A Paris, la propagation de la gale menace les migrants et inquiète les ONG
Les conditions de vie des migrants sans-abri aux abords du camp de la Chapelle, dans le 18e arrondissement, rendent impossible l'éradication de la gale, qui persiste en dépit des efforts des services sanitaires et des associations.
On croyait que la gale appartenait à un autre âge, mais elle est bien présente dans les rues de Paris. Des migrants en grande précarité y souffrent de cette maladie de la promiscuité, très contagieuse. Mais sans solutions d’hébergement qui permettraient un suivi médical dans des conditions d’hygiène correctes, impossible d'éradiquer le problème. Face à cette situation, Médecins sans frontières tire la sonnette d'alarme.
Si aucune statistique officielle n’existe à propos de cette maladie, le Haut Conseil de la santé publique avait déjà estimé, à partir des chiffres de vente des médicaments, une augmentation de 10 % de cas détectés entre 2002 et 2010. Dans la "jungle" de Calais, l’Institut de veille sanitaire avait aussi estimé que la gale représentait 20% des diagnostics de recours aux soins entre fin 2015 et mi-2016. Avec le démantèlement de la "jungle" et l’afflux de nouvelles vagues de migrants, ce problème s’est déplacé à Paris, où il inquiète.
Des besoins importants de suivi sanitaire
"On ne va pas réussir à prendre tout le monde. C’est pas possible, on ne peut pas". En face du campement sauvage de migrants porte de la Chapelle, jeudi 8 juin, Corinne Torre, responsable de la mission France de Médecins sans Frontières, sait que la clinique mobile de MSF postée là cet après-midi ne pourra effectuer que 25 à 30 consultations. Depuis le démantèlement de la "jungle" de Calais, MSF, qui avait clos ses opérations en France, a relancé un projet de clinique mobile pour répondre aux besoins sanitaires à Paris.
Porte de la Chapelle, aux alentours du centre d’accueil pour migrants, de nombreuses personnes dorment dehors, dans des conditions d’hygiène déplorables. Certaines viennent d’arriver, d’autres disent être là depuis un mois, sans une douche ni aucun vêtement de rechange.
Abdilrazak, un migrant somalien, est là depuis vingt jours et souffre de démangeaisons, surtout dans le cou, sur les cuisses et au niveau du bas-ventre. "Il se gratte toute la nuit", décrit son compagnon de fortune, qui partage avec lui le bout de carton sur lequel ils dorment toutes les nuits. Un peu plus loin, Mohamed, un autre Somalien de 18 ans, se gratte dès qu’il relève ses manches ; ses bras sont couverts de lésions cutanées.
De plus en plus de cas de gale
Il faut toutefois un diagnostic médical pour avérer un cas de gale."Toute personne qui se gratte n’a pas la gale", précise le docteur Abdon Goudjo, directeur des équipes santé du Samu social de Paris. "Il faut faire la différence entre la gale et les dermatoses infectées à cause d’une peau très irritée, soit par le froid en hiver soit par l’hypersudation en été. [...] La plus grande partie des gens que l’on voit avec des irritations cutanées ont en fait des dermatoses infectées".
Mais la gale reste un problème persistant, d'autant que, contrairement aux dermatoses, elle est très contagieuse. Sa transmission se fait par contact physique fréquent et répété, soit "peau contre peau", soit par le linge et la literie. Le pôle santé, implanté à l’intérieur du centre de premier accueil de la porte de la Chapelle, a détecté 157 cas de gale depuis son ouverture en novembre 2016, selon Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité. Chez les migrants qui dorment à l'extérieur, la clinique mobile de MSF en a décelé 164, sur les quelque 1 300 consultations effectuées depuis fin décembre. Si, en moyenne, plus d'un dixième des consultations mènent à un diagnostic de gale, les professionnels de santé disent en compter de plus en plus. "Aujourd’hui, cela correspond à un tiers des consultations", avance même le docteur généraliste Mondane Berthault, qui réalise toutes les consultations à la clinique mobile.
Ils se grattent sur tout le corps, surtout à la tombée de la nuit, jusqu’au sang. [...] C'est à en devenir dingue.
Mondane Berthault, médecin généralisteà franceinfo
Malgré sa très mauvaise réputation, "la gale aujourd’hui se soigne bien", explique le docteur Goudjo. "C’est comme les poux, tout le monde a attrapé des poux, on n’en fait pas un drame". Par ailleurs, pour que les patients étrangers puissent être correctement pris en charge, un service d'interprétariat téléphonique est assuré lors des consultations, explique Barbara Bertini, coordinatrice des permanences d'accès aux soins de santé (Pass) d'Ile-de-France.
Un traitement impossible sans solutions d'hébergement
Au centre de premier accueil, le pôle santé dispose quant à lui d’une douche médicalisée et, en cas de gale, "on leur donne des vêtements propres, s'ils ont déjà été hébergés on change leurs draps et on leur donne un traitement médicamenteux", explique Bruno Morel, d’Emmaüs Solidarité. Ces dispositifs s'avèrent efficaces, à condition que les personnes soient hébergées. Pour les migrants à la rue, c’est une autre histoire.
"Soigner une gale dans la rue est illusoire", assène le docteur Goudjo. D’abord, parce qu’un traitement de la gale requiert deux cures, pour être sûr que la maladie ne se réinstalle pas. "C’est une population très mobile, pour le suivi médical c’est très compliqué", explique ainsi le docteur Berthault. "La seule chose qu’on peut faire, c’est leur donner la double dose de médicaments et leur expliquer de les reprendre à huit jours d’intervalle".
Un suivi sanitaire ? C'est impossible.
Corinne Torre, coordinatrice MSF Franceà franceinfo
Un traitement efficace de la gale suppose aussi que les patients changent intégralement de vêtements. Mais souvent, ils ne possèdent que les habits qu'ils portent sur la peau. "L’idéal serait qu’ils puissent laver leurs vêtements, faire bouillir leurs draps… mais dans ces conditions, c’est utopique", observe le docteur Berthault.
Une gale non, ou mal, traitée peut provoquer de graves complications à force de grattements. Surtout quand, comme le souligne Mondane Berthault, "ils n’ont pas pu se laver depuis des jours et ils ne peuvent pas se couper les ongles, devenus longs et sales". Une fois de telles infections installées, il faut absolument avoir recours à des antibiotiques, sans quoi on s'expose à une surinfection, de type staphylocoque notamment.
Des bénévoles d'Utopia 56 ou du "Vestiaire" de l'église Saint-Bernard de la Chapelle tentent de remédier au problème en fournissant de nouveaux vêtements aux nécessiteux. Mais même si un patient réussissait à se débarrasser de la gale, s’il retourne dans un camp sauvage où le parasite circule, il sera à nouveau exposé.
C’est un environnement brutal où ils sont entassés les uns sur les autres, et la promiscuité crée la diffusion.
Dr. Abdon Goudjo, directeur des équipes santé du samu social de Parisà franceinfo
Sans perspective de diminution du nombre de migrants sans-abri, la problématique de la gale est partie pour durer. Le 9 mai, 1 609 personnes ont été évacuées dans le 18e arrondissement, mais les campements sauvages se sont à nouveau gonflés de migrants. "Depuis un mois, c’est de pire en pire, estime Corinne Torre, aujourd’hui on est à 500 personnes qui dorment aux alentours de la porte de la Chapelle. [...] Avec l’été, cela va être démultiplié. Je suis assez inquiète par la situation", ajoute-t-elle en regardant le campement depuis le trottoir opposé.
"La situation sanitaire soulève des questions quant à la qualité de l’action publique, mais les soignants, eux, n'y peuvent rien. Sans volonté politique, rien ne se fera", constate Abdon Goudjo. Même conclusion du côté de Médecins sans Frontières, qui alerte les autorités publiques au sujet de la gale depuis trois mois, sans que rien n'ait été fait. Pour Corinne Torre, "il faut que l’Etat prenne ses responsabilités".
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