Villas, Picasso et policiers-majordomes : le luxe version Balkany
Le bureau de l'Assemblée nationale se prononce sur la demande de levée d'immunité parlementaire de Patrick Balkany, mercredi 18 mars, après sa mise en examen pour "blanchiment de fraude fiscale".
Mauvaise journée pour Patrick Balkany. Le bureau de l'Assemblée nationale a décidé de lever l'immunité parlementaire du député UMP et maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), mercredi 18 mars. Une requête à la demande des juges Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon. Patrick Balkany a été mis en examen pour "blanchiment de fraude fiscale", "corruption" et "blanchiment de corruption", le 21 octobre dernier. Mais, en tant que député, son immunité parlementaire le protégeait jusque-là de toutes poursuites.
"Ceux qui ont fait des bêtises les paieront", avait pourtant prévenu Nicolas Sarkozy, selon le Journal du dimanche, le 23 mai dernier, après la mise en examen d'Isabelle Balkany, première adjointe et épouse du maire de Levallois, pour "blanchiment de fraude fiscale". Même si Patrick Balkany assure "n'avoir rien à se reprocher et se sentir bien", la justice lui reproche de dissimuler sa fortune. Pourtant, l'élu se disait "pauvre comme Job pour deux mille ans" au moment du mariage de sa fille Vanessa en 2008. Pauvre comme Job… mais une vie de luxe et de faste à laquelle il semble n'avoir jamais renoncé.
Plusieurs millions d'euros de toiles de grands maîtres
A 70 kilomètres de la mairie de Levallois-Perret, derrière de grandes haies, se dresse une "magnifique propriété, construite aux XVIIIe et XIXe siècles", écrit Paris Normandie. Au total, "1 000 m² sur quatre étages au milieu d’un parc de 4 hectares". En janvier 2014, les enquêteurs du pôle financier perquisitionnent le moulin de Cossy, à Giverny (Eure), au cœur du temple de l'impressionnisme. Après avoir fait donation de la résidence à leurs enfants, les époux Balkany en conservent l'usufruit. A ce titre, le couple ne déclare que 150 000 euros de patrimoine pour cette demeure.
Surprise lors de la perquisition. Les enquêteurs tombent nez à nez avec des toiles de grands maîtres : un Picasso, deux Miró, deux Raoul Dufy, sans compter le mobilier Louis XVI et des statuettes hindoues, pour une valeur estimée à plusieurs millions d'euros, selon Libération (article payant). Et ici ne sont pas prises en compte la trentaine de montres de collection découvertes dans un coffre-fort.
Or, toutes les œuvres estimées à plus de 10 000 euros doivent être déclarées par les élus à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Mais ces objets de grande valeur n'ont jamais été mentionnés par Patrick Balkany.
Des policiers au service de réceptions "somptueuses"
Pour faire le trajet entre le moulin de Cossy et la mairie de Levallois, Patrick Balkany se fait conduire chaque jour par un policier municipal, qui fait office de chauffeur. Ce n'est d'ailleurs pas la seule fonction des agents affectés au service des Balkany. Il est 20 heures. Isabelle Balkany est chez elle et a une envie pressante d'en griller une. "Merci de me monter un paquet de cigarettes", lance-t-elle. La première adjointe de la ville de Levallois s'adresse à un policier municipal détaché à son service, selon des écoutes révélées par Libération. Chauffeur, homme à tout faire : les Balkany ont une certaine conception des missions de la police municipale. Une situation inacceptable pour le syndicat des policiers municipaux SNPM-FO. "C'est illégal ! Ils ne peuvent pas être employés à des fins privées pour le compte d'un élu", s'insurge un représentant syndical dans Libération.
Entre une petite prune, un bon cigare et "un numéro de duettistes très au point" de ses hôtes, imitant Chirac, cet invité est ravi du dîner organisé par Patrick et Isabelle Balkany, ce 3 avril 2002, dans l'ancien appartement personnel du couple – 512 mètres carrés à Levallois –, raconte L'Express. "C'était somptueux ! Un régal !" s'exclame-t-il. Et que dire du service. Sans fausse note. En guise de majordomes… trois policiers municipaux.
Par ailleurs, les fonctionnaires dépassent régulièrement les frontières de la commune des Hauts-de-Seine, et même de l'Hexagone. Certains accompagnent monsieur le maire durant ses déplacements au Maroc et à Saint-Martin. "Monsieur Balkany m'a gentiment invité, me précisant qu'il avait à disposition une chambre et une voiture, me permettant d'être libre sur l'île", témoigne l'un d'eux devant la justice, cite Libération. Pour lui, il s'agissait surtout de "vacances". Or la durée de ses séjours estivaux à Saint-Martin dépassait "allègrement le temps annuel de repos" du policier, note la chambre de l'instruction.
La "Villa Pamplemousse" de Saint-Martin
Durant des années, les époux ont juré qu'ils étaient simplement locataires de leur résidence à Saint-Martin. Les enquêteurs de Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, ont finalement prouvé qu'ils en étaient bien les propriétaires, dissimulés derrière une série de sociétés-écrans basées en Suisse, au Panama et au Liechtenstein, rappelle Le Monde. Isabelle Balkany l'a reconnu lors de sa garde à vue.
Achetée à la fin des années 1990, la résidence s'appelait "La Maison du soleil". "Nichée au cœur d'un jardin tropical d'un hectare et bordée d'une imposante piscine, cette demeure hollywoodienne sur deux étages a été rebaptisée 'Villa Pamplemousse'" après avoir été citée, en 2001, dans un rapport de police, explique Le Point.
"Le temple du luxe bling-bling" de Marrakech
Les vacances approchent. Nous sommes en 2013. Isabelle Balkany est en grande conversation avec une amie. Il n'est plus question de Saint-Martin mais du Maroc, selon des écoutes téléphoniques révélées par Libération. L'épouse du maire propose à son amie de l'héberger dans le riad Dar Gyucy, à Marrakech. Les époux Balkany sont formels : ils n'en sont pas propriétaires. Cette conversation semble pourtant laisser penser le contraire.
"Viens au moins une semaine à Marrakech, j’ai les enfants.
- C’est trop trop mignon.
- Tu as la chambre en bas. J’ai invité ma belle-sœur, je vais donc lui demander quelle semaine elle prend et je te donnerai l’autre, parce que je n’ai qu’une chambre. Tu me dis quand t’arrives et y a pas de souci.
- OK chérie, mais ça commence à devenir un peu honteux, quand même, de venir systématiquement.
- Honteux de quoi ? Arrête…
- De venir chez toi."
Le maire de Levallois et sa femme se rendent environ cinq fois par an dans cette résidence marocaine. Un visiteur du riad se souvient pour Le JDD de ce "temple du luxe bling-bling avec des tableaux partout". La chambre des maîtres des lieux l'a particulièrement marqué : "Elle est grandiose, avec une télé gigantesque, et Patrick et Isabelle ont chacun leur salle de bains." Pour lui, les époux Balkany sont "ici chez eux", avec une douzaine d'employés de maison à plein temps. "Ils font même construire une maison au fond du jardin pour leurs enfants."
Le riad a été acheté en 2010 pour un montant de 2,75 millions d’euros par la société civile immobilière (SCI) Dar Gyucy. L’ayant droit économique est Jean-Pierre Aubry, ancien directeur de cabinet de Patrick Balkany à la mairie et intime du couple, également mis en examen pour "blanchiment de fraude fiscale". Par ailleurs, la SCI Dar Gyucy a bénéficié de plusieurs entrées d’argent, dont "beaucoup ramènent aux Balkany et à leur fief de Levallois-Perret", selon Le Monde. "Un faisceau d’indices qui ne suffit pas, à ce stade du moins, à établir que les époux Balkany sont les véritables propriétaires du riad", précise le quotidien.
Maroc, Saint-Martin, Giverny… D'où vient l'argent nécessaire à ce train de vie ? Officiellement, Patrick Balkany déclare 85 000 euros de revenu annuel, cite Libération. Or ses employés à domicile coûtent déjà à eux seuls environ 120 000 euros par an. Selon Libération, le maire de Levallois doit une partie de sa fortune à son père, commerçant dans le textile. Les enquêteurs se penchent sur la vente de l'entreprise familiale, peut-être artificiellement gonflée pour justifier le blanchiment de revenus occultes. La levée de l'immunité du député permettra en tout cas aux enquêteurs de l'interroger à ce sujet.
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