Les combattantes kurdes, porte-drapeaux de la lutte contre les jihadistes
Une Kurde a mené une attaque suicide contre les jihadistes à Kobani, en Syrie, le 5 octobre. Elevée au rang d'héroïne, elle était l'une des nombreuses femmes à combattre dans les rangs des peshmergas.
D'un côté, les jihadistes de l'organisation terroriste Etat islamique (EI) obligent les femmes à porter un voile intégral et leur interdisent de sortir sans être accompagnées. De l'autre, les Kurdes font la promotion de leurs combattantes, cheveux au vent et arme au poing. Deux conceptions qui s'affrontent en ce moment à Kobani, ville kurde de Syrie assiégée par l'EI. Retour sur ces militantes kurdes, vitrine du combat contre les jihadistes.
Une icône et des réseaux sociaux
YPG/YPJ confirm Arin Mirkan carried out suicide bombing vs. ISIS in #Kobane yesterday (not unusual for PKK). #Syria pic.twitter.com/LErOzeiLab
— Charles Lister (@Charles_Lister) 6 Octobre 2014
Dans les rangs des combattants kurdes de Syrie, on l'appelait Arin Mirkan, mais ce n'était qu'un nom de guerre. La jeune femme qui a mené, dimanche 5 octobre à Kobani, la première attaque suicide kurde recensée en Syrie s'appelait en vérité Dilar Gencxemis.
On en sait peu d'elle, si ce n'est qu'elle avait sans doute plus de 20 ans, l'âge minimum pour partir au front. Selon Mustafa Bali, un responsable local de Kobani, "elle a lancé de nombreuses grenades contre les hommes de l'EI (...) et après ça, elle s'est fait exploser". Une camarade citée dans un portrait de Libération affirme qu'"elle était encerclée (...). Plutôt que d’être abattue ou, pire encore, faite prisonnière, elle a préféré se lancer sur les assaillants et se faire exploser." Une autre soutient qu'"elle n'avait pas de balles et [qu']il ne lui restait que son corps".
Quoi qu'il en soit, les Kurdes glorifient largement la mémoire de la jeune femme, citée en exemple de la résistance acharnée dans Kobani. Dans un communiqué, l'agence de presse kurde Firat News affirme qu'"elle a tué des dizaines de membres du 'gang' et illustré la résistance déterminée des combattants". Sur Twitter, le hashtag #ArinMirkankahramandir (Arin Mirkan est une héroïne) est vite devenu populaire. On trouve aussi des comptes Twitter et pages Facebook dédiés à sa mémoire ou encore cette vidéo hommage sur la chanson The House of the Rising Sun.
Une ancêtre et une longue histoire
La présence de femmes dans les rangs des combattants kurdes n'est pas une nouveauté. "Il y a toujours eu des noms symboliques de femmes qui ont résisté dans les années 60 ou 70 et à qui l'on rend hommage chaque année", explique à RTL Rusen Aytac, chargée du département des droits de l'homme à l’Institut kurde de Paris.
La première d'entre elles aurait été Margaret George Shello, en Irak. En 1960, à l'âge de 20 ans, elle a rejoint les rangs des peshmergas ("ceux qui affrontent la mort", les combattants kurdes). Depuis, certaines ont occupé de hautes fonctions, comme Sakine Cansiz, une Kurde turque assassinée à Paris.
D'après le site Aujourd'hui la Turquie, le premier corps d'armée féminin kurde apparaît en Turquie, au sein de la guérilla marxiste du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), dans les années 1990. En Irak, un bataillon est créé en 1996, selon le New York Post (en anglais).
Aujourd'hui, 40% des combattants des Unités de protection du peuple (YPG), considérées comme la branche armée syrienne du PKK, sont des femmes. Rarement mariées, elles vivent dans des cantonnements différents de ceux des hommes, mais combattent dans des unités mixtes. Voici une vidéo de la cérémonie marquant la fin de la formation de 17 combattantes :
Graduation of 17 Combatants of the Women's @DefenseUnitsYPJ at M. Shilan academy #YPJ 10-4-2014 http://t.co/j09hhdMwzm
— Women Defense Units (@DefenseUnitsYPJ) 4 Octobre 2014
En Irak, elles sont beaucoup moins : quelques centaines parmi les 200 000 peshmergas.
Une star et du glamour
Aujourd'hui, certaines militantes de la cause kurde n'ont plus grand-chose à voir avec leurs ancêtres. Maquillage, lunettes de soleil et talons aiguilles, il y a même une "Shakira kurde" venue distribuer des vivres sur le front, comme le relatait France 2.
Helly Luv danse aussi dans une vidéo patriotique sur de la musique très occidentale, en tenue militaire et avec une garde féminine armée de kalachnikovs. La vidéo lui a valu des menaces de mort par les jihadistes, mais la chanteuse continue de réclamer l'indépendance du Kurdistan. Elle a confié dans un entretien que "tout [son] message consiste à dire que le peuple kurde doit tout risquer pour ses rêves et se battre pour son pays".
Cette promotion des femmes s'accompagne, sur les réseaux sociaux, de très nombreuses photos de combattantes sur le front.
- We are not afraid of #islamicstate says Khazal Ike of the #pkk. - They are afraid of us. #iraq #makhmour pic.twitter.com/Em56U7RGaH
— Kjetil Iden (@tv2iden) 11 Août 2014
A #Kobane, elles sont en premières lignes contre #EIIL. Et préfèrent la mort à la capture. pic.twitter.com/Tmoy0MB6Ij
— Breaking 3.0 (@Breaking3zero) 6 Octobre 2014
A tel point que certains dénoncent une "glamourisation" de la guerre, selon France Info. H&M a d'ailleurs dû s'excuser pour une combinaison ressemblant étrangement à l'uniforme des combattantes kurdes, relate le Dailymail (en anglais).
H&M have been inspired by the Kurdish female fighters. pic.twitter.com/3QzC7nQgsA
— Wasan Shoresh (@K4life_) 5 Octobre 2014
Un atout et des revendications
Dans leur lutte, de nombreuses combattantes affirment avoir un avantage : les jihadistes ont peur d'elles. Se faire tuer par une femme interdirait l'entrée au paradis. Une Kurde syrienne affirme à Foreign Policy (en anglais) que "ces mecs d'Al-Qaïda deviennent dingues quand ils entendent qu'ils combattent des femmes". A l'AFP, une autre raconte "qu'ils avaient plus peur de nous que des hommes. Ils pensent qu’ils iront en enfer s’ils sont tués par une femme."
Sur le front, elles occuperaient la même place que les hommes. "Les combats qui ont lieu sont de l'ordre de la guérilla, ils ne nécessitent pas une force physique particulière, affirme Sandrine Alexie, de l'Institut kurde de Paris, à 20 Minutes. Les femmes remplissent donc les mêmes missions que les hommes ; elles ont même la réputation de faire de meilleurs snipers parce qu'elles seraient plus patientes."
In #Kobane, Kurdish women fighters gave a new meaning to womanhood & deconstructed the patriarchal hierarchies. Feminism couldnt do that.
— Kamal Chomani (@KamalChomani) 5 Octobre 2014
Dans un reportage au Kurdistan irakien, Slate tempère. Si les femmes peuvent se battre, "elles restent extrêmement minoritaires dans la société et ne sauraient faire oublier les très fortes inégalités qui persistent, et le véritable fléau national que sont au Kurdistan la violence domestique et les crimes d’honneur".
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