Corée du Nord : mythes et réalités du dernier pays stalinien de la planète
Enlèvements d'étrangers, coupes de cheveux officielles ou passion pour le fromage suisse… La Corée du Nord fascine les médias occidentaux, qui n'hésitent pas à relayer les rumeurs les plus folles à son propos. Franceinfo démêle le vrai du faux.
Une dictature "opaque" et "peu connue", la montée en puissance d'internet… Pour Antoine Bondaz, chercheur à la fondation pour la recherche stratégique (FRS) et coauteur de Corée du Nord, plongée au cœur d'un Etat totalitaire (éd. du Chêne, 2016), le régime de Pyongyang réunit tous les ingrédients pour la diffusion massive d'informations douteuses, voire de "fake news".
Enlèvements d'étrangers, coupes de cheveux officielles, passion pour le fromage suisse... Alors que l'on redoute une escalade militaire entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, franceinfo fait le tri entre les mythes et les réalités largement relayés sur le dernier régime stalinien de la planète.
Des étrangers sont enlevés par le régime pour devenir espions
L'histoire. Depuis des années, le régime de Pyongyang est accusé de kidnapper des étrangers pour en faire des espions. "Ils étaient là, dans le train-train de leur existence et, soudain, ils ont été assommés, puis enfouis dans un grand sac noir. Certains étaient assis sur la plage, en amoureux. D'autres ont été drogués. Ils se sont réveillés, ligotés dans ces sacs de lin, dans les cales des bateaux nord-coréens", rapporte Le Figaro dans un récit sur les "captives étrangères de la Corée du Nord" dans les années 1970.
La réalité. L'histoire remonte à plus de soixante ans. Après la guerre qui oppose les deux Corées (1950-1953), les prisonniers sud-coréens ne sont pas rendus à leur pays. S'ensuit une longue série d'"enlèvements systématiques, [de] refus de rapatriement et [de] disparition forcée de personnes", dénoncée par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU dans un rapport en 2014, puis dans une résolution en 2015.
Selon l'organisation, plus de 200 000 étrangers ont été enlevés par le régime nord-coréen depuis les années 1950, particulièrement dans les années 1970 et 1980. Si les victimes sont en majorité des Sud-Coréens, des Japonais et des Chinois, au moins douze pays sont concernés, y compris la France. L'objectif ? "Les étrangers devaient former les potentiels espions des services de renseignements nord-coréens à la langue et aux modes de vie de leur pays", explique à franceinfo Antoine Bondaz.
La question "a causé un immense problème dans la relation bilatérale entre la Corée du Nord et le Japon", rappelle le chercheur. En 2002, lors d'un sommet à Pyongyang entre l'ancien dirigeant nord-coréen Kim Jong-il et le Premier ministre japonais de l'époque, Junichiro Koizumi, le leader nord-coréen reconnaît officiellement onze enlèvements de citoyens japonais. Et organise le retour au pays de cinq d'entre eux. Elle reconnaît aujourd'hui le rapt de dix-sept Japonais, mais nie toujours être impliquée dans la disparition d'autres étrangers.
Certaines coiffures sont interdites
L'histoire. Les Nord-Coréens doivent-ils tous adopter la coupe de Kim Jong-un ? En 2014, l'information circule sur de nombreux médias occidentaux. Selon de nouvelles règles introduites "à Pyongyang, qui s'étendent au pays tout entier", précise Radio Free Asia, citée par The Korea Times (en anglais), les jeunes hommes doivent avoir les cheveux rasés sur les côtés et longs sur le haut du crâne.
La réalité. Cette histoire est un peu plus complexe, tempère Antoine Bondaz. "L'idée qu'il y a des coiffures officielles est complètement fausse. Les affiches de coupes de cheveux qu'on a vues en photo à l'époque ressemblent à ce qu'on pouvait voir en France dans les années 1950. Ce sont des exemples."
Pour autant, "il existe des coupes de cheveux considérées comme 'interdites', précise-t-il. Ce n'est pas écrit dans la loi, simplement le régime attend que vous ayez une coupe propre, avec des cheveux courts. Cela fait partie de sa culture hygiéniste : vous ne verrez pas de cheveux longs ou de teintures blondes ou bleues en Corée du Nord, parce que dans les rares films et médias il n'y en a pas, donc les Coréens ne le font pas."
Les prisonniers subissent les pires tortures
L'histoire. Dents arrachées, sévices psychologiques... Les témoignages dénonçant les tortures dans les prisons nord-coréennes sont légion. Une réputation entretenue jusque dans de nombreux films ou séries américaines, qui font souvent de ces geôles les plus dures au monde.
La réalité. "La torture dans les camps de travail est une réalité", tranche Antoine Bondaz. Créés à la fin des années 1950 sur le modèle soviétique pour y enfermer les ennemis du régime communiste, ces camps de travail servent aujourd'hui à emprisonner et réduire en esclavage les opposants politiques ou les citoyens ayant cherché à fuir le pays, rappelle l'ONG Human Rights Watch dans son rapport mondial 2017. "Des centaines de milliers de prisonniers politiques ont péri dans des camps pendant les cinquante dernières années", estimait un rapport du Conseil des droits de l'homme des Nations unies en 2014. De "80 000 à 120 000 prisonniers politiques sont actuellement détenus" dans quatre camps, selon l'organisation internationale.
Travail jusqu'à l'épuisement, avortements forcés et famine : d'anciens prisonniers et tortionnaires ont raconté l'intérieur des camps, comme dans cette vidéo de l'ONG Amnesty International, mise en ligne en 2014.
Il n'y a que 28 sites internet nord-coréens
L'histoire. En septembre 2016, une erreur de configuration des serveurs nord-coréens rend momentanément disponible la liste des sites internet enregistrés en .kp, l'extension de nom de domaine réservée au pays. Matthew Bryant, un ingénieur britannique, s'en saisit et la diffuse sur le réseau GitHub. Surprise : celle-ci ne contient que 28 adresses.
La réalité. "Cela ne veut pas dire que la liste est exhaustive et qu'il n'existe pas d'autres sites nord-coréens" avec une autre extension de nom de domaine, rappelle Antoine Bondaz. Surtout, le chercheur souligne que "très peu de Nord-Coréens ont accès à internet. Il n'y a donc pas d'intérêt à créer des sites, sauf à des fins de propagande internationale, pour les étrangers qui s'intéresseraient à la Corée du Nord."
L'objectif du pouvoir nord-coréen est d’empêcher ses citoyens d’accéder à internet. L’absence d’accès est plus efficace qu’un accès limité, comme en Chine, qui trouve toujours moyen de contourner les pare-feu installés.
Antoine Bondaz, chercheurà franceinfo
Les Nord-Coréens disposent en revanche d'un intranet appelé kwangmyong, auquel les plus aisés accèdent la plupart du temps grâce à un smartphone – au moins deux millions seraient en circulation dans le pays, selon des chercheurs de l'université américaine Johns Hopkins.
Cet intranet, dont l'aspect imite celui de l'internet mondial, est "entièrement contrôlé par le régime", précise Antoine Bondaz. Selon lui, on y trouve quelques applications et un moteur de recherche conçu par Pyongyang. Mais en tant qu’utilisateur, "impossible d’ajouter des contenus". S'il est difficile de savoir quel est le volume des contenus disponibles, le chercheur affirme qu'"il s’agit bien plus que de 28 sites".
L'oncle de Kim Jong-un a été donné à manger aux chiens
L'histoire. Début janvier 2013, plusieurs rédactions s'emballent autour de la mort, un mois auparavant, de l'oncle et mentor du dictateur coréen, Jang Song-thaek. Reprenant une information parue sur le site du tabloïd hongkongais Wen Wei Po, elles affirment que l'homme aurait été dévoré vivant par 120 chiens affamés, sur ordre de Kim Jong-un.
La réalité. Si l'oncle est bien mort après sa condamnation pour "trahison", c'est vraisemblablement en raison d'une exécution par balle et non d'un meurtre digne de la fin de Ramsay Bolton dans Game of Thrones, révèle quelques heures plus tard le Washington Post (en anglais). La rumeur viendrait de la blague d'un humoriste lancée sur Weibo, le Twitter chinois, comme le souligne Arrêt sur images.
Le leader nord-coréen est régulièrement accusé d'exécuter l'un de ses proches dans des conditions extravagantes et cruelles. En mai 2015, le vice-directeur des services de renseignement sud-coréens (NIS), Han Ki-beom, avait ainsi annoncé que le ministre de la Défense, Hyon Yong-chol, avait été exécuté au canon antiaérien pour s’être assoupi durant un défilé officiel. Avant de rétropédaler quelques jours plus tard, incapable de confirmer la mort de l'homme politique.
Une armée de hackers s'est attaquée à Hollywood
L'histoire. En 2014, les studios américains de Sony sont victimes d'un piratage informatique massif. Les données personnelles des 47 000 employés sont révélées ainsi que les salaires de certaines stars ou le scénario du nouveau James Bond. Le FBI assure que Pyongyang a piloté cette cyberattaque. Trois ans plus tard, la Banque centrale du Bangladesh est aussi victime d'une attaque en ligne. De nouveau, les regards se tournent vers la Corée du Nord.
La réalité. Antoine Bondaz confirme que la Corée du Nord emploie bien, au sein de son armée, des "soldats assignés au développement des cyber-capacités". Un investissement intégré à une stratégie plus large. Pour faire face au "rapport de forces déséquilibré avec l'alliance américano-sud-coréenne", la Corée du Nord développe, en effet, des "capacités asymétriques", explique le chercheur.
La Corée du Nord ne cherche pas à construire autant de sous-marins ou d'avions que les Etats-Unis mais développe d'autres compétences, comme le nucléaire ou les cyber-capacités.
Antoine Bondaz, chercheurà franceinfo
Si elle investit massivement dans le secteur – le chercheur Benoît Hardy-Chartrand évoque dans Libération des "centaines de hackers" employés par le gouvernement –, "dire que le pays aurait des capacités en termes de piratage équivalentes à celles de la Chine, des Etats-Unis ou de la Russie est complètement faux", précise Antoine Bondaz.
Kim Jong-un veut produire de l'emmental en Corée du Nord
L'histoire. Le dictateur nord-coréen a passé une partie de son enfance dans un pensionnat suisse, d'où il semble avoir gardé un goût pour l'emmental. En avril 2014, La lettre A (article payant) révèle que Kim Jong-un a requis les services de l’Ecole nationale de l’industrie laitière, dont le siège est à Besançon (Doubs), afin de former trois membres de son personnel aux techniques de fabrication du célèbre fromage.
La réalité. L'histoire est confirmée par le quotidien britannique The Independent (en anglais), qui contacte la directrice de l'établissement. "C’est vrai que nous avons été contactés par l’ambassadeur nord-coréen à Paris. Il voulait que nous formions les Nord-Coréens, mais, malheureusement, nous n’avons pas les capacités de l’aider. Nous sommes une petite mais très bonne école, avec des places limitées. Nous ne pouvons pas accueillir les Nord-Coréens", déclare-t-elle au journal.
En 2011, l'ONU estimait (en anglais) que "six millions de personnes [avaient] besoin d'aide alimentaire" en Corée du Nord.
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