Delphine Batho victime du machisme ?
Les détracteurs de François Hollande l'accusent de s'en prendre à la ministre de l'Ecologie car c'est une femme.
Delphine Batho paie-t-elle pour tous les ministres turbulents ? Fait-elle les frais d'un "machisme" du chef de l'Etat ? Quelques heures après avoir critiqué le budget qui lui a été alloué pour 2014, elle a été sèchement limogée par François Hollande. Au lendemain de son éviction du gouvernement, les détracteurs multiplient les commentaires.
Pas de doute pour le député européen Europe Ecologie-Les Verts, Daniel Cohn-Bendit : "Ce sont des machos (...) C'est quand même bizarre que deux femmes se [fassent] licencier alors qu'un Montebourg peut dire toutes les insanités du monde et personne ne lui dit rien. Parce que c'est un homme (...) et on n'y touche pas", a-t-il regretté mercredi matin. "On vire les femmes, c’est plus facile", a lancé Jean-Vincent Placé, sénateur EELV.
Même constat pour Jean-Luc Mélenchon. Pour le coprésident du Parti de gauche, "François Hollande, aux abois, montre un visage autoritaire, machiste et violent". A l'UMP, l'ancienne ministre de l’Ecologie et candidate à la mairie de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet y voit "un signal mauvais" notamment pour "les femmes"."Les femmes ne vous disent pas merci", a aussi tweeté l'ex-ministre de la Famille Nadine Morano.
De fait, le limogeage de Delphine Batho et son remplacement par Philippe Martin au ministère de l'Ecologie signe la fin de la parité. Le gouvernement compte désormais 19 ministres hommes et 18 ministres femmes. En juin 2012, il était formé par 19 ministres de chaque sexe, rappelle Slate.fr, soulignant qu'il s'agisssait là d'une promesse de campagne.
Oui, d'autres ministres avaient critiqué le gouvernement
La première année du quinquennat de François Hollande a été marquée par des couacs à répétition, plus ou moins graves, sans pour autant entraîner l'éviction des ministres concernés. A l'exception de Nicole Bricq, éphémère ministre de l'Ecologie (recasée au Commerce extérieur en juin 2012) et si l'on met de côté le cas Jérôme Cahuzac, Delphine Batho est la première ministre à payer aussi cher son indiscipline.
Après avoir atteint le point de non-retour avec Jean-Marc Ayrault, notamment sur la question de Florange, Arnaud Montebourg s'en était pris personnellement au Premier ministre. "Tu fais chier la terre entière avec ton aéroport de Notre-Dame-des-Landes dont tout le monde se fout", lui avait lancé le ministre du Redressement productif, selon les auteures du livre Florange, la tragédie de la gauche. Des propos confirmés par la suite par Jean-Marc Ayrault. L'attaque avait été faite en privé, et le Premier ministre n'était pas allé jusqu'à demander la tête de son ministre.
Plus récemment, trois ministres (Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et l'écologiste Cécile Duflot) ont publiquement appelé à une inflexion de la politique d'austérité du gouvernement. Ils s'en sont tirés avec un recadrage de François Hollande.
Delphine Batho a, elle, scellé son sort, mardi dans l'après-midi, quand le président de la République lui a téléphoné pour exiger qu'elle retire ses propos "trop graves, car en rupture avec la solidarité gouvernementale", selon l'entourage de Hollande. Delphine Batho a tenu bon. Elle a reçu peu de temps après une convocation à Matignon.
Mais Hollande et Ayrault avaient prévenu
Face aux couacs à répétition, l'exécutif a décidé, il y a quelques semaines, de mettre le holà. Ils avaient prévenu : tout manquement à la solidarité gouvernementale serait sanctionné.
Interrogé sur la minifronde anti-austérité au sein du gouvernement, Jean-Marc Ayrault reconnaissait en avril qu'il n'avait "pas aimé qu'on conteste la politique du gouvernement". "Il n'y a qu'une seule ligne politique, celle du redressement", avait lancé le Premier ministre, précisant que le président de la République avait distribué un rappel à l'ordre en Conseil des ministres.
François Hollande, lui, avait prévenu qu'aucun ministre ne pouvait "remettre en cause la politique conduite" et qu'il serait "intraitable" pour faire respecter les orientations prises par le gouvernement. Et début mai, dans Paris Match, alors que des rumeurs de remaniement circulaient, le chef de l'Etat avait lâché qu'aucun de ses ministres n'était protégé.
En mai toujours, le chef de l'Etat aurait lancé à l'un de ses ministres : "Je ne veux plus de bordel", rapportait le JDD.Résultat : François Hollande ne pouvait plus vraiment se déjuger, le couperet est tombé sur Delphine Batho.
Et Delphine Batho a peu de poids politique
Si Delphine Batho a été remerciée de manière aussi expéditive, c'est aussi que, contrairement à d'autres membres du gouvernement plus turbulents, la ministre de l'Ecologie n'est pas un poids lourd de l'équipe Ayrault. Son éviction permet donc à l'exécutif de donner un signal fort aux autres ministres tout en limitant le coût politique de cette décision.
Les trois ministres recadrés par François Hollande en avril avaient tous de bonnes raisons de ne pas se faire limoger. Etant membre d'EELV, Cécile Duflot dispose de fait d'une immunité qui, si elle était rompue, ferait voler en éclats la majorité. Benoît Hamon représente au gouvernement l'aile gauche du PS, qui pèse près de 14% au sein du parti depuis le dernier congrès. Arnaud Montebourg, lui, est toujours jugé "utile" par l'exécutif pour parler aux 17% de sympathisants socialistes ayant voté pour lui lors de la primaire présidentielle de 2011.
De son côté, Delphine Batho ne fait plus partie d'aucune écurie. Longtemps disciple de Ségolène Royal, elle s'en est éloignée. La brouille remonterait aux législatives de 2012 : selon Le Figaro, Delphine Batho aurait refusé de rendre à l'ancienne candidate à la présidentielle la circonscription que cette dernière lui avait cédée dans les Deux-Sèvres. Depuis, les piques par médias interposés se sont multipliées entre les deux femmes. Mardi matin, durant l'interview qui lui a été fatale, Delphine Batho en a lancé une de plus : "On ne réussit pas en tirant contre son camp ou en divisant." Prémonitoire.
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