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Le Dynamo Kiev, un pied dans le foot, un autre dans la guerre

L'adversaire de Guingamp en 16es de finale de la Ligue Europa est marqué par la crise que traverse l'Ukraine.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les supporters du Dynamo Kiev (Ukraine) lors d'un match à domicile contre le Chakhtar Donetsk, le 24 septembre 2011. (GETTY IMAGES EUROPE)

"Gloire à nos héros." Tel est le slogan que les supporters du Dynamo Kiev voulaient voir sur le maillot de leurs joueurs, lors du 16e de finale retour de Ligue Europa contre Guingamp, jeudi 26 février. Le président du club ukrainien a refusé, arguant que les règlements de l'UEFA ne permettaient pas d'afficher un tel message, bien que le sponsor maillot du club, la Navrabank, ait fait faillite. Le club le plus titré du pays vit de près la révolution de Kiev puis la guerre dans l'Est

"Ne vous vendez pas pour 30 euros"

Le Dynamo Kiev est entré en guerre le 21 janvier 2014 contre les forces du président d'alors, Viktor Ianoukovitch . Ce jour-là, sur la page VKontakt (l'équivalent de Facebook) des supporters du club, on pouvait lire : "Nous appelons tous ceux qui ne l'ont pas encore fait à participer à la défense de Kiev contre les traîtres du gouvernement." Dans leur viseur, les agents provocateurs payés par les autorités. On les appelle les "titushkys", du nom de l'ex-champion de catch Vadym Titushko, qui a publiquement promis de refaire le portrait de chaque journaliste critique du président. "Ne vous vendez pas pour 300 hryvnya [environ 30 euros, la rémunération supposée de ces "titushkys]", appellent les ultras. 

Kirill, l'un d'eux, explique, dans le magazine Esquire (en anglais) : "Nous avons déjà fait des déplacements pour les matchs européens à Berlin ou à Paris. Ça nous a ouvert les yeux. On se demandait : 'Mais comment ça se fait que le niveau de vie soit tellement meilleur là-bas ?' Nous voulons la même chose pour notre pays. Quand Ianoukovitch a décidé de laisser tomber l'accord avec l'UE et de se rapprocher de la Russie, on a réalisé qu'il fallait faire quelque chose avant de revenir à la période soviétique."

"Notre ville, notre pays, notre honneur"

N'y voyez pas d'engagement pro-européen, juste la défense de l'Ukraine. Le principal mouvement ultra s'appelle les White Boys, et ce n'est pas uniquement parce que le Dynamo joue en blanc à domicile. "Nous ne nous soulevons pas pour entrer dans l'Europe, ni pour Ioulia , Arseni, Oleg ou Vitali [les prénoms des principaux représentants de l'opposition], mais pour Kiev, pour notre ville, pour notre pays, pour notre honneur !", écrivent encore les ultras. 

Leur service d'ordre improvisé s'avère efficace. Les manifestations retrouvent leur calme, le mouvement prend de l'ampleur et le président Ianoukovitch fuit le pays, laissant derrière lui les improbables trésors cachés dans sa résidence officielle.

Les supporters du pays s'unissent pour la défense de l'Ukraine. Y compris ceux des clubs de l'Est, dont le Chakhtar Donetsk, dirigé par le milliardaire Rinat Akhmetov, ouvertement pro-Ianoukovitch, ou ceux de Kharkhiv, où le président du club est tellement pro-russe qu'il doit s'exiler. Ce club, historiquement lié avec le Spartak Moscou, suit le mouvement. Et aussitôt, on voit disparaître les banderoles du club russe dans les tribunes. Un pacte de non-agression entre ultras à l'échelle du pays est mis en place, début 2014. L'union sacrée entre les supporters perdure depuis, sans aucun débordement.

"Poutine, tête de nœud"

Lors d'un match entre Kiev et Kharkiv, ennemis héréditaires, les supporters du Metallist lancent un "Hourra pour l'Ukraine" dès la 5e minute. Réponse des fans locaux : "Hourra pour Maïdan [du nom de la place où s'est produit le soulèvement anti-Ianoukovitch], hourra pour le peuple !", raconte So Foot. Les supporters ont remis au goût du jour de vieux chants anti-russes, comme "qui ne saute pas est un bâtard d'impérialiste russe" ou le populaire "Poutine huilo", littérallement "Poutine tête de nœud", chanté en chœur lors d'un match Biélorussie-Ukraine par les fans des deux camps. La politique, ça rapproche. 

Depuis, la révolution est devenue une guerre, dans l'est du pays. Les plus motivés des ultras de Kiev ont pris les armes. Ils représenteraient une cinquantaine de membres des 500 que compte le bataillon Azov, une milice paramilitaire comme il en fleurit tant dans les régions dévastées par la guerre. Avec le soutien officieux du gouvernement actuel et des oligarques - notamment Igor Kolomoïsky, président du club de Dniepropetrovsk. "Pour y être, il faut être un vrai Blanc", estime sans détour un des combattants, cité par Sky News.

Fumigènes contre viseurs infrarouges

Dans la capitale, on ne les oublie pas. "Les ultras organisent des collectes à chaque match pour les volontaires du bataillon, et appellent aux dons de vivres et de vêtements sur les réseaux sociaux, explique Rémy Garrel, spécialiste du Dynamo Kiev sur le site Footballski. Tout l'argent utilisé auparavant pour les fumigènes, les tifos ou les bombes agricoles est versé aux combattants. Cela représente des sommes importantes : ils achètent des viseurs infrarouges ou des gilets pare-balle avec." Le bataillon Azov est devenu un symbole. Presque un logo. "Les ultras vendent des tee-shirts à la gloire de l'armée dans leur boutique. Les gens qui gravitent autour d'eux l'achètent, mais je n'ai vu aucun père de famille avec des enfants en porter un au stade, nuance Rémy Garrel.

Des membres du bataillon Azov lors d'un défilé dans les rues de Kiev (Ukraine), le 14 octobre 2014.  (GLEB GARANICH / REUTERS)

Le Dynamo Kiev, un club engagé ? Presque. Le club a repris une activité normale, et les joueurs font profil bas. Seule exception, son président. Igor Surkis, qui a pris la suite de son frère Grigory, désormais vice-président de l'UEFA, a remarquablement su louvoyer pendant les turbulences politiques. Son premier coup de maître fut d'avoir récupéré, avant tout le monde, un enregistrement hautement compromettant pour le président Koutchma (1994-2005), qui l'impliquait dans le meurtre d'un journaliste, raconte le livre An Orange Revolution. En 2006, il a su instrumentaliser les supporters du Dynamo pour la première révolution orange, qui a vu le tandem Iouchtchenko-Timochenko chasser du pouvoir (déjà) les pro-russes, montre un récent article de la Revue d'études comparatives Est-Ouest. Quelques années plus tard, il changeait encore de camp et soutenait ouvertement Viktor Ianoukovitch à la présidentielle. Et désormais, il entretient les meilleures relations avec Petro Porochenko, le nouveau maître du pays. 

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