moins froid qu'en 2013]. Il est encore trop tôt pour que les mesures gouvernementales aient déjà produit leurs effets", analyse Zhang Boju, secrétaire général de Ziran Zhiyou (Les Amis de la nature), l'une des plus anciennes ONG environnementales chinoises. "Ce plan n'est pas assez courageux. Il ne couvre pas les régions intérieures comme Xian, Chengdu ou Lanzhou", regrette Huang Wei, responsable des campagnes énergie et climat chez Greenpeace.
Les failles du système
Surtout, ces deux organisations, qui luttent quotidiennement pour faire bouger les choses, connaissent les failles du modèle de développement chinois, où la croissance et les entreprises règnent en maître. "Les règlements sont stricts, mais le problème, c'est de contrôler leur application. Beaucoup d'entreprises ne les respectent pas", rappelle Huang Wei. Et de décrire comment les cadres locaux des provinces pauvres promettent "une certaine tolérance quant au respect des normes environnementales" aux industries qui s'installent sur leurs terres.
Sur l'échiquier politique chinois, les bureaux de l'environnement locaux et le ministère ne pèsent en effet pas bien lourds face aux potentats locaux et aux grands groupes. Résultat, une usine peut continuer de fonctionner malgré l'interdiction du bureau de l'environnement. Elle aurait tort de s'en priver: selon Greenpeace, le montant des amendes est de toute façon plus faible que les bénéfices récoltés.
"Des mesures trop simplistes et autoritaires"
Zhang Boju fait le même constat : les progrès du gouvernement en la matière s'arrêtent là où commencent "les vrais intérêts". "Parfois, le gouvernement est d'accord avec nous pour dire qu'il faut diminuer la pollution. Mais lorsqu'on lui explique qu'il faut fermer telle usine, que l'on touche au PIB, là, il refuse", résume l'environnementaliste.
Professeur d'économie à l'université de Pékin et coauteur d'une étude référence (en anglais) sur la pollution de l'air, Chen Yuyu trouve, lui, que "les mesures prises par le gouvernement sont trop simplistes et autoritaires". Les autorités ne prennent pas le problème par le bon bout, estime-t-il, à savoir la structure de l'économie chinoise. Il regrette que la Chine ait accepté d'accueillir les industries les plus polluantes, comme l'acier, sans élever ses normes environnementales, pour garder des coûts de production compétitifs.
"Le monde ne sera pas épargné"
A l'intérieur du pays, la même mécanique est à l'œuvre. Le Hebei accueille les industries polluantes dont Pékin ne veut plus. L'économiste observe que ce choix de délocaliser la pollution n'est pas forcément judicieux pour les villes chinoises les plus riches et les pays étrangers. Selon ses calculs, l'industrie du Hebei est la première source de PM2.5 dans la capitale chinoise (40%).
La pollution traverse même l'océan Pacifique. Mardi 21 janvier, une étude sino-américaine relayée par CNN (en anglais) a révélé que 12 à 24% des concentrations de sulfate sur la côte ouest des Etats-Unis étaient "made in China"."Si le monde n'aide pas la Chine, il ne sera pas épargné. Un peu comme Pékin qui n'est pas épargné par la pollution du Hebei", prévient l'économiste.
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