Pourquoi Donald Trump a annulé le sommet avec Kim Jong-un
Le président américain a annulé jeudi le sommet prévu le 12 juin à Singapour avec le leader nord-coréen Kim Jong-un, dénonçant "la colère" et "l'hostilité" du régime de Pyongyang. Pour Jean-Éric Branaa, chercheur associé à l'institut Iris, la rencontre pourrait avoir été juste retardée pour permettre à Donald Trump de soigner sa cote de popularité.
Ce n’est pas par un tweet, mais par une lettre adressée à Kim Jong-Un, que Donald Trump a informé le monde de sa décision. La surprise a été grande, et pourtant, cela bouillait depuis quelques semaines : fin avril, il y a déjà eu de l’eau dans le gaz et la mauvaise humeur a commencé à monter des deux côtés du Pacifique.
Du côté américain, alors qu’on la souhaitait activement auparavant, la soudaine intervention de la Chine dans ce dossier n’a pas été comprise : le président Xi a rencontré deux fois Kim Jong-un en un mois, alors qu’il avait toujours refusé de le faire au cours des trois années précédentes. Il en a été conclu que la Chine voyait d’un mauvais œil l’idée de perdre le rôle de "grand voisin" à qui les Américains demandaient inlassablement d’intervenir. Car, en échange, les États-Unis ont régulièrement fermé les yeux dans d’autres dossiers, notamment commerciaux.
Côté coréen (du Nord), la perspective de changer de monde a fini par faire peur : Kim Jong-un a voulu rivaliser avec Donald Trump, lui reprochant de s’accorder tous les mérites de cette rencontre, puis faisant éclater sa mauvaise humeur lorsque des manœuvres militaires étaient organisées conjointement avec la Corée du Sud ou affirmant avec vigueur que la dénucléarisation ne signifiait pas forcément l’abandon total de l’arme nucléaire. En montrant les muscles et en durcissant les rapports avec ceux qui lui tendaient la main, Kim Jong-un a pris le risque que tout capote.
Et c’est ce qui est arrivé ! Du moins, pour l’instant. Mais la raison avancée – à savoir l’hostilité de Kim Jong-un au processus de paix et les insultes adressées par un membre de son entourage au vice-président des États-Unis – a pu sembler très décalée par rapport à l’enjeu.
Comme les autres présidents ?
À ce stade, Donald Trump n’a donc pas fait mieux que les présidents qui l’ont précédé. Le ton employé a bien été plus fort cette fois-ci et on pensait que cela aurait pu enfin favoriser une issue à un conflit qui dure depuis soixante-dix ans. Donald Trump a alterné le chaud et le froid et, après avoir promis "le feu et la fureur", a annoncé que la Corée du Nord "ne regretterait vraiment pas" de passer un accord avec les Américains, et que le régime de Pyongyang serait ainsi protégé.
Mais, dans le même temps, l’administration Trump n’a cessé de rappeler que le souvenir de 1994 ne s’était pas effacé et que l’accord obtenu par Jimmy Carter, sous Clinton, et trahi presque aussitôt par Pyongyang, incitait à rester sur ses gardes : rien ne serait cédé, a alors martelé Donald Trump, et la dénucléarisation devrait être totale. C’est cette volonté forte et clairement affichée qui a enthousiasmé les Coréens du Sud, qui ne rêvent que de paix et de territoire réunifié. Le Président Moon Jae-in a ainsi fait le premier pas, et sa rencontre avec Kim Jong-un appartient, de toute façon, déjà à l’Histoire, tout comme le nom du village de Panmunjom dans la Zone démilitarisée (DMZ) séparant les deux Corées, qui a accueilli fin avril le sommet intercoréen.
Le poids des évangélistes américains
Effectivement, rien n’a été cédé par Donald Trump et il faut le relever : la demande de dénucléarisation a été maintenue avec fermeté, même si le président américain assurait le matin même de sa fracassante annonce sur l’annulation du sommet qu’elle pourrait intervenir par paliers. Les manœuvres militaires conjointes n’ont pas été suspendues, et il n’a jamais été question non plus de rapatrier les 28 500 soldats américains qui stationnent dans la péninsule : la présence des Forces américaines en Corée (USFK) est un sujet relève exclusivement de l’alliance entre la Corée du Sud et les États-Unis. "Cela n’a rien à voir avec la signature d’un traité de paix", a déclaré Moon Jae-in à ce sujet.
Le ton est donc différent de ce que l’on a connu par le passé. Mais il y a un point sur lequel tous les présidents américains se rejoignent et qui explique aussi la mauvaise humeur constante de Kim Jong-un : Donald Trump exige, comme l’ont fait tous ses prédécesseurs, qu’il y ait une discussion sur les droits de l’homme en Corée. Cette exigence n’était pas présente au début de leurs échanges, juste après l’élection du 45e président. Mais elle a été poussée avec constance et détermination par les évangélistes, un courant religieux très actif au sein des protestants américains. Or, ces derniers pèsent lourdement dans le débat politique actuel, grâce au soutien que leur groupe a apporté à Donald Trump en 2016 et qui a largement contribué à sa victoire.
Kim Jong-un ne veut pas entendre parler de cette question ? Peu importe ! Le président des États-Unis a évoqué ce sujet à l’occasion de trois discours forts en à peine quelques mois, y compris lors de son discours de l’Union, auquel il a invité un transfuge de Corée du Nord, venu dans l’enceinte du Capitole montrer au monde ses blessures et la cruauté du dictateur coréen.
La discussion continue ?
Donald Trump entend engager la discussion sur des bases nouvelles, fort de son "art de la négociation" qu’il prétend maîtriser mieux que les autres. Au-delà de sa vantardise, il faut lui concéder que le ton a changé : il a promis la protection à Kim Jong-un et résiste, dans les intentions en tout cas, aux injonctions de ses plus fidèles lieutenants qui sont plutôt favorables à un changement de régime.
Son art de la négociation passe pourtant toujours par des changements de ton très brutaux : c’est peut-être bien ce à quoi nous assistons aujourd’hui, alors qu’il a "cornerisé" Kim Jong-un, l’obligeant désormais à réagir, tout en lui rappelant que la discussion n’était que suspendue (et non pas fermée). Une manière de rappeler à ce "petit homme fusée", comme il l’appelait au plus fort de la crise, que le chef, c’est lui, et qu’ils ne sont pas égaux.
Kim Jong-un lui a répondu avec des termes très proches de ceux utilisés par le président américain dans sa lettre. Le dirigeant nord-coréen lui fait savoir qu’il a "hautement apprécié le fait que le président Trump a pris une décision courageuse qu’aucun président par le passé n’a su prendre et pour ses efforts en faveur du sommet". La porte n’est donc fermée d’aucun côté, et les discussions pourront continuer en vue de remettre sur les rails ce sommet qui a tant apporté à la cote de popularité de Donald Trump ces dernières semaines.
On ne peut s’empêcher de penser, toutefois, que si le sommet pouvait juste avoir été retardé de cinq mois, afin de se tenir finalement à quelques jours de l’élection de mi-mandat, en novembre 2018, ce serait une véritable aubaine pour les républicains. Mais personne n’imagine que c’est là une raison possible pour cette suspension brutale, n’est-ce pas ?
Jean-Éric Branaa, maître de conférences politique et société américaines et chercheur associé à l'institut Iris., Université Paris 2 Panthéon-Assas
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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