Comment les jihadistes de l'Etat islamique accèdent-ils à internet ?
Une enquête de l'hebdomadaire allemand "Der Spiegel" révèle la possible implications d'opérateurs de communication par satellite français et européens.
Au fil des mois, les enquêtes éclairent un peu plus comment l'organisation terroriste Etat islamique est administrée, de quel armement elle dispose. Mais comment ses membres accèdent-ils à internet ? Le groupe jihadiste est présent sur les réseaux sociaux, publie un magazine en ligne, multiplie les vidéos de propagande et recrute partout dans le monde. Une enquête de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel (en anglais), révèle comment l'Etat islamique "diffuse la terreur sur le web".
Des connexions haut-débit par satellite
Selon des sources syriennes, citées par Le Monde, "à Raqqa, capitale officieuse de l’Etat islamique, les satellites sont le seul moyen d’accès à internet". Et c'est probablement le cas sur une grande partie du territoire contrôlé par l'organisation terroriste, où les infrastructures de télécommunications sont détruites. Avec le bon matériel, il est ainsi facile d'accéder à "un internet haut-débit, avec un débit entrant à 22 Mb/s et sortant à 6 Mb/s", détaille le Spiegel.
Du matériel acheté en Turquie
Tout le matériel nécessaire est disponible à Antioche, carrefour historique des routes commerciales, en Turquie, explique le Spiegel, et les "marchandises continuent à circuler à travers cette région aux frontières poreuses". "Dans le quartier du bazar, les marchands vendent aussi bien des balais, des épices, des grenades fraîches, des robes de mariées, des fours, et un tas de pièces électroniques", poursuit l'hebdomadaire.
Se connecter à internet par satellite est "facile, mais pas peu cher". Il suffit d'une "parabole avec une antenne d'émission et de réception et un modem", liste le Spiegel. A Antioche, la demande a explosé ces dernières années car ces technologies permettent à la population syrienne de rester connectée. Dans les zones contrôlées par l'Etat islamique, "aucun accès internet n'est possible dans l'autorisation d'un émir". Mais les vendeurs du bazar d'Antioche disent ignorer l'identité des consommateurs finaux.
Des opérateurs européens et français
L'Etat islamique ne possède toutefois pas ses propres satellites, ni les opérateurs qui les gèrent. C'est là que l'enquête du Spiegel devient "extrêmement problématique pour l'Europe, car ce sont des compagnies européennes qui fournissent aux terroristes l'accès à leurs plateformes de propagande". Le Spiegel cite par exemple le français Eutelsat, détenu en partie par la Caisse des dépôts et consignations, le luxembourgeois SES et britannique Avanti Communications.
Contactés par le Spiegel, Eutelsat et SES se défendent de fournir sciemment des services à l'organisation Etat islamique. Pourtant, des terminaux de connexion, qui émettent des coordonnées GPS, "ont été localisés, en 2014 et 2015, en Syrie et en Irak" et "les opérateurs satellites et leurs distributeurs connaissent généralement l'emplacement des équipements qu'ils fournissent", selon le Spiegel.
Auprès de Libération, "les deux opérateurs insistent sur le fait qu’ils n’ont aucun contact direct avec les clients finaux". SES assure n'avoir aujourd'hui "pas connaissance que ses satellites sont utilisés par l’Etat islamique ou dans des zones syriennes contrôlées par l’EI" tandis qu'Eutelsat affirme qu'il "n'y a pas de terminaux activés en Syrie à notre connaissance".
Un accès internet facile à interrompre
D'après l'enquête du Spiegel, il serait très facile de couper l'accès à internet dans les zones contrôlées par l'Etat islamique "sans beaucoup d'effort". La question se pose alors : pourquoi ne coupe-t-on pas immédiatement ces connexions, pour empêcher les jihadistes de diffuser leur propagande ?
Le Spiegel évoque en premier lieu un argument économique : un satellite a une durée de vie de 15 ans et coûte très cher, "il faut donc rentabiliser son investissement le plus vite possible". Mais l'hebdomadaire envisage aussi une possible coopération de ces sociétés avec les services de renseignements, ou même la mise sous surveillance de toutes ces connexions par satellite, avec ou sans l'accord des opérateurs.
De son côté Libération cite le journaliste Jean-Marc Manach, selon lequel l'accès à internet permet par exemple aux militants du réseau Raqqa Is Being Slaughtered Silently ("Raqqa se fait massacrer en silence") "de faire sortir de la ville, au péril de leur vie, des informations sur les exactions de l’Etat islamique, ou à des familles de tenter de faire revenir des jeunes jihadistes partis sur le théâtre irako-syrien".
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