Crash en Ukraine : cinq questions sur le survol des zones de conflit
Pourquoi le Boeing de Malaysia Airlines qui s'est écrasé jeudi survolait l'Est ukrainien, territoire en proie à un conflit entre Ukrainiens et séparatistes pro-russes. Francetv info répond à plusieurs interrogations sur cette situation.
Le Boeing 777 de Malaysia Airlines qui assurait la liaison entre Amsterdam (Pays-Bas) et Kuala Lumpur (Malaisie) aurait été abattu, jeudi 17 juillet, par un missile sol-air, selon les experts américains. Le vol MH17, qui transportait 298 personnes, s'est écrasé dans l'Est de l'Ukraine, une région en proie à un violent conflit entre le pouvoir de Kiev et les séparatistes pro-russes.
Certaines compagnies, dont Air France, évitaient cette zone depuis plusieurs semaines. Francetv info fait le point.
Pourquoi l'appareil a-t-il emprunté ce chemin ?
"C'était tout à fait normal qu'il passe par ce couloir aérien. C'est le chemin classique pour rejoindre l'Asie depuis l'ouest de l'Europe", explique François Collet, créateur du cabinet de conseil Collet, spécialisé dans l'économie du transport aérien, contacté par francetv info. L'expert affirme qu'aucune interdiction de survol du territoire ukrainien n'avait été prise avant le crash, sinon le vol MH17 de Malaysia Airlines n'aurait pas pu faire valider un plan de vol traversant cette zone.
"Personne ne pouvait prévoir une telle situation", continue François Collet. La crise ukrainienne, malgré la montée des tensions entre Kiev et Moscou, prenait davantage les traits d'une guerre civile que celle d'un affrontement militaire avec un front aérien. "La nuance est importante, car on imagine mal des insurgés, si bien organisés soient-ils, disposer des matériels nécessaires pour abattre un avion volant à 10 000 mètres d'altitude, comme le MH17 de Malaysia Airlines", explique le journaliste Gilles Bridier à Slate.
"Quand vous volez à 30 000 pieds [9 100 mètres], c'est vraiment très haut dans le ciel", affirme Dan Milmo, un journaliste du Guardian (lien en anglais). "Il n'existe que peu de systèmes de missiles qui peuvent être assez précis" pour atteindre l'avion. Seuls des missiles sol-air sophistiqués peuvent toucher un appareil à une telle altitude.
"L'Ukraine a considéré que les séparatistes n'étaient pas un danger [pour ce genre d'avions], estime Gérard Feldzer, expert en aéronautique, également contacté par francetv info. Ou alors, Kiev ne voulait pas avouer que son armée s'est fait dérober des missiles."
Pourquoi ne pas avoir tout de même fait un détour ?
Deux principaux éléments rentrent en compte dans le tracé des plans de vol : la longueur du trajet, et les autorisations accordées par divers organismes à la compagnie. Aucune interdiction ne contraignait Malaysia Airlines à changer la trajectoire de ces appareils. Elle continuait donc à emprunter ce couloir "qui est le plus court", selon François Collet.
Le but est, bien sûr, d'économiser du carburant et de ne pas rallonger le voyage. Selon les informations du New York Times, les zones aériennes au dessus de la Crimée avaient été fermées par Eurocontrol, l'organisation intergouvernementale européenne chargée de la sécurité de la navigation aérienne, et son pendant américain la Federal Aviation Administration. Ces restrictions rallongeaient le trajet des avions, les obligeant à une déviation.
Qui donne les autorisations ?
Premier principe essentiel : les États sont souverains de leurs espaces aériens. Il existe donc des accords entre les nations pour mettre en place les vols. "S'il le décide, un État peut fermer une partie ou la totalité de son espace aérien d'un moment à l'autre", explique François Collet. D'après les informations du New York Times, la Russie aurait fermé quelques heures avant le crash quatre de ses couloirs aériens proches de la frontière ukrainienne. Kiev n'avait pas fermé son espace aérien à ce moment. Il était donc navigable.
Vient ensuite Eurocontrol, l'organisation intergouvernementale européenne chargée de la sécurité de la navigation aérienne, qui a la possibilité de refuser des plans de vol. Autre instance importante : l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). "Presque tous les Etats du monde en sont membres. Cet organisme multilatéral produit, entre autres choses, des avis sur les couloirs à emprunter ou non". C'est ensuite aux États d'interdire à leurs compagnies d'emprunter les espaces aériens dangereux. Interrogé sur la question, le Premier ministre malaisien a affirmé que la route avait été déclarée "sûre" par l'OACI.
Pourquoi certaines compagnies aériennes évitaient-elles déjà l'Est ukrainien ?
Dès le mois de mars, certaines compagnies ont choisi de dévier les trajectoires de leurs lignes civiles pour éviter de passer au-dessus de l'Ukraine. C'est le cas des deux principales compagnies sud-coréennes, Korean Air et Asiana, ou de la taïwanaise China Airlines. "Nous avons cessé de voler au-dessus de l'Ukraine pour des raisons de sécurité", a déclaré le porte-parole d'Asiana.
Du côté des compagnies européennes, Air France et British Airways évitaient également la zone ukrainienne, selon les informations du New York Times. Ce n'était pas le cas de KLM et Lufthansa, qui empruntaient le couloir. "Ces décisions sont de l'ordre du choix des compagnies, qui ont elles-mêmes tracé les trajets de leurs appareils", décrypte François Collet.
Depuis le crash, de très nombreuses compagnies asiatiques ont déclaré qu'elles n'emprunteraient plus ce passage. C'est notamment le cas de Thai Airways, Vietnam Airlines et des compagnies chinoises Air China et China Eastern. Eurocontrol, le gestionnaire de l'espace aérien européen, a, de toute façon, annoncé qu'il rejetterait désormais "tous les plans de vol comportant les routes" aériennes survolant l'est de l'Ukraine. Et Kiev interdit cette zone du "niveau du sol jusqu'à un niveau illimité".
Sur le site Flightradar24.com, qui répertorie en direct les trajectoires des vols, on peut observer une affluence particulière dans les couloirs au sud de l'Ukraine, au-dessus de la Turquie, et dans l'ouest de la Russie, le long de la frontière russe.
Quelles zones ne peut-on pas survoler ?
Un certain nombre de zones sont fermées à la navigation parce qu'elles sont jugées dangereuses. C'est le cas de la Syrie et d'une partie de l'Irak. D'autres zones de conflits sont tout de même pratiquées, car on estime que les affrontements ont lieu au sol, et que les belligérants n'ont pas les moyens techniques d'attaquer des avions de ligne. "C'était par exemple le cas lors de certains conflits africains. On savait très bien que les forces au sol n'étaient pas équipées de missiles à longue portée, explique Gérard Feldzer. De même pour l'Afghanistan, qui continue d'être survolé. Pour l'Ukraine, on pensait la même chose. On s'est trompé."
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