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Assassinat de James Foley : "C'est la politique de la terreur totale et absolue"

Après la publication de la vidéo de l'exécution du journaliste américain par l'Etat islamique, Abdelasiem El Difraoui, spécialiste de la propagande jihadiste, décrypte pour francetv info la portée de cet acte de barbarie.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le bourreau du journaliste américain James Foley, tel qu'il apparaît dans la vidéo de l'exécution.  ( YOUTUBE)

Il y a l'horreur de l'acte barbare, bien sûr. Mais la mort de James Foley est aussi, et surtout, une mise en scène. Abdelasiem El Difraoui, spécialiste de la propagande jihadiste, a recensé la quasi-totalité de la production de vidéos des différents groupes radicaux dans son ouvrage Al-Qaïda par l'image (PUF). Selon lui, l'assassinat du journaliste américain s'inscrit dans la droite ligne de ce qu'il appelle "le récit jihadiste" qui détourne la mythologie de l'islam dans un seul but : "Susciter la peur au cœur de l'ennemi."

Francetv info : Pourquoi l'Etat islamique (EI) a-t-il mis en ligne cette horrible vidéo de la mort de James Foley ?

Abdelasiem El Difraoui : Cette mise en scène se rapproche de ce que j’appelle la "vieille culture ou non-culture d’entreprise" de toutes les organisations jihadistes qui ont précédé l’EI. Il n’y a vraiment rien de nouveau, car il faut rappeler que ce groupe terroriste est le successeur d'Al-Qaïda en Mésopotamie et d'Ansar Al-Sunna. Ce groupe était dirigé par le tristement célèbre "boucher de Bagdad", Abou Moussa Al-Zarkaoui, tué lors d'un bombardement américain en 2006, dont l’actuel patron de l’EI était un proche. En 2004-2005, on a vu ces mêmes mises en scène d’horreur totale avec l’exécution d'une demi-douzaine d'Américains et de Britanniques… Tous étaient habillés en combinaisons orange semblables à celles des prisonniers de Guantanamo. Dans le cas de James Foley, l'un des éléments nouveaux est que le bourreau est anglophone et très certainement issu de la classe moyenne anglaise ou des milieux populaires.

Pour certains analystes, cette mise en scène macabre aurait pour but de favoriser un rapprochement entre l’Etat islamique et Al-Qaïda…

Je ne le pense pas. Selon moi, un précédent historique vient contredire cette thèse. Au moment des massacres en Irak, au début des années 2000, le chef actuel d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zaouahiri, qui était à l’époque le numéro deux, a écrit au "boucher de Bagdad" pour lui dire de cesser ce genre de pratiques trop violentes. Il redoutait que ce type d’horreurs ne provoque une aversion des sympathisants potentiels sunnites. Il trouvait cela vraiment trop barbare.

L’homme qui a exécuté James Foley occupe-t-il, selon vous, une place importante dans la hiérarchie de l’EI ?

En tout cas, avec cet acte, il a donné la preuve qu’il fait à 100% partie du groupe. Un sociologue français a comparé les règles de la mafia à celles de structures terroristes. Pour lui, commettre un grand crime, c’est affirmer qu’on est un véritable affranchi, ou un initié. C'est-à-dire que le bourreau a franchi un point de non-retour. C’est un rite de passage par l’ultrabarbarie.

En quoi précisément la publication de cette vidéo est-elle un acte politique ?

C’est la politique de la terreur totale et absolue. L’objectif est de servir une propagande qui dépasse l’exécution de la pauvre victime. Il s’agit de mettre en œuvre le credo jihadiste : terroriser les cœurs des ennemis. Déjà en 2003-2004, cette terreur a paralysé la reconstruction irakienne. Les victimes ont certes été américaines, mais aussi népalaises, turques… Plusieurs nations ont ainsi été touchées pour faire fuir les étrangers, et donc compromettre un peu plus un éventuel redémarrage du pays. Voilà ce que peut engendrer une guerre asymétrique par la terreur.

Aujourd’hui, avec l’assassinat de James Foley, ils veulent aussi montrer qu’ils peuvent riposter aux attaques américaines. Mais là, ils empruntent une voie plus que dangereuse. Le couteau du boucher peut être à double tranchant. Cette barbarie peut choquer les alliés de l’Etat islamique, à savoir les tribus sunnites, les ex-baassistes…

Certains affirment que le seul fait de montrer quelques secondes de cette horrible séquence vidéo, c’est déjà faire œuvre de propagande. Qu’en pensez-vous ?

Je ne le crois pas. Les gens sont tellement choqués que cela perd toute efficacité, si je puis dire. Rappelez-vous de Nicholas Berg, cet homme d’affaires américain, pris en otage et tué en Irak par Abou Moussa Al-Zarkaoui en personne, dont on a pu voir l’exécution sur une vidéo du même genre en 2004. Dans un premier temps, il y a eu des centaines de milliers de recherches sur internet. Mais très vite, les gens se sont quand même lassés de ce spectacle barbare. Et quand il y a eu d’autres exécutions, plus personne ne voulait voir cela.

Avec le cas de James Foley, l’EI tente de restaurer cette pratique. Mais ce spectacle macabre va à nouveau perdre très vite son impact. Bien sûr, on peut constater une différence avec 2004. Avant, il fallait aller sur les forums jihadistes pour trouver ce type d’images. Désormais, avec les réseaux sociaux, le jihad médiatique s’opère en un clic.

Ce qu’il faut sans cesse rappeler, c’est que tout cela n’a rien de musulman. Dans l'islam, il y a des règles de guerre assez précises : un prisonnier peut, par exemple, se convertir et être absous. Avec l'EI, nous sommes face à une secte de malades. Au regard de la religion musulmane, c’est une folie totale que de proclamer le califat. Même Oussama Ben Laden ne l’a pas fait. Vous remarquerez que, sur les drapeaux de l’EI, il y a le sceau du prophète. Cela démontre aussi une mégalomanie qui va de pair avec cette totale barbarie.

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