Cet article date de plus de dix ans.

Qui sont les trois candidats au jihad en Syrie jugés à Paris ?

Le procureur a requis entre trois et six ans de prison à l'encontre de Fares Farsi, Salah-Eddine Gourmat et Youssef Ettaoujar, arrêtés en 2012 alors qu'ils s'apprêtaient à s'envoler pour la Turquie. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Youssef Ettaoujar, Fares Farsi et Salah-Eddine Gourmat (de gauche à droite) à la barre du tribunal correctionnel de Paris, le 30 janvier 2014. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Ils seraient 700 Français impliqués de près ou de loin dans la guerre ou l'envoi de jihadistes en Syrie, 250 à vouloir combattre. Si le périple avorté de deux mineurs toulousains remet en lumière les velléités guerrières de ces hommes souvent jeunes, le procès de trois jeunes majeurs pour "association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes", jeudi 30 et vendredi 31 janvier au tribunal correctionnel de Paris, permet d’en apprendre un peu plus sur le profil de ces aspirants combattants.

Ici, tout commence par une rencontre : celle de Fares Farsi, Salah-Eddine Gourmat et Youssef Ettaoujar, arrêtés en mai 2012 à l'aéroport de Saint-Etienne (Loire) alors qu'ils partaient pour la Syrie via la Turquie, selon des écoutes téléphoniques. 

Quelques mois plus tôt, en décembre 2011, le trio se retrouve à une réunion organisée à Nice par Omar Diaby, un membre du groupuscule terroriste Forsane Alizza, dissout par Manuel Valls en 2012. "Omar Sy", comme s’amuse à le présenter Youssef, montre des vidéos projihadistes, souvent violentes. 

"Je me suis gavé de vidéos"

Fares Farsi, étudiant de 19 ans en licence d'administration et échanges internationaux à Créteil (Val-de-Marne), s'y montre sensible. Depuis quelques mois, ce sportif de haut niveau reste à la maison, immobilisé par une blessure au genou. L'ambiance est délétère. Ses parents sont en instance de divorce, ça coince avec son père. "Il me traitait de tous les noms, voulait que je parte du domicile. Je cherchais un moyen pour fuir mon quotidien", raconte Fares, joues rasées de près, coiffure au gel et musculature moulée dans son tee-shirt.

Son échappée débute via internet. "Je me suis gavé de vidéos qui racontaient le jihad, qui disaient que c'était une cause juste. Elles jouaient sur les émotions", raconte-t-il avec gravité. Et d'ajouter : "Je pensais que porter les armes était une forme de piété." Sur Facebook, il se rebaptise "Fares, le cavalier perse", situe sa ville actuelle à Bagdad, remplit ses opinions politiques avec "Islamic Shariah". Le jeune homme y poste des images et vidéos projihadistes.

Sa rencontre avec Salah-Eddine et Youssef accélère le processus. "Je n'avais pas d'amis. J'échangeais énormément avec eux." Le projet de jihad se met en place, indique-t-il, tandis que ses deux amis assurent aux enquêteurs avoir voulu filmer des camps de réfugiés. Youssef le décrit comme l'un des plus "déterminés" ; il finance le voyage, presse le départ maintes fois retardé par des tergiversations sur la destination finale.

Fares martèle aujourd'hui n'avoir jamais "voulu prendre les armes". Se dit soulagé d'avoir eu le rôle de caméraman. Des discussions enregistrées entre Salah-Eddine et Youssef le confirment. Quelques semaines avant le départ, il se montre déstabilisé, freiné par des "vidéos horribles de massacres" et par l'affaire Merah. "Ça m'a choqué. Un combattant de Dieu ne pouvait pas tuer des enfants, explique-t-il. Cette affaire a été l'un des déclencheurs de la fin de ma radicalisation."

"Des photos de Ben Laden, tous les musulmans en ont"

Salah-Eddine, 22 ans au moment des faits, se montre plus taiseux sur ses convictions. Que pense-t-il de Merah ? "J'ai mon opinion, et vous n'avez pas besoin de le savoir", répond ce visage émacié au bouc brun, arrivé par deux fois en retard aux audiences et toujours prompt à l'insolence. Même réponse lapidaire sur le 11-Septembre.

Lui aussi s’est déscolarisé. En février 2012, ce Franco-Algérien, vivant à Malakoff (Hauts-de-Seine) chez ses parents, abandonne son BTS "pour approfondir [ses] connaissances en religion". "Je lisais le Coran, les prêches du prophète", raconte-t-il, enveloppé dans une parka sombre. 

Son père confirme le glissement. Devant les enquêteurs, Kamel Gourmat dit s'être s'inquiété du comportement "étrange" de son fils depuis la rencontre de Nice. Salah-Eddine découche, lit des ouvrages "peu recommandables", passe "ses nuits sur internet" et ses journées au téléphone. "J'avais averti mon fils sur le fondamentalisme", raconte ce musulman non pratiquant, qui lui confisque ses papiers de peur qu'il ne parte en Libye.

Des photos de Ben Laden et de Mohamed Merah ont été retrouvées sur le disque dur de Salah-Eddine Gourmat. Frondeur, il rétorque que "tous les musulmans en ont". Pour justifier son départ, il se dit "concerné par ce qu'il se passe chez les musulmans, car c'est [sa] communauté". Mais ce "solitaire" continue de marteler que le voyage était destiné à filmer, adoptant la même défense que Youssef, un ami avec lequel il a renoué en 2010 à la mosquée. "S'il y a un suiveur, c'est lui", le défend ce dernier. Reste que pour les avocats des deux autres, il est le plus radical du groupe. 

"S'il y avait eu un entraînement, je l'aurais fait"

C'est pourtant bien Youssef, présenté comme "l'émir" du groupe par les enquêteurs, qui comparaît détenu. Il est "le plus expérimenté", affirme Fares. Avant que le trio ne se forme, ce Franco-Marocain, père d'une enfant de 2 ans prénommée Jihad, vivant entre Paris et Valence (Drôme), a déjà bourlingué. Au Maroc, en Syrie, en Mauritanie et au Mali, où il possède des "contacts", d'après ses deux comparses. "Je vais pas aller à Ibiza", se justifie-t-il quant au choix de ces destinations, précisant être musulman pratiquant, donc aller "dans des pays musulmans pratiquants".

"J'ai jamais été radical. Je pratique ce qu'il y a à pratiquer. Je sais pas c'est quoi le fondamentalisme" (sic), assure-t-il, sans jamais se départir de son sourire sous sa barbe taillée en pointe. Lui aussi évoque un séjour pour filmer "la tristesse". Il parle de "vacances", d'un "délire" entre amis. Poussé dans ses retranchements, il admet pourtant : "S'il y avait eu un entraînement pour les armes, je l'aurais fait." Et rappelle que dans l'islam, "quand un pays musulman est attaqué, c'est une obligation de le défendre"

Jusqu'où le trio serait-il allé ? Les réponses restent incomplètes. Fares confie n'avoir pas été "dans l'esprit d'un aller sans retour". Il bute, en revanche, sur les intentions de ses deux comparses. Interrogé sur ce point, Youssef explique n'avoir jamais pris d'aller-retour de sa vie, prétextant une "habitude" héritée de ses parents. Salah-Eddine finit, lui, par admettre qu'une fois là-bas, le but était bien de se procurer des armes.

Si le passé reste flou, l'avenir l'est tout autant. Après trois mois de travail, Salah-Eddine a pris "une pause pour [se] reposer", parle de retraite spirituelle. Pour Youssef, détenu depuis presque deux ans, la priorité est de s'occuper de sa fille. Seul Fares a trouvé un emploi stable : un CDI comme hôte d'accueil sur les Champs-Elysées. Ils encourent jusqu'à dix ans de détention. Le parquet a requis à leur encontre des peines de trois à six ans de prison. Jugement attendu le 7 mars.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.