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David Pujadas : "Interviewer Bachar Al-Assad fait partie de notre devoir d'information"

Le président syrien a répondu aux questions de David Pujadas, lors d'un entretien inédit à la télévision française, diffusé lundi 20 avril dans le journal de 20 heures de France 2.

Article rédigé par Martin Gouesse - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Bachar Al-Assad, le président syrien, et David Pujadas, à Damas (Syrie) le 19 avril 2015. ( CAPTURE ECRAN FRANCE 2)

Bachar Al-Assad face aux caméras de France 2, pour un entretien inédit à la télévision française depuis le début du conflit. Le leader syrien, accusé d'écraser dans le sang la contestation qui secoue son pays depuis 2011, a répondu aux questions de David Pujadas, dimanche 19 avril à Damas, en Syrie.

Passé d'allié des Occidentaux à paria pour sa répression meurtrière, Bachar Al-Assad semble sur le point de devenir un interlocuteur sinon officiel, du moins officieux, pour les pays qui luttent contre l'Etat islamique. Fallait-il aller interviewer le leader syrien ? Comment s'est déroulé l'entretien avec France 2 ? A quelles conditions ? David Pujadas raconte.

Francetv info : De quand datent les premiers contacts pour obtenir cet entretien ?

David Pujadas : La demande officielle date de l’automne 2013. Depuis, il y a eu des contacts réguliers. A un moment donné, nous avons compris que nous ne serions pas les premiers – il y a eu la BBC et CBS d'abord. Il y a quelques mois, on nous a laissé entendre qu’il y aurait une opportunité pour nous, mais ce sont toujours de très longues négociations. Sur le principe même de l'interview, d'abord, et sur la date à laquelle il voudrait bien s’exprimer. Jusqu’à la dernière minute, nous avons négocié la durée et la diffusion de l’entretien, en version courte sur France 2, et dans son intégralité sur francetv info et sur TV5 Monde.

Sur le fond, ils ne nous ont pas du tout embêtés. Je ne dis pas qu’ils n'ont pas fait quelques tentatives pour chercher à savoir, mais ils n’ont pas exigé de connaître ni les questions ni les thèmes.

L’autre thème de négociation, c’est que pour des raisons de sécurité, ce soit leur matériel qui soit utilisé, mais nous avons supervisé la réalisation.

Bachar Al-Assad connaît très bien les médias occidentaux et leur fonctionnement, donc il ne s’attend pas à une tribune. Il s'attend à être challengé, à être relancé. J’avais prévu des documents, une façon de le mettre en face de certains constats, pour le pousser dans ses retranchements. J’ai répété dans ma tête des relances, je me suis préparé à ses réponses.

Est-ce qu’il fallait faire cette interview ? Après la réception de députés français, déjà polémique, est-ce que cela n’entre pas dans un plan de communication du régime syrien ?

Oui, il fallait y aller. Bachar Al-Assad est l'une des parties prenantes d’un des conflits les plus dévastateurs de ces vingt dernières années. Nous avons un devoir d’information sur la Syrie, un devoir que nous exerçons très largement. France 2 est sans doute l'un des médias qui en fait le plus sur ce conflit, avec nos envoyés spéciaux. Dans ce cadre-là, pouvoir questionner Bachar Al-Assad est un exercice journalistique qui participe à l’information de nos téléspectateurs.

Est-il irréprochable ? Sans doute non, chacun se fera son idée. Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut pas l’interviewer ? Franchement, ce n’est pas mon idée du journalisme. Par contre, le contexte nous impose un devoir de distance et un mode de questionnement assez direct.

Sur le plan de la communication, la question se pose pour toutes les interviews, même pour une personnalité française. C’est à nous d’obtenir des réponses qui vont être éclairantes, et de ne pas éviter les questions qui fâchent.

De son côté, bien sûr que Bachar Al-Assad a sans doute en tête de revenir dans le jeu. En même temps, on ne peut pas dire que, dans cet entretien, il tende la main à la France ou à l’occident.

Comment s’est passé l’entretien?

La veille, j’ai pu marcher dans la ville. Je n’ai eu toutefois qu’un petit aperçu. Damas est une ville calme, même si on entendait des échos des bombardements. La rencontre en elle-même s’est tenue dans un climat de sécurité maximale. Arrivés au palais, nous ne pouvions plus toucher à nos affaires. J’ai dû négocier un quart d’heure pour récupérer mes lentilles de contact et ma trousse de maquillage dans le coffre, sous le regard de deux personnes.

Bachar Al-Assad est arrivé trois à quatre minutes avant l’entretien. Après avoir fait les présentations et échangé quelques mots, on a tout de suite enregistré l’interview. C’est le premier entretien que je fais en anglais, sans traduction. C’est un gros boulot, car les réflexes ne sont pas les mêmes que dans sa langue maternelle. Mais pour lui non plus, ce n’était pas sa langue maternelle. In fine, c’est une vraie interview, ce n’est pas "une question-une réponse interminable-une question".

Avez-vous abordé la mort de Gilles Jacquier, le journaliste de France 2 tué en janvier 2012 en Syrie et pour laquelle les troupes de Bachar Al-Assad ont été accusées ?

Oui, avec Thierry Thuillier [directeur de l'information de France Télévisions], c’était un des éléments de motivation pour s’enquérir de la promesse de Bachar Al-Assad sur l’enquête sur le mort de Gilles. Il nous a invités à consulter des éléments factuels, à parler à des gens ayant participé à cette enquête, et nous y travaillerons. Pour la mémoire de Gilles, et pour tous les journalistes qui se rendent là-bas.

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