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Ukraine : Vladimir Poutine contrôle-t-il les séparatistes pro-russes ?

Ces groupes paramilitaires sont accusés par les Etats-Unis d'être responsables du crash de l'avion de la Malaysia Airlines dans l'est du pays. Une accusation qui place leur allié russe dans une situation délicate.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le président russe Vladimir Poutine à Moscou le 21 juillet 2014.est sous le feu des critiques depuis plusieurs jours, alors que la Russie est accusée d'avoir fourni aux séparatistes le missile qui aurait causé le crash du vol MH17. (MIKHAIL KLIMENTYEV / RIA-NOVOSTI / AFP)

Vladimir Poutine est sous pression. Le président américain Barack Obama a déclaré lundi 21 juillet que "si la Russie continuait à soutenir les séparatistes, elle s'isolerait encore plus". Moscou est accusé d'avoir fourni aux séparatistes pro-russes qui se battent en Ukraine le missile qui aurait abattu l'avion de la Malaysia Airlines le 17 juillet. Et d'exiger que le président russe obtienne la coopération totale des rebelles dans l'enquête sur l'accident qui a causé la mort de 298 passagers.

Depuis le début du conflit opposant l'armée ukrainienne aux insurgés de l'est du pays, Vladimir Poutine est accusé d'avoir largement encouragé, voire dirigé la rébellion pro-russe. Mais dans quelle mesure contrôle-t-il les séparatistes ?

Des citoyens russes à la tête des séparatistes

L'existence de liens étroits entre la Russie et les séparatistes est loin d'être un mystère. Radio Free Europe/Radio Liberty (en anglais) rappelle ainsi que le Premier ministre de la République populaire de Donetsk, Alexandre Borodaï, est un citoyen russe qui s'est installé en Ukraine peu après le début du conflit. Il aurait ses entrées à Moscou, où les séparatistes "disposent de leur propre centre de presse", selon Le Monde (accès payant).

Le ministre de la Défense de la République populaire de Donetsk Igor Girkin, plus connu sous le nom de "Strelkhov", est lui aussi d'origine russe. "C'est un ancien du KGB", précise Jaroslava Josypyszyn, membre de l'Association française des études ukrainiennes et directrice de la bibliothèque ukrainienne Symon Petlura, contactée par francetv info. Le colonel Strelkhov s'était félicité sur Twitter vendredi 17 juillet d'avoir abattu un avion militaire ukrainien, peu après le crash du MH17, rapporte Le Figaro. Il a supprimé son message quelques heures plus tard, après avoir appris le crash du Boeing 777 de la Malaysia Airlines. Kiev en a d'ailleurs profité pour signaler ce tweet comme étant une preuve de l'implication des séparatistes pro-russes dans le drame.

En plus des hauts responsables séparatistes d'origine russe, Moscou aurait dépêché des mercenaires sur place pour alimenter la rébellion. Selon la chercheuse au CNRS et professeure à Sciences Po Marie Mendras, interrogée par L'Express, "ces quelques centaines d'hommes ont été très bien entraînés depuis des mois et [...] ont aussi bénéficié de la propagande russe qui sème la zizanie au cœur des villes d'Ukraine". Un point de vue confirmé par Duncan Leitch, du Centre d'études russes et est-européennes de l'université de Birmingham (Angleterre). Il a affirmé à la chaîne américaine NBC (en anglais) que des agents provocateurs avaient été envoyés de l'autre côté de la frontière pour "encourager les Ukrainiens à manifester contre le gouvernement d'intérim".

Le soutien politique sans faille de Poutine aux pro-russes

Dans la guerre de propagande entre Kiev et Donetsk, Vladimir Poutine a depuis longtemps choisi son camp. La Russie a ainsi accusé l'Ukraine d'être responsable du crash du MH17, lundi 21 juillet, faisant écho aux déclarations des séparatistes. Selon Moscou, un chasseur ukrainien aurait volé à proximité du Boeing malaisien peu avant son crash et  aucun missile sol-air n'aurait été détecté par leurs radars, rapporte l'AFP.

Depuis le début du conflit, Vladimir Poutine apporte un soutien sans faille aux séparatistes. Il a ainsi déclaré à plusieurs reprises qu'il était prêt à tout pour protéger les citoyens russes présents en Ukraine, y compris en ayant recours à la force, rappelle l'Express. Une situation qui n'est pas sans rappeler l'invasion de la Crimée par l'armée russe, qui avait précédé le rattachement de cette région à la Russie en mars.

Pour Jaroslava Josypyszyn, Vladimir Poutine entend "restaurer la grandeur russe et recréer l'empire en s'assurant d'avoir un plus grand contrôle en Ukraine grâce aux rebelles". Une opinion partagée par Marie Mendras, qui estime que Moscou veut "mettre sous tutelle" les régions de l'est du pays.

Moscou accusé de fournir du matériel militaire

L'implication de la Russie dans le conflit ukrainien irait bien plus loin qu'un soutien politique, selon les services de renseignements américains. John Kerry a ainsi affirmé lundi 21 juillet que "la Russie a envoyé aux séparatistes un convoi d'équipement militaire, avec plus de 150 véhicules dont des tanks, des blindés, de l'artillerie et plusieurs lanceurs de missiles", rapporte le Daily Mail (en anglais).

Cette déclaration vient appuyer l'hypothèse selon laquelle Moscou a fourni aux séparatistes le missile Bouk, qui aurait abattu le Boeing de la Malaysia Airlines. Le chercheur canadien Stephen Saideman a, quant à lui, rapporté dans les colonnes du Globe and Mail (en anglais) que des avions russes auraient été interdits de survoler l'Ukraine ces dernières semaines, ce qui semblerait prouver que Moscou était au courant des risques de tirs. La Russie nie pourtant toute implication dans le drame, affirmant ne jamais avoir fourni d'armes aux séparatistes. 

John Kerry a toutefois accusé les Russes de former les rebelles au maniement d'armes lourdes, rapporte le Daily Mail. En plus des armes, le Kremlin fournirait donc un soutien stratégique précieux aux séparatistes. "La Russie a autorisé des responsables de la République populaire de Donetsk à établir un bureau de recrutement à Moscou", affirme le Département d'Etat américain, dans un communiqué (en anglais) publié le 17 juillet.

Des rebelles hors de contrôle ?

Mais la Russie ne semble pas être en mesure de gérer la poudrière est-ukrainienne. "Après avoir renforcé et activement soutenu les rebelles, Poutine s'est montré incapable de contrôler le monstre qu'il a créé, estime ainsi Michael Cohen, du think-tank américain The Century Foundation, sur Politico. Ce qui semblait être une manière peu coûteuse et facile pour la Russie de gagner en influence en Ukraine s'est retourné contre lui." 

D'autant que des divisions semblent voir le jour au sein du mouvement séparatiste. Le Figaro évoque ainsi des "conflits ouverts" entre plusieurs chefs séparatistes et les dirigeants de la République populaire de Donetsk. "Ce sont des mercenaires et des militants qui se chamaillent pour obtenir le pouvoir, estime Jaroslava Josypyszyn. Vladimir Poutine croit les contrôler, mais le crash [du MH17] semble prouver que les choses lui échappent."

Le président russe, qui nie l'implication de son pays dans le crash ayant fait 298 morts, se trouve désormais dans une situation délicate. "[Les dénégations de Vladimir Poutine] seront bien plus problématiques si on lie l'arme utilisée dans cette attaque à la Russie ou si l'on confirme l'existence de relations étroites entre ceux qui ont tiré et des officiers russes présents dans la région", souligne Stephen Saideman dans le Globe and Mail. Ne restent donc que deux solutions au président russe, selon Michael Cohen : continuer à soutenir les séparatistes, au risque de subir de nouvelles sanctions, ou leur tourner le dos. Dans tous les cas de figure, la crédibilité politique de Vladimir Poutine s'en trouverait affaiblie.

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