Visite de Charles III en France : comment le roi britannique a fait de l'écologie son sujet préféré
"God save the (green) King" ? Le souverain britannique Charles III débute, mercredi 20 septembre, une visite d'Etat de trois jours en France prévue initialement fin mars, mais qui avait dû être reportée face à la mobilisation contre la réforme des retraites. A Paris, le monarque participera aux côtés d'Emmanuel Macron à une réception d'entrepreneurs français et britanniques, centrée sur leurs projets de protection de l'environnement et de la biodiversité.
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Dans la région de Bordeaux, Charles III rencontrera des habitants touchés par les incendies de l'été 2022, puis visitera un vignoble à l'approche "durable". Ce déplacement, placé sous le signe de l'écologie, est à l'image de son engagement. Depuis des décennies, le souverain se présente en défenseur de l'environnement. Mais quels sont les actes derrière ses discours ?
Un prince de Galles "en avance sur son temps"
Nous sommes le 19 février 1970. Le prince de Galles a 21 ans quand il cite, dans un discours prononcé à Cardiff, l'écologiste britannique Frank Fraser Darling. "Il avait peur que 'les gens se lassent du mot écologie avant de savoir ce qu'il signifie' et je pense qu'il y a un vrai danger que cela se produise", anticipe celui qui est alors étudiant à Cambridge. Charles dénonce les "effets effroyables de la pollution, sous toutes ses formes cancéreuses". Il alerte sur "la menace croissante" de la pollution par les hydrocarbures en mer, sur la pollution de l'air causée "par les usines" et l'usage sans limites des "voitures et avions".
Ses mots tranchent avec l'époque. "Il était en avance sur son temps, il a reconnu ce problème bien avant de nombreux décideurs", souligne Bob Ward, directeur des politiques à l'Institut de recherche Grantham sur le changement climatique et l'environnement. Cette prise de conscience est une histoire de famille. Son père, le prince Philip, était déjà engagé contre la pollution et auprès de WWF. Pour Charles, elle se concrétise au fil de "longues promenades et d'observation de la faune et de la flore", relate-t-il en 2008 à la Royal Meteorological Society. "J'ai toujours été l'une de ces personnes qui adorent être dehors."
"A l'adolescence, j'ai commencé à être profondément attristé – et en fait énervé – par ce que je voyais comme la destruction inutile d'une grande partie des habitats naturels."
Le prince Charlesà la Royal Meteorological Society
Mais l'engagement du prince est aussi pragmatique. "La monarchie a besoin de trouver de nouveaux sujets pour rester pertinente. (...) Il façonnait son rôle de prince de Galles, et il a vu l'opportunité de parler d'environnement", relève l'historien de la monarchie britannique Ed Owens.
A l'époque et dans les décennies qui suivent, l'écologie est un sujet déconsidéré, méprisé. Pourtant, le prince reste ferme sur ses convictions. "Les gens se moquaient de lui parce qu'il défendait l'environnement", se remémore Bob Ward. A la fin des années 1980, alors que le Royaume-Uni déverse ses eaux usées dans la mer du Nord, Charles alpague le gouvernement, provoquant la fureur du secrétaire d'Etat à l'Environnement, rapporte le Guardian.
Des projets en faveur d'"une voie plus durable"
Le futur roi se permet aussi quelques libertés. Dans sa biographie Charles III, Philip Kyle raconte que le prince ne suivait pas toujours les corrections du gouvernement sur ses discours – notamment sur l'environnement. "Cela a mis de nombreux membres du gouvernement mal à l'aise", commente Ed Matthew, du cercle de réflexion E3G sur le climat.
Le prince de Galles alerte tôt sur la gravité du réchauffement climatique. Dès 2005, il met en garde contre le "plus grand défi à relever pour l'homme". Il critique les climatosceptiques et les "lobbyistes" qui font de la Terre un "patient mourant". Dans son livre intitulé Harmony : une nouvelle façon de regarder notre monde, sorti en 2010, il dépeint le rapport prédateur de l'homme à la nature.
En parallèle de ses discours, Charles entreprend plusieurs projets pour l'environnement. En 1985, il convertit sa propriété de Highgrove dans le Gloucestershire à l'agriculture durable. Il interdit l'usage de pesticides, met en place des panneaux solaires et un système de récolte de l'eau de pluie. Il introduit des cheptels d'animaux, dont des espèces menacées comme le bœuf Angus ou les cochons rouges Tamworth, relate Le Parisien.
"Le prince Charles a compris que l'agriculture industrielle n'était pas durable. Il a mis en avant une vision différente et a incité les gens à réfléchir à l'origine de leur alimentation."
Bob Ward, directeur des politiques à l'Institut de recherche Grantham sur le changement climatique et l'environnementà franceinfo
Highgrove permet aussi au prince Charles de lancer sa propre marque d'aliments bio, Duchy Originals. Il participe au lancement d'une marque de vêtements présentée comme durable. Il crée sa propre chaîne de télévision sur le développement durable, RE : TV, en collaboration avec Amazon Prime. Charles crée également le Prince's Rainforests Project, pour protéger les forêts tropicales d'un "biocide insensé". Cet engagement s'illustre parfois jusqu'à l'absurde, comme lorsqu'il déclare rouler dans sa luxueuse Aston Martin avec un mélange de biocarburants composé de "surplus de vin blanc anglais et de lactosérum provenant de la fabrication du fromage", cite le Guardian.
Grâce à sa position, le prince Charles n'hésite pas à bousculer les responsables politiques. Lors de la COP26 à Glasgow en 2021, il monte à la tribune pour implorer les dirigeants du monde entier d'agir.
"Les yeux et les espoirs du monde entier sont tournés vers vous, pour que vous agissiez avec diligence et de manière décisive, car le temps s'est écoulé."
le prince Charlesà la tribune de la COP26
En 2020, en pleine pandémie de Covid-19, qu'il voit comme la conséquence de la déconnexion entre l'homme et la nature, il enjoint les industriels à "se tourner vers une voie plus durable". "Il montre que nous devons travailler avec les entreprises pour trouver des solutions. C'est une très bonne chose", juge Bob Ward.
Un train de vie incompatible avec l'écologie
Mais l'engagement de celui que la presse surnomme "le prince vert" n'est pas sans incohérences. Entre 2004 et 2005, dans ses courriers au gouvernement, il fait pression pour obtenir des subventions pour les producteurs d'agneau, de bœuf et de produits laitiers, en dépit de leur rôle conséquent dans l'érosion de la biodiversité.
Lors de ses déplacements aux quatre coins de la planète, il utilise volontiers son avion privé, malgré sa lourde empreinte carbone. Il installe des panneaux solaires sur son manoir londonien, mais refuse d'installer des éoliennes sur son domaine en Cornouailles, les qualifiant de "taches dans le paysage", relate le Guardian. En 2018, son bilan carbone, publié par ses services, s'est élevé à plus de 3 000 tonnes de CO2. A titre d'exemple, en 2021, un Français consommait 8,9 tonnes de CO2 en moyenne en 2021.
Pour John Lubbock, membre d'Extinction Rebellion au Royaume-Uni, Charles III incarne les paradoxes d'une ancienne génération dont l'engagement écologiste n'est plus à la hauteur de l'urgence climatique. "Il reçoit des millions de livres par an du gouvernement pour financer un mode de vie incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique", dénonce-t-il. La famille royale, "comme tous les grands propriétaires", aime à se voir "gardienne de leurs terres", critique l'activiste.
"Charles parle de son amour pour l'environnement, mais l'aristocratie britannique n'est pas favorable aux changements économiques radicaux nécessaires pour une transition écologique juste et décarbonée."
John Lubbock, militant d'Extinction Rebellion au Royaume-Unià franceinfo
Un autre domaine est critiqué par les écologistes : l'absence de considération pour la justice sociale. En 2010, lors d'un discours à l'université d'Oxford, il fait le lien entre la crise climatique et la croissance démographique dans les pays en voie de développement. Or, "ce sont les plus riches qui ont l'empreinte carbone la plus importante", rappelle John Lubbock.
Face à ces critiques, Charles III initie un changement de ton. Début mars, dans son discours du Commonwealth, alors que la monarchie est de plus en plus contestée dans ses anciennes colonies, il déclare : "Que ce soit sur le changement climatique et la perte de biodiversité, (...) le Commonwealth peut jouer un rôle indispensable face aux questions les plus pressantes de notre époque."
Un "soft power" utilisé pour faire bouger les choses ?
En accédant au trône, Charles III sera-t-il plus discret sur la cause qu'il porte depuis plus de cinquante ans ? Le souverain a esquissé une réponse lors de son premier discours télévisé, en septembre 2022. "Il ne me sera plus possible de consacrer autant de temps et d'énergie aux œuvres caritatives et aux questions auxquelles je tiens si profondément", a-t-il concédé.
Certains gardent l'espoir de voir tout de même émerger un monarque écologiste, malgré son obligation de neutralité. "Il y a des questions comme le changement climatique, pour lesquelles je pense qu'il est parfaitement acceptable qu'il continue à faire des déclarations", a commenté en septembre 2022 le Premier ministre australien, Anthony Albanese. "La nécessité d'agir sur le changement climatique devrait être quelque chose qui dépasse la politique", estime-t-il. Pour le constitutionnaliste Robert Hazell, de l'University College de Londres, au contraire, "il s'agit d'un sujet clairement politique" car "les gouvernements divergent sur les actions pour répondre à ce problème".
Depuis qu'il a été proclamé roi, Charles III a déjà dû faire profil bas sur le sujet. Il n'a pas participé à la COP27 après un accord avec le gouvernement.
"Il doit réprimer sa tentation d'exprimer ses opinions publiquement. Il y a une grande différence maintenant qu'il est roi. Tout ce qu'il fait, il le fait sur les conseils du gouvernement."
Robert Hazell, constitutionnalisteà franceinfo
Désormais, l'historien Ed Owens s'attend à voir Charles III "parler en des termes généraux" de l'environnement. A sa place, son fils William, le nouveau prince de Galles, pourrait reprendre le flambeau et "parler de choses plus précises" sur le sujet, envisage-t-il.
Charles III pourrait toutefois garder une influence en coulisses, notamment au sein de sphères plus conservatrices, qu'il a sensibilisées au climat, rappelle Ed Matthew. Quand il est devenu roi, "nous avons perdu un défenseur public du climat", déplore l'observateur. "Mais j'espère qu'il n'hésitera pas à utiliser son 'soft power'." Une influence dont il a déjà usée par le passé.
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