L'article à lire pour comprendre la bataille autour de la "ferme des mille vaches"
Le procès de neuf militants accusés de dégradations sur cet élevage intensif se tient, mardi, devant le tribunal correctionnel d'Amiens.
Ils veulent en faire "le procès de l'industrialisation de l'agriculture". Neuf militants de la Confédération paysanne sont jugés, mardi 28 octobre, devant le tribunal correctionnel d'Amiens (Somme). Ils sont accusés d'avoir commis des dégradations sur la "ferme des mille vaches", en septembre 2013 et en mai dernier. A l'extérieur du palais de justice, quelques milliers de personnes sont attendus pour les soutenir et dénoncer l'agriculture industrielle. Francetv info vous raconte cette saga entamée il y a trois ans.
1La "ferme des mille vaches", c'est quoi ?
C'est le projet agricole le plus contesté de France. Située sur les territoires des communes de Buigny-Saint-Maclou et de Drucat-le-Plessiel (Somme), la ferme dite "des mille vaches" est née de l'imagination de Michel Ramery, un riche industriel du BTP issu du monde agricole, dont Libération a fait le portrait. Le concept a deux facettes : élever un millier de vaches laitières (et leurs 750 veaux et génisses), et produire de l'électricité à partir du gaz libéré par le lisier et le fumier des animaux (on parle de méthanisation). La demande d'ouverture de cette ferme géante a été déposée le 23 février 2011.
2Pourquoi un tel projet ?
Réunissant au moins six exploitants agricoles, le projet présente deux avantages pour ses concepteurs. Par le jeu des économies d'échelle, la taille de la "plus grande ferme de France" (les troupeaux actuels ne dépassent pas 350 têtes) permet d'abaisser les coûts de production, et de proposer un lait à 27 centimes le litre, contre 35 en moyenne ailleurs, selon La Voix du Nord.
Le recours à la méthanisation permet, de plus, "d'assurer un complément de revenus à des petits paysans perpétuellement menacés de disparition", indique le site spécialisé Reporterre. Ce dernier note que "l'électricité obtenue à partir du méthane est fortement subventionnée", avec un prix de rachat par EDF "aujourd'hui supérieur de deux fois à celui du marché". "L'avantage de la méthanisation est de réduire la quantité de CO2 émise par la décomposition des déchets animaux et de fournir une énergie renouvelable", ajoute 20 Minutes.
3Pourquoi le projet dérange-t-il ?
Les opposants aux "mille vaches" voient, dans ce projet, un symbole de l'industrialisation de l'agriculture, qui mettrait en péril les petites exploitations, notamment en tirant le prix du lait vers le bas. "Que veulent les citoyens, les paysans, les élus ? Des fermes ou des usines ? Doit-on 'fabriquer' l'alimentation comme on multiplie les pièces de voiture ? Non, non et non", s'insurge le porte-parole de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel, qui fait partie des neuf militants convoqués mardi.
Le projet inquiète aussi quant au sort des animaux, qui seront traits trois fois par jour. "Les vaches ne mangeront jamais d'herbe, elles n'iront jamais en pâture, souligne un habitant, Claude Dubois, vice-président de l'association d'opposants Novissen, sur BFMTV. C'est une prison, ce n'est pas autre chose." Enfin, la méthanisation génère des résidus qui doivent être épandus sur une grande surface, avec des risques de pollution.
4Qu'en pensent les riverains ?
Une enquête publique a été lancée en août 2011 afin de recueillir les avis de la population des communes concernées. Une pétition contre le projet a rapidement vu le jour, suivie par une réunion publique houleuse, en septembre 2011, à Drucat-le-Plessiel. Les motifs d'inquiétude étaient vastes, allant du plan d'épandage à la méthanisation, en passant par l'augmentation du trafic routier, note France 3 Picardie. Malgré la forte opposition des habitants, l'enquête s'est terminée sur un avis favorable du commissaire enquêteur, en novembre 2011.
Dans la foulée, des habitants ont créé l'association d'opposition Nos villages se soucient de leur environnement (Novissen), qui a enregistré sa millième adhésion au bout de deux mois. Inquiet des potentiels rejets du méthaniseur, le maire de Drucat s'est joint à la fronde, et son conseil municipal a voté contre le projet. En revanche, le maire de Buigny-Saint-Maclou, qui a dessiné les plans de l'élevage, a réussi à obtenir un vote en faveur du projet à une voix de majorité.
5Et que disent les autorités ?
La "ferme des mille vaches" embarrasse le gouvernement. Tout en soutenant les projets de méthanisation dans le cadre de la transition énergétique, la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, a affirmé, en septembre, que cette exploitation n'était "pas notre modèle économique, ni notre modèle écologique". Même propos du ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, qui a jugé le projet "contraire" à l'orientation du gouvernement, sans toutefois remettre en cause sa légalité.
Sur le terrain, après avoir reçu un feu vert du conseil départemental de l’environnement de la Somme et après de nombreux atermoiements, les propriétaires de la "ferme des mille vaches" ont obtenu une autorisation préfectorale d'exploitation, le 1er février 2013, avec obligation de s'en tenir à 500 vaches laitières (et non 1 000), pour un total de 800 bovins (et non 1 750). Le permis de construire a finalement été délivré en mars 2013.
6Où en est le projet ?
La construction de la "ferme des mille vaches" a été marquée par de nombreuses actions d'opposants, dont deux qui valent à neuf militants de la Confédération paysanne d'être convoqués devant les juges, mardi. Le 12 septembre 2013, des membres du syndicat paysan se sont introduits sur le site, et ont bloqué des machines. Le 28 mai dernier, ils ont démonté une partie des installations.
Après un an et demi de travaux, de blocages et de manifestations, les 133 premières vaches sont arrivées dans leur nouvelle exploitation, dans la nuit du 12 au 13 septembre, escortées par les forces de l'ordre. Toutes viennent d'élevages de la région, pilotés par les associés du projet. "La première vache est entrée toute seule sur le manège de traite, sans aucun stress, a confié le directeur de la ferme, Michel Welter, à La Voix du Nord. J'en ai pleuré, après tout ce travail et toutes ces histoires." Le 15 septembre, en pleine nuit et sous surveillance policière, les premiers litres de lait ont pu sortir de l'exploitation. Le nombre de vaches sur place serait depuis passé à 450, selon France 3 Picardie. Les employés sont, eux, une douzaine.
7Le lait des "mille vaches" est-il dans mon supermarché ?
Difficile de savoir ce qu'est devenu le lait issu des premières traites. En suivant un camion venu collecter les premiers litres, une équipe du site Reporterre est arrivée dans un centre de collecte de Senagral, spécialisé dans les marques distributeurs et filiale du groupe Senoble. Face aux risques de boycott, Senoble s'est séparé de cette filiale, le 21 octobre, rapporte Ouest France.
8Le projet peut-il encore capoter ?
Malgré l'avancée du projet et l'échec des recours en justice, la contestation se poursuit. Un nouveau référé-suspension a été déposé en septembre. Les militants peuvent déjà s'enorgueillir d'avoir limité les ambitions de Michel Ramery, en divisant par deux le nombre de vaches sur le site et la puissance autorisée du méthaniseur (qui passe de 1,4 à 0,6 mégawatt-heure, avant même sa mise en service en 2015). "C'est déjà une belle victoire", estime Claude Dubois, même si les propriétaires peuvent toujours déposer un nouveau dossier d'extension.
La journée de mobilisation de mardi doit marquer un temps fort pour le mouvement. La Confédération paysanne veut faire de son passage devant la justice une tribune politique. "Il faut lancer un grand débat, espère son porte-parole, Laurent Pinatel. Nous souhaitons démontrer qu'on n'a pas besoin de mille vaches pour être un agriculteur heureux."
9J'ai eu la flemme de tout lire. Vous me faites un résumé ?
Après trois ans de procédures, de travaux et de manifestations, la "ferme des mille vaches" a accueilli ses premiers bovins, en septembre, en toute discrétion. D'une taille inédite, qui embarrasse le gouvernement, cette "ferme-usine" doit permettre de produire du lait à moindre coût et de récolter des revenus annexes grâce à un méthaniseur.
Toujours nombreux à dénoncer une "industrialisation de l'agriculture", les opposants à cette ferme d'élevage intensif se retrouvent, mardi, pour soutenir neuf militants de la Confédération paysanne, jugés pour des dégradations sur le site. La mobilisation lancée en 2011 a déjà été couronnée par deux victoires, quand les autorités ont divisé par deux le nombre d'animaux accueillis et la puissance du méthaniseur.
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