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Crise des Rohingyas: "Aung San Suu Kyi est obligée de composer avec l'armée, au risque qu'elle reprenne le pouvoir"

L'ethnologue Alexandra de Mersan a expliqué, mercredi sur franceinfo, que la dirigeante birmane devait aussi composer avec la situation politique de son pays alors que l'annulation de son déplacement aux Nations unies, pour évoquer le sort de la minorité musulmane des Rohingyas, est sous le feu des critiques.

Article rédigé par franceinfo
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  (AUNG KYAW HTET / AFP)

La dirigeante birmane Aung San Suu Kyi est sous le feu des critiques de la communauté internationale pour son silence sur le sort de la minorité musulmane des Rohingyas, qui fuient à nouveau en masse la Birmanie. L'ancienne dissidente et prix Nobel de la paix a annulé, mercredi 13 septembre, un déplacement à l'assemblée générale des Nations unies sur ce sujet. Le porte-parole du gouvernement birman a annoncé un peu plus tard que la dirigeante birmane allait finalement s'adresser le 19 septembre prochain à la nation.

Pour Alexandra de Mersan, ethnologue et maître de conférence à l'Institut national des langues et civilisations orientales : "Aung San Suu Kyi est obligée de composer avec les forces de l'armée au risque que l'armée reprenne le pouvoir". Selon cette spécialiste, la "marge de manœuvre est étroite", pour la dirigeante birmane.

franceinfo : Comment faut-il comprendre le fait qu'Aung San Suu Kyi annule son déplacement à l'assemblée générale des Nations unies ?

Alexandra de Mersan : On ne mesure pas du tout la marge de manœuvre dont elle dispose effectivement, du point de vue légal et constitutionnel en Birmanie. Elle a été portée au pouvoir en 2015 démocratiquement, mais la Constitution, qui a été établie par les militaires, procure encore un grand nombre de prérogatives aux militaires. Ils ont différents ministères à leur charge - la Défense, la gestion des affaires intérieures et frontalières. Ils ont une totale autonomie. Aung San Suu Kyi est donc obligée de composer avec les forces de l'armée au risque que l'armée reprenne le pouvoir. Aujourd'hui, la Birmanie a un gouvernement à deux têtes et la marge de manœuvre d'Aung San Suu Kyi est étroite. Elle ne peut pas se mettre à dos l'armée.

Comment expliquer l'attitude d'Aung San Suu Kyi envers cette minorité dont elle semble se désintéresser, voire nier ce qu'ils vivent ?

Elle ne s'en désintéresse absolument pas. Elle avait, elle-même, mis en place la commission Kofi Annan, il y a un an, s'attirant d'ailleurs un certain nombre de critiques très virulentes dans le pays. Elle a mis en place cette commission internationale, non pas pour essayer de trouver une solution dans l'urgence, mais pour faire une espèce d'état des lieux de la situation dans cette région et apporter des recommandations pour améliorer le sort de toutes les populations d'Arakan [autre nom de l'Etat birman du Rakhine]. Ce rapport signale d'ailleurs que toutes les populations en Arakan vivent des situations difficiles, mais que les populations musulmanes connaissent des situations bien pires encore.

Quel objectif a son discours ?

Elle n'a eu de cesse de répéter, ces derniers temps, que son gouvernement maîtrisait la situation en Arakan, qu'il allait tenir compte et appliquer dans la mesure du possible les recommandations de la commission Kofi Annan. Elle ne fait pas rien. Mais d'un point de vue extérieur, ce n'est effectivement pas du tout entendu, ni vu. Se joue actuellement en Birmanie un risque que l'armée reprenne le pouvoir.

Quel est l'avenir de la communauté Rohingyas dans ces conditions ?

Leur situation est inquiétante. Il y a eu de nombreuses recommandations de la commission Kofi Annan, notamment de modifier la loi sur la citoyenneté, mais aussi de développer cette région du pays qui est particulièrement sous-développée et pauvre. Il faut aussi tenir compte des populations locales et de leurs aspirations à avoir davantage - qu'elles soient bouddhistes ou musulmanes d'ailleurs - de droits et d'autonomie dans la gestion de leur région. La Birmanie a une demande criante de fédéralisme, pour que les populations, dans les régions périphériques du pays, puissent davantage contrôler et décider de leur devenir. C'est quelque chose que l'armée a du mal à entendre. Elle n'est pas du tout favorable à un fédéralisme, contrairement à la position d'Aung San Suu Kyi et de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie.

"Elle ne fait pas rien. Mais d'un point de vue extérieur, ce n'est effectivement pas du tout entendu, ni vu", Alexandra de Mersan

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