Orthographe : je fais des fautes, mais je me soigne
Peut-on triompher de ses lacunes en orthographe ? J'ai suivi deux jours de formation.
Saviez-vous qu'on écrit "ils se sont tenu la main", mais "ils se sont tenus par la main" ? Qu'on met un s au participe passé dans la phrase "ils se sont laissés aller", mais pas dans "ils se sont laissé prendre" ? Moi, non... comme beaucoup de Français. A une époque où nul n'échappe à l'écrit, les fautes d'orthographe entravent la vie privée et professionnelle de milliers de Français.
Parmi eux, des secrétaires (qui écrivent beaucoup), des chefs d'entreprise (qui ont des secrétaires), des journalistes (qui écrivent plus ou moins bien), des médecins (qui écrivent parfois des mots qui ressemblent à ça : "_______" ), j'en passe et des pires : la tare en question n'a cure du sexe, de l'âge ou de l'origine de la personne sur laquelle elle s'abat. En revanche, elle n'est pas incurable. Pour enfin triompher de mes lacunes, mes chefs m'ont envoyée suivre j'ai suivi un stage de deux jours à destination d'adultes en guerre contre les participes passés, les homonymes et les mots composés.
Retour sur un plan d'attaque en trois phases.
Phase 1 : surmonter le tabou (et la honte)
Même chez les alcooliques anonymes, on prend cinq minutes pour se présenter. Pas chez les sevrés du Bescherelle. Il est 9 heures lorsque j'arrive dans la salle de réunion où se déroule mon stage au nom périlleux : "Jonglez avec la grammaire et l'orthographe". Pas sur un tricycle, non, mais disons que dans un e-mail, déjà, cela ne serait pas mal. Avec le sourire de circonstance, le formateur nous accueille, propose un café, un mini-croissant, un verre d'eau, mais saute le tour de table. Nous ne sommes que huit, mais même en petit comité, personne n'aime exhiber son talon d'Achille. Qu'importe si Valérie, Najat et Laurent travaillent ensemble et seront bientôt suivis par d'autres collègues. Qu'importent le job de Nathalie ou les difficultés spécifiques de Maryse. Qu'importe aussi si les confrères journalistes chargés de me corriger fantasment à l'idée de jouer aux fléchettes avec une photo de moi en guise de cible. "L'orthographe n'est pas une question d'intelligence", commence le formateur. Ouf. Mais un tabou, en revanche…
Au cours de sa carrière de "coach", Bernard Fripiat a vu la honte de près. Il a signé des clauses de confidentialité, promettant de ne pas mentionner, pas même à l'accueil, qu'il venait dispenser des cours de français aux salariés et, parfois, au patron. "Dans une entreprise à la Défense, le PDG venait me chercher en bas ! Tout le monde se demandait qui était le type qui faisait descendre le grand patron, rigole-t-il. Un autre m'a raconté qu'il donnait comme excuse : 'C'est un stage de management'. Quand je lui ai demandé si ça ne l'embarrassait pas, lui dont le métier était justement de manager des équipes depuis des années, il a répondu : 'Ah, mais pas du tout !' En revanche, il fallait absolument que personne n'apprenne qu'il suivait des cours d'orthographe."
A la base comme au sommet de la pyramide, la "coquille" ou l'accord hasardeux sont vécus comme des humiliations. Les stagiaires de ces formations le savent, tout comme les instituts qui les dispensent, qui verrouillent férocement l'accès au contenu de leurs cours. Rencontrer des stagiaires dans le cadre d'un reportage ? "C'est très délicat pour eux, vous comprenez ? Il faut respecter leur intimité", m'avait expliqué l'un de ces instituts, comme si j'allais les suivre aux toilettes. "Dans les interventions en entreprise, ce sera vraiment TROP compliqué de vous recevoir, s'était excusé un autre. Pour leur image, vous savez. C'est un sujet très sensible."
Phase 2 : se faire aider (comme il faut)
Bernard Fripiat n'est ni psy, ni prof. Il est comédien, auteur et historien de formation. Devant ses huit élèves, il est surtout un personnage, un accent belge à couper au couteau et un quintal assumé dans un costume noir. Lui a choisi l'humour et la fantaisie pour réconcilier les adultes avec les mots tordus. Un choix qui, loin d'être un gadget, fait partie de la "méthode" défendue par l'institut de formation qui l'emploie, Talents et Formations, "et en laquelle nous croyons", assure Stéphanie Martinache, sa directrice. Le parti pris détonne, mais trouve sa place dans l'univers archiconcurrentiel de la formation pour adultes.
"J'ai fait dix-neuf mois de cours d'orthographe et de grammaire en 2011-2012, raconte Najat au détour d'une pause. J'y allais tous les lundis après-midi. Et je n'ai rien retenu", soupire-t-elle aujourd'hui. Cette petite femme qui a travaillé très tôt blâme autant le fond que la forme. "En une journée ici, j'ai l'impression d'avoir appris davantage qu'en un an de cours centrés sur la grammaire et les règles." Devant son tableau blanc, notre coach assume les ellipses qu'il opère dans la grammaire. Il donne "des trucs", pas des leçons : des moyens mnémotechniques peu orthodoxes aux yeux de l'Education nationale, mais dont il garantit l'efficacité. "Pas besoin de connaître tous les mots pornos", s'exclame-t-il (alors c'est ça une formation "pour adultes" !), désignant les "attributs", "compléments circonstanciels" et autres "adverbes pronominaux".
Face au torrent d'explications sur l'accord des participes passés ("Ce n'est pas difficile. C'est TRES difficile !" a prévenu Bernard Fripiat), Valérie lance un regard à son collègue et éclate de rire. Elle lève les yeux au ciel quand le coach répète, taquin, que "le masculin l'emporte toujours sur le féminin". Elle ne s'attendait pas vraiment à cela, mais concède un euphémisme : "Au moins, on ne s'ennuie pas."
Phase 3 : reprendre confiance
Avec ce qu'il faut de culpabilité, tous assurent que l'écriture devient une angoisse. "Lorsque je suis en relation avec une mairie, c'est délicat, confirme Stéphanie, jeune femme brune aux yeux bleu clair, assistante commerciale. C'est un stress supplémentaire de savoir qu'on peut se ridiculiser, dans un courrier au maire, avec le chef en copie." Avant d'atterrir en formation, elle a à peine été consultée. Un cas fréquent, qui n'a pas pour effet de rebooster la confiance.
"L'orthographe, c'est un outil de pouvoir, constate le formateur. Celui qui pointe une faute a forcément l'ascendant sur l'autre." Autour de la table, tout le monde a déjà vécu le mépris de certains collègues. "C'est tellement facile d'attaquer là-dessus !" "Ça discrédite immédiatement", "On dirait que les gens n'attendent que ça pour nous attaquer quand on est irréprochable sur le boulot", etc. Sur le registre de l'orgueil, le coach encourage à se faire plaisir : "Tendez des pièges à bouille", jubile-t-il. Tirée de la phrase "il faut que l'eau bouille", souvent corrigée à tort, la blague du Belge consiste à employer volontairement des mots tordus pour coincer les collègues moqueurs.
Ainsi, les instituts de formation n'ont pas vocation à engendrer des Dicos d'or ou des "grammar nazis" , ces obsédés de la grammaire, mais fournissent des béquilles pour ne plus trébucher sur un vulgaire post-it. A la clé : la confiance en soi. Pas du luxe au bureau. "Et si vous avez un doute, envoyez-moi un mail", insiste Bernard Fripiat, qui conseille, en cas d'urgence, de se fier à l'Académie française. Même s'il soupçonne les Immortels d'avoir "fumé la moquette". Pourquoi ? Parce qu'ils ont écrit "réglementation" avec un accent aigu, mais "dérèglement" avec un accent grave. "C'est quand même beau la langue française, plaisante Bernard Fripiat. C'est pas de ma faute, hein. Je suis Belge."
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