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"I'm not your negro", de Raoul Peck : "C'était pour moi le film impossible"

Dans "I'm not your negro", qui sort en salles mercredi, Raoul Peck raconte l'histoire de la lutte contre les ségrégations raciales aux États-Unis à travers les propos de James Baldwin. Entretien avec le cinéaste haïtien.

Article rédigé par Thierry Fiorile
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Joseph Mankiewicz et James Baldwin dans la foule, extrait du documentaire "I'm not your negro", de Raoul Peck. (DAN BUDNIK)

Le documentaire I'm not your negro, de Raoul Peck, sort en salles mercredi 10 mai. À travers les propos de l'écrivain noir américain James Baldwin, le cinéaste haïtien raconte l'histoire de la lutte contre les ségrégations raciales aux États-Unis, des années 1950 à aujourd'hui, des images d'archives à celles d'actualité. Raoul Peck répond aux questions de franceinfo.

Raoul Peck, réalisateur de "I'm not your negro", en 2017. (LYDIE / SIPA)

franceinfo : Dans ce film, vous adaptez les écrits et les propos de James Baldwin. On peut parler d'un récit à portée universelle ?

Raoul Peck : James Baldwin a toujours voulu être un témoin au milieu de l'action. C'est ainsi qu'il a pu connaître tous ces leader du mouvement, que ce soit Medgar Evers, Malcolm X, Martin Luther King. Il a été un lien entre des gens qui pensaient différemment, qui avaient des visions différentes. Surtout, il écoute. C'est ça la force de Baldwin. Ce qu'il critique c'est ce manque d'empathie de la majorité de la population face aux autres, face à l'autre. Lui fait le contraire, il écoute d'abord et écrit ensuite. Ce qui fait la force du film c'est qu'il ne s'adresse pas aux Noirs particulièrement, ni aux Blancs malgré les critiques que leur porte Baldwin, mais c'est à l'être humain, en face de vous. Il vous dit de ne pas laisser les autres vous définir mais de vous définir vous-même. Et cette définition est tout le temps en construction.

Lui se définit directement comme un Américain, tout simplement.

Oui, mais il le fait dans un contexte. À l'époque, il y avait différents mouvements. Il y avait, par exemple, ceux qui disaient : "L'Amérique nous traite mal. On quitte l'Amérique. On retourne en Afrique." Lui défendait une idée différente qui était de dire : "Nous avons aussi construit l'Amérique. Donc l'Amérique est à nous également." Tous les gens qui vivent aujourd'hui en Amérique, ou la grande majorité, sont des immigrants donc ils n'ont aucun droit de décider qui y reste, qui est américain ou qui n'est pas américain.

Dire "Je suis américain", pour les Blancs ségrégationnistes de l'époque, c'est évidemment insupportable. Vous montrez des images incroyables où l'on comprend clairement que, pour eux, dès lors que l'esclavage est terminé et que la ségrégation est en train de se terminer, le noir ne sert plus à rien.

Absolument. Et c'est une réalité économique. C'est comme les immigrés qui sont venus en France travailler : à un moment donné, on se rend compte que l'économie a changé et que, brusquement, on a envie de s'en débarrasser. En général, il y a une justification économique derrière. Et cela on ne le discute pas, alors que c'est la base même.

James Baldwin fait mal aussi à la bien-pensance blanche. On le voit notamment dans le film, lorsqu'il répond directement à Bob Kennedy qui dit qu'il y aura peut-être un président noir dans 40 ans aux États-Unis. Lui, rappelle que les Irlandais sont arrivés bien après les esclaves.

Oui, il dit : "C'est quand même bizarre, nous on est là depuis 400 ans. Vous, vous venez à peine de débarquer et vous nous faites la leçon en nous disant : 'Soyez patients, si vous êtes gentils, dans 40 ans, vous aurez un président noir.'" Il a cette réparti très ironique, et même drôle, typiquement Baldwin. Il a une capacité à voir les choses dans toutes leurs contradictions et de les redonner sous une forme littéraire formidable.

Vous connaissez bien son œuvre. C'était rassurant, pour vous, de savoir qu'il y avait énormément de matière intellectuelle pour mettre en face des images ? Parce que c'est le pari de ce film.

Au début, c'était pour moi le film impossible : il fallait que la parole soit au-devant de la scène mais, en même temps, je fais un film de cinéma. Et c'est vrai qu'on a oublié comment regarder un certain nombre de ces images. Par exemple, aux États-Unis, il y a chaque année le mois de l'histoire noire. Toutes les écoles et les télévisions repassent ces images en noir et blanc de chiens policiers, de bergers allemands, qui attaquent la foule. Ou celles de Noirs en train de protester contre la répression policière. Au bout d'un moment, ces images ne veulent plus rien dire. Les gens ne les regardent plus. Il fallait trouver des images différentes. Dans certains cas, on les a même colorées pour qu'on les voie différemment. Y compris dans le choix des extraits de films américains. Quand il dit : "Je regarde John Wayne tuer tous ces Indiens." Gamins, et cela reflète ma propre expérience de jeune noir en Haïti, bien entendu nous sommes avec John Wayne parce que John Wayne c'est le héros. On n'est certainement pas avec les Indiens qui sont une bande de sauvages. Et quand on se rend compte que ces Indiens étaient tués par centaines, en fait c'est nous. C'est nous, les Noirs.

Entretien avec Raoul Peck, le cinéaste haïtien, à l'occasion de la sortie en salles de "I'm not your negro", au micro de Thierry Fiorile

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