Présidentielle : "Je ne veux plus voter pour le moins pire..." Des abstentionnistes de gauche font entendre leur voix
Alors qu'en 2002, beaucoup de votants avaient choisi Jacques Chirac au nom du front républicain pour faire barrage au FN, de nombreux électeurs n'envisagent pas cette option pour le second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Témoignages.
Ni-ni. Ce choix a déjà été validé par de nombreux électeurs depuis qu'Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont arrivés en tête du premier tour de la présidentielle, dimanche 23 avril. A l'image de l'humoriste Pierre-Emmanuel Barré, qui a démissionné de France Inter après que Nagui lui eut refusé une chronique sur l'abstention, ils revendiquent le droit de ne pas choisir "entre la peste et le choléra" en dépit des appels à faire barrage au Front national et des critiques qu'ils suscitent.
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Pour mieux comprendre les raisons de ce choix controversé, franceinfo a recueilli le témoignage de trois électeurs, qui entendent soit s'abstenir, soit voter blanc le 7 mai.
"J'aurais pu être convaincue, mais il y a eu une injonction sur les réseaux sociaux..."
Si on l'avait appelée dimanche, Laëtitia, 30 ans, n'aurait sans doute pas donné la même réponse. "Je n'étais pas du tout fermée à voter Macron, un peu par réflexe anti-FN", explique cette militante socialiste qui a soutenu Jean-Luc Mélenchon durant la campagne. Mais elle n'a pas eu le temps de "digérer" la défaite qu'il fallait déjà se ranger derrière le candidat d'En marche !. "J'aurais pu être convaincue, mais il y a eu une injonction sur les réseaux sociaux, de la part des politiques ou de certains médias à voter Macron. Ça nous a braqués...", reconnaît-elle. Et ce, d'autant plus que le candidat n'a fait "aucun pas" vers les électeurs de la France insoumise.
Alors, pour la première fois de sa vie, cette trentenaire qui a "toujours voté à toutes les élections, même intermédiaires" va s'abstenir. Par cohérence avec ses idées, opposées à celles d'Emmanuel Macron, et par ras-le-bol de "l'épouvantail" du Front national agité par la classe politique.
Je ne peux pas voter pour une politique à laquelle je n'adhère pas du tout. C'est en partie des politiques libérales, de casse sociale, qui font monter le FN. Je ne dis pas que Macron = Le Pen. Mais je dis ni l'un, ni l'autre.
Laëtitia, 30 ans, acheteuseà franceinfo
Si elle a décidé d'assumer cet "acte politique", notamment sur Twitter via le hashtag #SansMoiLe7Mai, Laëtitia ne digère pas les critiques virulentes dont elle fait l'objet. "Les gens ont besoin de trouver des coupables parce qu'ils ont peur que Le Pen passe. On nous traite de petits bourgeois pas concernés par le programme du FN... C'est caricatural et faux", s'agace-t-elle, en évoquant les larmes d'une femme au RSA, le soir du premier tour, "parce qu'elle sait bien ce qui l'attend". Et si Marine Le Pen est finalement élue, regrettera-t-elle son choix ? La réponse fuse : "Je ne me sentirai pas coupable d'avoir refusé un blanc-seing à Emmanuel Macron. C'est plus facile d'attaquer les abstentionnistes, mais ce sont les politiques libérales qui sont les coupables... Et surtout, les gens qui votent FN."
"Je ne me vois pas faire la même chose qu'Estrosi ou Sarkozy"
Bulletin blanc ou nul ? A dix jours du second tour, Samir* hésite encore sur son choix final. Mais une chose est sûre : "Je ne mettrai pas de bulletin Macron dans l'urne." Ce cadre territorial en disponibilité de 40 ans ne peut se résoudre à cette "mascarade", même s'il s'agit d'empêcher le FN de l'emporter. "Le système politique pourri a produit la situation dans laquelle on se trouve. Moi, je n'ai pas attendu qu'elle soit au second tour pour la combattre", tranche cet élu Front de gauche au sein d'une municipalité francilienne.
"Je ne me vois pas faire la même chose qu'Estrosi ou Sarkozy..., souffle-t-il. Ils ont joué avec le FN pendant des années et maintenant, ils nous appellent à jouer les pompiers. Ce n'est pas de ma faute si le FN se retrouve là. C'est celle de ceux qui n'ont rien fait pour le détruire depuis trente ans... Pour ce militant antifasciste "depuis toujours", "il faudrait plutôt que ceux qui appellent au barrage fassent leur propre introspection" et cessent d'être incohérents vis-à-vis du Front national.
On le laisse entrer au Sénat, à l'Assemblée, dans les instances européennes, puis on nous demande de faire barrage. S'il est dangereux, on l'interdit ! On ne peut pas dire que c'est un parti antirépublicain, puis inviter Marine Le Pen à un hommage national d'un policier.
Samirà franceinfo
En 2002, Samir a voté, à contrecœur, pour Jacques Chirac en vue de bloquer la voie à Jean-Marie Le Pen. Le souvenir lui reste en travers de la gorge. "Je ne veux plus voter pour le moins pire, explique-t-il. Et puis, j'ai revu les vidéos de Chirac en 2002. Il appelait à la cohésion nationale, il avait l'air grave. Dimanche, Macron avait le sourire aux lèvres. Parce qu'il savait qu'il avait le front républicain avec lui. Rien que cette attitude... Je ne me vois pas complice de ça."
Reste que son choix surprend. "Je m'en prends plein la gueule...", confie-t-il, en précisant avoir arrêté d'en parler sur Facebook. Et de conclure, à l'adresse de ceux qui l'accusent de jouer le jeu du Front national : "Ce qu'on fait sur le terrain, certains l'ont détruit en une ligne de programme. Je n'ai de leçon antiraciste ou antifasciste à recevoir de personne."
"Si elle est élue, ce sera de la faute des électeurs FN, pas de la mienne"
Dimanche, Lucas* a mal vécu que Jean-Luc Mélenchon, pour lequel il a voté au premier tour, ne se hisse pas au second. Y voyant une responsabilité des électeurs de Benoît Hamon, il a ainsi fait savoir que, le 7 mai, il ne votera ni pour Macron ni pour Le Pen. Sauf, peut-être, si son candidat l'appelle à choisir le candidat d'En marche !. Et encore... "Cela le ferait baisser énormément dans mon estime", relève cet étudiant en droit de 24 ans qui n'a trouvé aucune bonne raison de voter pour l'ancien ministre de l'Economie.
"Je vais m'abstenir au second tour. Tout simplement parce que je suis trop éloigné des programmes des deux candidats, pose-t-il. Pour moi, l'une ne vaut pas mieux que l'autre. L'une représente une politique dictée par la peur. L'autre, une politique qui fera élire la première dans cinq ans." Cette position lui a valu de vives critiques dans les commentaires d'un message posté sur Facebook. "On me dit que si le FN passe, ce sera de ma faute, lance-t-il. Je réponds que ce sera de la faute des électeurs FN, mais sûrement pas de la mienne."
Je refuse le discours culpabilisant qui force les électeurs à renier leur conviction et voter pour une personne qu'ils conspuent.
Lucas, 24 ans, étudiant en droità franceinfo
Le jeune homme se montre toutefois serein vis-à-vis des critiques. "Je comprends les leçons de morale que l'on me fait, la peur que certains éprouvent à l'idée de l'élection de Marine Le Pen, mais je me refuse à voter 'utile', vote qui, à mon sens, fait monter la cote de popularité du FN." Comme il le confesse lui-même, il aurait pourtant usé de ce même argument "pour convaincre des gens de se rallier à nous" si le second tour avait opposé Le Pen à Mélenchon. L'abstentionniste n'est parfois pas à une contradiction près...
*Ces témoins ont préféré apparaître sous un nom d'emprunt
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