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En Irak, les chrétiens de Mossoul condamnés à fuir ou à périr "par le glaive"

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des chrétiens irakiens sortent de la messe, le 20 juillet 2014, à Arbil, capitale de la région autonome du Kurdistan, où ils ont trouvé refuge. (SAFIN HAMED / AFP)

Des centaines de chrétiens d'Irak fuient la ville de Mossoul, dans le Nord du pays, après avoir reçu des menaces de mort de la part des jihadistes de l'Etat islamique.

Le Conseil de sécurité de l'ONU a dénoncé, lundi 21 juillet, les "persécutions" des jihadistes de l'Etat islamique contre les minorités religieuses irakiennes, rappelant qu'elles pouvaient constituer des crimes contre l'humanité. Les Nations unies se donc dites particulièrement inquiètes de la situation des chrétiens d'Irak, dont le nombre a chuté d'un million à 400 000 depuis l'intervention américaine en 2003. Les tentatives d'intimidation des islamistes ont poussé les derniers membres de cette minorité religieuse à fuir Mossoul, leur fief historique, pour le Nord du pays.

Les jihadistes veulent imposer leur loi aux chrétiens

Se convertir, payer un impôt ou mourir. L'ultimatum lancé par l'Etat islamique, qui a pris le contrôle de Mossoul le 9 juin, ne laissait guère le choix aux chrétiens de la ville. Après avoir relativement épargné la communauté religieuse constituée d'assyriens, de chaldéens et d'orthodoxes, les jihadistes leur ont annoncé qu'ils avaient jusqu'au samedi 19 juillet, midi, pour se plier à leurs demandes.

Le message a été lu dans les mosquées vendredi après-midi, avant d'être diffusé à travers toute la ville grâce aux hauts-parleurs utilisés pour l'appel à la prière, rapporte le Telegraph (en anglais)"Nous leur proposons trois choix : l'islam, la dhimma et, s'ils refusent ces deux choix, il ne reste que le glaive", explique le communiqué de l'Etat islamique, selon Paris Match. La "dhimma" est un impôt payé par les non-musulmans pour obtenir le droit de pratiquer leur religion tout en restant dans le califat. 

Face à ces menaces de mort, les chrétiens de Mossoul n'ont guère d'autre choix que de fuir la ville. D'autant que les jihadistes, qui ont proclamé le califat islamique le 29 juin dernier, sont réputés pour leur violence. La Croix évoque ainsi "la réapparition de la crucifixion dans le sillage" de l'Etat islamique, qui s'est montré particulièrement actif en Syrie. Les terroristes auraient ainsi tué 270 personnes, jeudi 19 juillet, lors de la prise d'un gisement de gaz dans le centre du pays, rapporte RFI.

Les maisons chrétiennes marquées d'une lettre rouge

Pour ajouter à la pression pesant sur les chrétiens, les membres de l'Etat islamique ont entrepris de marquer leurs maisons. Selon Rue89, le signe inscrit en rouge et retrouvé sur les murs des habitations correspond à la lettre de l'alphabet arabe correspondant au "N" latin. Il s'agit de l'initiale de "Nasarah" (Nazaréen), terme utilisé dans le Coran pour désigner les chrétiens.

Les habitants se sentent menacés par ces inscriptions peintes sur les murs des maisons abandonnées, sans en connaître la signification. "Certains disent que les hommes de l’Etat islamique expriment par là le fait que ces maisons leur appartiennent désormais", a expliqué un prêtre de Mossoul à l'hebdomadaire catholique La Vie. Une hypothèse confirmée par une autre inscription, cette fois en peinture noire, qui accompagne parfois la lettre "N" : elle dit "propriété de l'Etat islamique d'Irak", selon le New York Times (en anglais)

En plus d'être poussés à partir, les chrétiens de Mossoul seraient expropriés. Les islamistes auraient déclaré aux locataires musulmans qu'ils ne sont plus obligés de payer leur loyer à leurs propriétaires chrétiens, rapporte le New York Times, citant un entrepreneur local. 

L'Etat islamique s'attaque aux lieux de culte chrétiens

Les lieux de culte chrétiens sont aussi devenus la cible des islamistes depuis quelques jours. L'archevêché syriaque catholique de Mossoul a ainsi été incendié, samedi 19 juillet, d'après l'association Fraternité en Irak, qui vient en aide aux minorités religieuses du pays. "Les jihadistes sont entrés (...) furieux parce que les chrétiens de la ville ne s’étaient pas rendus à la réunion à laquelle l’[Etat islamique] les avait convoqués pour présenter les nouvelles règles du califat, explique l'ONG sur son site. Ils ont enlevé les portraits des évêques et des patriarches se trouvant dans la 'salle du divan'. Puis, ils les ont fait brûler."

Les dégâts causés par l'incendie ont notamment touché la cathédrale Al Taheera, attenante au palais épiscopal. Al Arabiya News (en anglais) a ainsi dévoilé des photos de l'église, vieille de 1 800 ans, en flammes. D'autres dégradations ont déjà été commises par les islamistes, d'après la chaîne saoudienne, qui rappelle qu'une tombe, vraisemblablement celle probable du prophète Jonah, a été détruite en juin.

Dans les semaines précédant l'ultimatum, l'Etat islamique avait déjà fait retirer la croix de l'église orthodoxe de Mossoul pour la remplacer par son drapeau, rapporte le New York Times. Une statue de la Vierge exposée dans l'église chaldéenne de la ville a en outre été détruite par les djihadistes en juin, selon un archevêque cité par l'agence Fides, rattachée au Vatican. Ces dégradations interviennent alors que plusieurs lieux de culte chrétiens ancestraux sont occupés par les insurgés, qui empêchent les membres du clergé de partir avec leurs reliques, explique l'AFP.

Les réfugiés expropriés de tous leurs biens

Face à toutes ces attaques, des centaines de chrétiens ont quitté Mossoul, samedi 19 juillet, au matin, avant que l'ultimatum n'expire. Les islamistes leur prennent tous leurs biens avant qu'ils ne quittent définitivement la région. "L'Etat islamique a arrêté mes proches à un poste de contrôle alors qu'ils fuyaient et lorsqu'ils se sont rendus compte qu'ils étaient chrétiens, ils ont pris tout ce qu'ils transportaient, y compris leurs portables", a raconté un réfugié à The Independent (en anglais). "Ils leur ont seulement laissé les vêtements qu'ils avaient sur le dos."

Selon le Telegraph, la plupart des chrétiens sont donc contraints de quitter Mossoul à pied. Une difficulté qui ne les a pas empêchés de déserter la deuxième plus grande ville d'Irak. "99% de la communauté a déjà fui la ville [après] avoir été menacée de mort", a témoigné le patriarche d'Antioche, Ignace Youssef III Younan, au micro de Radio Vatican.

Nombre d'entre eux se sont réfugiés dans la ville voisine de Qaraqosh, où une première vague de chrétiens s'était rendue en juin. "La suspension de la fourniture d’eau et l’approvisionnement erratique en électricité fragilisent déjà la situation humanitaire et sanitaire", prévient toutefois La Croix. La plupart des 25 000 chrétiens de Mossoul ont déjà gagné le Kurdistan, dans le Nord du pays. La région est protégée par les peshmerga, des combattants kurdes qui ont repoussé plusieurs incursions de l'Etat islamique ces dernières semaines. Selon The Globe and Mail (en anglais), cette zone autonome où vivent normalement six millions d'Irakiens accueillerait actuellement 500 000 réfugiés fuyant la progression des islamistes, ainsi que 250 000 Syriens voulant échapper à la guerre civile.

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