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Quelles ressources faut-il cibler pour couper les vivres à l'Etat islamique ?

La probabilité d'une intervention militaire au sol étant faible, la stratégie adoptée par la coalition consiste à frapper le groupe terroriste au portefeuille. Concrètement, comment cela se passe-t-il ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un char de l'Etat islamique dans les rues de Raqqa, en Syrie, le 30 juin 2014.  (REUTERS)

"L'Etat islamique est l'organisation terroriste la plus riche à laquelle nous avons eu affaire, a déclaré l'an dernier le sous-secrétaire américain au terrorisme, David Cohen. Nous n'avons pas de baguette magique pour vider ses coffres en une nuit." Mais, depuis plus d'un an, les Etats-Unis, rejoints par les autres pays de la coalition, s'emploient à affaiblir le groupe jihadiste sur ses principales ressources. Et cela peut aller plus loin que la batterie de mesures présentées par Michel Sapin, lundi 23 novembre.

Le pétrole, ressource n°1

C'est la ressource principale de l'Etat islamique. Le groupe jihadiste contrôle des champs pétroliers importants en Syrie et en Irak dont l'exploitation rapporte entre un et trois millions de dollars par jour. Le pétrole est transformé dans des raffineries mobiles, qui peuvent cracher 300 à 500 barils par jour, explique Foreign Policy. Le carburant est ensuite acheminé dans les pays voisins et revendu à des intermédiaires qui se chargent de l'écouler sur le marché local. Pour être concurrentiel, le pétrole de l'Etat islamique négocie sa production bien en dessous du cours officiel (en novembre, 22 dollars le baril contre 44 à la Bourse de Londres). Le marché turc est particulièrement porteur, car l'essence y est lourdement taxée. 

Que faire ? Les Etats-Unis et la France ont multiplié les frappes aériennes sur les plus grosses raffineries, certaines construites par Elf en Syrie dans les années 1980. Les raffineries mobiles commencent à être touchées. Ce qui ralentit la production de l'EI, et pourrait l'amener à terme à exporter son pétrole brut, donc moins cher. Mais, pour tarir la principale manne de l'organisation, il faudrait stopper le marché noir, notamment vers la Turquie. Un business bien rôdé depuis les années 1990 et les sanctions qui ont frappé l'Irak de Saddam Hussein après son invasion du Koweit. Pour l'instant, l'ONU s'est bornée à menacer de sanctions les pays brisant l'embargo sur la Syrie.

La ville de Kobané (Syrie) lors d'une frappe aérienne américaine, le 8 octobre 2014. (MURAD SEZER / REUTERS)

Le trafic d'antiquités, un business ultra-rentable

C'est la seconde source de financement de l'organisation – 100 millions de dollars en 2014 d'après le Wall Street Journal –, qui procède au dépeçage méthodique du patrimoine syrien et irakien. Qui le sous-traite même, car l'usage du bulldozer et de la truelle ne constitue pas son activité principale. L'Etat islamique encourage les populations locales à démanteler les antiquités, et prélève sa dîme sur les recettes : de 20% dans la région d'Alep à 50% pour un objet d'art islamique en or du VIIe siècle dans la région de Raqqa, détaille le New York Times.

Que faire ? Pas grand-chose. Les importations de produits culturels venus de Syrie ont bondi de 134% aux Etats-Unis en 2013, et ce n'est que la face émergée de l'iceberg. Difficile de contrer un marché clandestin, avec des commanditaires qui sont de riches collectionneurs occidentaux ou chinois. 

Des antiquités syriennes mises en lieu sûr à Damas, la capitale, le 18 août 2015. (OMAR SANADIKI / REUTERS)

Les enlèvements, un marché porteur

C'est l'un des secteurs en plein boom, imperméable aux sanctions commerciales occidentales. On estime à 20 millions de dollars les profits annuels du groupe jihadiste dans le kidnapping, selon le Trésor américain. Si les Etats-Unis ont pour doctrine de ne jamais payer de rançon, c'est beaucoup moins vrai de l'autre côté de l'Atlantique. Certains Etats payent plusieurs millions de dollars, déguisés en aide au développement au pays concerné, pour libérer leurs ressortissants. Et, à plus petite échelle, les entreprises passent également à la caisse : le New York Times décrivait en 2014 le cas d'une société suédoise qui avait versé 70 000 dollars pour faire libérer un de ses cadres, enlevé par l'EI. 

Que faire ? Les pays du G8 ont affirmé en 2013 qu'ils ne paieraient plus de rançon. Et l'ONU a voté une résolution en février demandant à ses membres de chercher à libérer leurs ressortissants enlevés sans bourse délier. Reste à appliquer ces principes. 

Le racket de la population locale, une solide logistique

La vie quotidienne des 8 millions de personnes vivant sous la coupe de l'organisation terroriste est devenue un enfer. Pour obtenir de l'électricité ? Il faut payer une taxe. Pour que les téléphones portables continuent d'avoir du réseau ? Les entreprises doivent s'acquitter d'un impôt. Il existe aussi une taxe supplémentaire pour les (rares) chrétiens encore présents dans la région, détaille le Council of Foreign Relations. A Mossoul, le gouvernement américain estime que le racket rapporte 12 millions de dollars par mois. La bureaucratie a suivi : un homme d'affaires syrien a ainsi reçu un coup de fil du contrôleur du fisc de l'EI alors qu'il était en vacances en Turquie, raconte le Daily Telegraph : son associé avait été arrêté et ne serait pas relâché tant qu'il n'aurait pas versé les 100 000 dollars qu'il devait "au Califat." 

L'Etat islamique n'hésite pas à concurrencer l'Etat irakien pour le transport de marchandises. Sur les routes que l'EI contrôle, avec l'aide de tribus sunnites, les tarifs de droit de passage sont beaucoup moins élevés que sur les voies gérées par le gouvernement. Cerise sur le gâteau : l'EI délivre un faux récipissé officiel à chacun de ses usagers, qui permet de passer les barrages à l'entrée des grandes villes, relève le Brookings Institute

Que faire ? Le gouvernement irakien tente de tarir la source du racket en gelant le paiement des salaires des fonctionnaires du nord du pays, ponctionnés à 50%, relève Foreign Policy. Reste le problème en Syrie. Bachar Al-Assad n'a pas levé le petit doigt pour protéger les populations. 

Le coton, la nouvelle mine d'or du groupe ?

Avant l'arrivée de l'Etat islamique, la Syrie était l'un des principaux exportateurs de coton, notamment de coton bio. Les jihadistes ont relancé la production, à un niveau moitié moindre qu'en 2011. D'après Anne-Laure Linget-Riau, experte dans l'approvisionnement de l'industrie textile, ce marché a rapporté 150 millions de dollars aux jihadistes entre septembre 2014 et septembre 2015. Un chiffre minoré à 10 millions de dollars par le spécialiste du financement du terrorisme Jean-Charles Brisard. Le coton transite vers la Turquie, place forte de l'industrie textile, où il est transformé en tee-shirts avec une étiquette "Made in Turkey". Ce business est parfaitement intraçable. Anne-Laure Linget-Riau estime que 1,2% des tee-shirts vendus en France ont alimenté les caisses de l'Etat Islamique, relève le site spécialisé Orient XXI

Que faire ? La Turquie a officiellement cessé d'acheter du coton en provenance de Syrie en septembre, peut-être à cause de pressions américaines, suggère Le Figaro. Mais pas sûr que cela mette fin au trafic à la frontière, poreuse, avec les zones contrôlées par l'Etat islamique.

L'agriculture, une affaire qui roule

Le groupe Etat islamique contrôle le grenier à blé de la Syrie, autour de Raqqa. En Irak, la région de Mossoul représente 40% de la production nationale de blé. Même si la production est en chute libre (elle a été divisée par deux en Syrie entre 2011 et 2014 d'après l'institut de recherche Chatham House), les bénéfices de l'agriculture représentent environ 7% des revenus annuels du groupe, d'après le magazine belge Le Vif.

Des paysans dans un champ, près de la ville de Tel Abyad, à la frontière turco-syrienne, le 24 septembre 2014.  (REUTERS)

Que faire ? Les Etats-Unis n'ont pas mené que des frappes aériennes sur des raffineries de pétrole, mais ciblent aussi des silos à grains pour épuiser les réserves de l'organisation terroriste, note CNN.

Les dons des mécènes étrangers, toujours possibles

L'Etat islamique a pu bénéficier à ses débuts de donations de riches mécènes du Qatar et du Koweit, notamment. Même si la proportion des dons dans le financement du groupe terroriste a progressivement fondu, il a fallu attendre 2014 pour que ces deux pays durcissent leur législation contre le financement du terrorisme. Sans trop faire de zèle pour appliquer la loi dans les faits. "Ces deux pays ont encore du travail", fustige le sous-secrétaire américain David Cohen dans le Wall Street Journal, saluant les efforts de l'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis dans ce domaine.

Que faire ? La solution pour tarir ces donations est de couper l'EI du système bancaire international, et de rendre de fait impossible tout virement vers les comptes de l'organisation depuis l'étranger. Ce qu'a mis en place le gouvernement irakien cette année. Le siège de la principale banque du nord du pays, la Mossoul Development Bank, a migré à Bagdad pour ne plus être sous la coupe des terroristes. Mais rien n'a été fait en Syrie, où le gouvernement Assad encourage les banques à poursuivre leurs activités dans la zone contrôlée par l'Etat islamique, déplore le Washington Institute

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