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"C'est ça la France ?" : à Paris, des migrants occupent un lycée pour "interpeller l'Etat"

Depuis le 21 avril, quelque 250 migrants occupent un lycée vide du 19e arrondissement de Paris avec l'aide de deux associations. La région Ile-de-France demande leur expulsion.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une banderole sur la façade du lycée Jean-Jaurés, le 26 avril 2016 à Paris. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

Cigarette aux lèvres, Ahmed a le sourire. Arrivé depuis cinq mois en France, ce Soudanais de 29 ans, passé par Calais, dort pour la première fois au chaud. "C'est très bien, bien mieux qu'à Stalingrad. Il y a trois à quatre personnes par chambre, de l'eau, de la nourriture", explique-t-il en anglais. Le jeune homme fait partie des 250 migrants de diverses nationalités – afghane, yéménite, soudanaise, érythréenne, somalienne – qui occupent depuis le 21 avril le lycée Jean-Jaurès, un établissement du 19e arrondissement de Paris, vide depuis des années.

Comme beaucoup d'occupants, Ahmed vient de Stalingrad, un campement installé en mars sous le métro parisien du même nom, et où les conditions d'hygiène sont "inadmissibles", selon les associations. "Il y a une grosse différence avec Stalingrad. Là-bas, nous ne sommes pas en sécurité", complète Ahmed.

En France depuis 2009, Imed, un réfugié du Maghreb qui refuse de préciser son pays d'origine, par peur d'être reconnu par sa famille, a lui vécu dans le camp d'Austerlitz et passé quelques nuits dans le métro.

Dormir dehors est dangereux. Des gens vous pissent dessus, jettent de l'alcool ou sortent un couteau

Imed, migrant

à francetv info

"Nous voulons dénoncer une situation scandaleuse"

L'occupation du lycée a été organisée par deux associations, La Chapelle Debout ! (à ne pas confondre avec le Comité de soutien des migrants de La Chapelle) et le Collectif parisien de soutien aux exilés (CPSE).

"Cela fait un moment que l'on réfléchit à une opération comme celle-ci, expose Aubépine, 43 ans, du CPSE. Il s'agit de mettre un certain nombre de personnes à l'abri, mais surtout de dénoncer une situation scandaleuse et de faire pression sur l'Etat." Sur la façade, une banderole interpelle les passants : "C'est ça la France !?"

Pour Aubépine, la politique de la France envers les réfugiés est "insuffisante" et "aléatoire". "L'Etat est toujours en réaction, il attend qu'il y ait suffisamment de gens entassés dans la rue pour débloquer des places"regrette cette mère de famille, venue avec ses deux petites filles. A l'inverse, il faudrait "anticiper, créer un point d'accueil et répartir les gens". "En Allemagne, les gens n'ont pas dormi dans la rue à leur arrivée", remarque-t-elle, avant d'ajouter : "L'argument du manque de ressources ne tient pas, nous ne sommes pas comme le Liban, avec un million de réfugiés syriens pour 4,5 millions d'habitants."

Le lycée Jean-Jaurés, côté avenue Simon Bolivar, le 26 avril à Paris. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

Un quartier "accueillant"

Le choix du lycée Jean-Jaurés et de ses 7 000 m2 ne doit rien au hasard. "Nous voulions un lieu public pour interpeller l'Etat", justifie Aubépine. Vide depuis 2011, le bâtiment a néanmoins été utilisé en urgence en 2015 pour accueillir des élèves d'une école voisine incendiée. Il doit faire l'objet prochainement d'"une phase de réfection" pour accueillir à nouveau des élèves, assure la région dans le communiqué qui dénonce cette "occupation illégale". Un argument qui fait sourire les bénévoles. "Quand nous sommes arrivés, il y avait de la poussière partout et aucun signe de présence humaine", argumente Timothy, 59 ans, de La Chapelle debout !.

La localisation du bâtiment, dans le populaire 19e arrondissement, a également pesé. "On sait qu'il y a des quartiers plus accueillants que d'autres", sourit Aubépine. Ce mardi matin, plusieurs riverains viennent déposer nourriture, couvertures et matelas. Guy, 64 ans, est l'un d'entre eux. "On voit dans Paris des gens qui dorment dans la rue, avec leurs enfants, c'est inadmissible", dénonce-t-il, avant de s'en prendre au préfet de région.

Le préfet ferait mieux de s'occuper de ça, avec autant d'énergie qu'il dénonce cette occupation !

Guy, un riverain

à francetv info

Des règles strictes

Malgré la menace d'une expulsion, symbolisée par la voiture de police garée en face du lycée, la vie s'organise. A l'extérieur, une table et quelques chaises sont installées pour accueillir les riverains et leurs dons. Des règles strictes ont été adoptées par l'assemblée générale des occupants, qui se réunit tous les soirs. Sur la porte, un panneau indique en anglais et en arabe que seules les personnes inscrites sur la liste peuvent entrer. Les journalistes sont priés de rester à l'extérieur. Un SDF venu se renseigner est poliment éconduit. "C'est un logement pour les réfugiés de pays en guerre", répond Valéry, le cuisinier du groupe. 

Un peu plus loin, un panneau interdit l'alcool, les drogues, le racisme, le sexisme et la violence, "sous peine d'expulsion""Nous ne voulons pas refaire les mêmes erreurs qu'à Jean-Quarré, avec un lieu ouvert aux quatre vents", explique Aubépine. Ouvert en juillet 2015, cette "maison des réfugiés" auto-gérée a connu des problèmes de violence, comme le raconte Libération, avant de devenir un centre d'hébergement géré par l'Etat. "Pour le moment, on stabilise, on fixe les règles. Quand ce sera fait, on pourra accueillir de nouveaux réfugiés", précise Aubépine.

"Une question de principe" pour la région

Le temps pourrait leur manquer. La région Ile-de-France, présidée par Valérie Pécresse, a déposé lundi 25 avril un référé au tribunal administratif de Paris pour demander l'expulsion. "C'est une question de principe : cette occupation est illégale et nous avons besoin de cet établissement, on ne peut pas prendre plus de retard dans les travaux", explique-t-on à la région.

Devant le lycée, Ahmed termine sa cigarette, engoncé dans sa doudoune noire. Il aimerait bien obtenir le statut de réfugié et un abri. "En Allemagne, aucun réfugié n'est resté à la rue comme ça", lance-t-il, en repensant au camp de Stalingrad. Le tribunal administratif de Paris doit examiner le référé de la région vendredi à 10h30.

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