Trois preuves qui contredisent Marine Le Pen sur l'homophobie en Russie
La présidente du FN a estimé que les homosexuels ne sont pas persécutés en Russie, pays où, pourtant, les agressions et les offensives politiques se multiplient.
La déclaration était destinée à railler le gouvernement, elle a surtout heurté la communauté homosexuelle. Interrogée, dimanche 15 décembre sur France 5, sur l'absence de François Hollande à la cérémonie d'ouverture des prochains Jeux olympiques de Sotchi, Marine Le Pen a préféré fustiger les rapports amicaux que la France entretient avec l'Arabie Saoudite et le Qatar, pays où "les homosexuels sont persécutés". "Ce qui n'est pas le cas de la Russie", a ajouté la présidente du Front nationale.
Une affirmation qui contraste avec plusieurs événements politiques et avec une aggravation du sentiment homophobe en Russie. Francetv info développe trois arguments qui contredisent la leader du FN.
Les politiques russes ont les homosexuels dans le viseur
"Si vous ne voulez pas protéger vos enfants, ne le faites pas, nous on ne se mêle pas de vos affaires." C'est ce que répond frontalement Vladimir Poutine aux nombreuses critiques venues de l'étranger visant la loi interdisant la "propagande homosexuelle" devant les mineurs, promulguée en juin dernier. En clair, toute manifestation liée à la cause homosexuelle et toute affirmation publique de son homosexualité est interdite. En cas d'infraction, un citoyen russe s'expose à une amende comprise entre 4 000 et 5 000 roubles (100 à 125 euros). Les étrangers risquent eux 100 000 roubles d'amende (2 300 euros), une détention de 15 jours et une expulsion du pays.
La justification de la loi serait liée à la protection de l'enfance. Un cheval de bataille que, dans le sillage du président russe, d'autres hommes politiques ont repris à leur compte pour combattre l'homosexualité en Russie. Vitaly Milonov, député chrétien auteur de la loi contre la "propagande homosexuelle", considère ainsi publiquement les homosexuels comme des personnes "qui violent les enfants", d'après le Huffington Post, qui relaie une interview d'un journaliste de France 24.
Pour Françoise Daucé, chercheuse interrogée par francetv info, cette stigmatisation des homosexuels est avant tout une conséquence de la volonté de Vladimir Poutine de "reprendre en main la société", après les manifestations qui ont suivies sa réélection au printemps 2012. En revanche, l'universitaire explique que pendant les JO, la Russie voudra faire bonne figure, à l'image de son président, auprès de la communauté internationale. Mais d'après elle, "ce que craignent les militants des droits de l'homme, c'est que leur situation s'aggrave après les JO".
En effet, dès le mois de février, en même temps que les Jeux olympiques, le Parlement russe a prévu de discuter d'une nouvelle loi qui retirera leurs droits parentaux aux homosexuels, comme l'explique Le Figaro. Le texte s'appuie sur une étude, signée par un sociologue américain, sur l'influence néfaste de l'homoparentalité sur les enfants. Cette récupération politique a depuis été dénoncée par l'auteur de l'étude lui-même, sur le site The Wire. Pas de quoi, pour autant, empêcher le projet de loi d'être toujours programmé.
Les agressions homophobes se multiplient
L'activité est tellement populaire qu'un site internet lui est intégralement dédié : la chasse aux homosexuels compte aujourd'hui de nombreux amateurs en Russie. Ces derniers n'hésitent pas à exhiber leur visage dans des vidéos qu'ils filment eux-mêmes. On les voit frapper, torturer et humilier de jeunes homosexuels, au nom de la "lutte contre la pédophilie".
Sous couvert de rendez-vous amoureux, de véritables guet-apens sont ainsi tendus à de jeunes gays sur les réseaux sociaux, par un gang appelé "Occupy Paedophilia", comme le détaille le Huffington Post. L'une de leur récente victime est un participant à une émission de téléréalité. Le jeune homme a été battu, abusé et forcé à un simulacre d'interview. Dans la vidéo extraite de cette séance de torture, il apparait le crâne tondu puis barré d'un arc-en-ciel, des étoiles de David dessinées sur le torse. Son tortionnaire, une figure des mouvements néo-nazis, lui déclare alors en souriant qu'il aimerait "l'envoyer dans un camp de concentration, habillé en femme", comme l'explique le International Business Times (en anglais).
Des agressions similaires ont conduit à la mort de deux homosexuels au mois de mai dernier. D'après Le Parisien, un homme a été battu à mort dans la province extrême-orientale du Kamtchatka. A Volgograd, les tortures ont eu raison d'un jeune homosexuel de 23 ans. Amnesty International, citant la récente attaque des bureaux d'une ONG de défense des malades du Sida à Saint-Petersbourg, dénonce le manque de réaction de la police russe après des agressions homophobes.
Dernier exemple en date du manque d'implication des autorités, le patron du plus grand club gay de Moscou, le Central Station, a adressé une lettre à Vladimir Poutine en personne. Il y demande simplement que cessent les nombreuses agressions visant ses clients et son établissement, comme le détaille le Moscow Times. Il exige surtout que la police agisse de façon juste car un récent incident a certes entraîné l'arrestation d'agresseurs armés, mais aussi l'interpellation de nombreux clients.
L'homophobie progresse dans la société russe
Plus que les agressions et les déclarations hostiles des hommes politiques, c'est la progression d'un sentiment homophobe dans la population qui inquiète le plus les associations de défense des droits de l'homme. Ainsi, le nombre de personnes estimant que les homosexuels devraient avoir les mêmes droits que le reste de la société a chuté de 51% en 2005, à 39% en 2013 selon un sondage réalisé par l’institut indépendant Levada (en russe). D'après le Moscow Times, ce centre de recherche montre que 85% des Russes sont opposés au mariage entre personnes de même sexe. Plus inquiétant, 16% des personnes interrogées veulent que les homosexuels soient "écartés de la société", 22% qu'ils reçoivent un "traitement médical obligatoire" et 5% qu'ils soient "détruits physiquement".
S'en prendre aux homosexuels est même "populaire" auprès de certains jeunes russes qui affichent publiquement leur soutien à "Occupy paedophilia". Le signe de ralliement de ce gang néo-nazi qui s'en prend aux jeunes gays est un poing fermé, le pouce fléchi. Un geste que de nombreux adolescents russes reproduisent sur les réseaux sociaux, en utilisant le hashtag #ОккупайПедофиляй, comme le rapporte Buzzfeed.
Si l'homosexualité était interdite à l'époque soviétique, "la société n'est pas naturellement homophobe en Russie", insiste en revanche Françoise Daucé. "C'est plutôt le travail de l'Etat qui la pousse dans cette voie." Elle rapproche cette stigmatisation de celles des étrangers venus du Caucase, régulièrement pris pour cible par la population et la police. Or, d'après Anne Le Huérou, universitaire spécialiste des questions slaves interrogée par francetv info, la répression des minorités est utilisée par les autorités pour "éluder les vrais problèmes" de la Russie : "la corruption omniprésente", "la faiblesse de la police" ou encore "le très faible taux d'élucidation des meurtres".
Un argumentaire qui rejoint celui du comédien anglais Stephen Fry qui a adressé une lettre au Premier ministre britannique David Cameron, en août dernier. Il y dénonce l'attitude de Vladimir Poutine, qui selon lui, transforme les homosexuels en boucs émissaires, "comme Hitler l'a fait avec les juifs".
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