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Enquête franceinfo Pas-de-Calais : à 25 ans, le maire d’Hesdin collectionne déjà les casseroles

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Le maire d'Hesdin Stéphane Sieczkowski-Samier, le 6 février 2017, à Lille (Nord) (MAXPPP)

Lorsqu'il a été élu en mars 2014, Stéphane Sieczkowski-Samier était le plus jeune maire de France. Trois ans plus tard, la justice a ouvert plusieurs enquêtes, notamment pour "usage de faux en écriture publique" et "achat de voix". Franceinfo révèle les dessous de ce mandat tumultueux.

"Tu te rends compte ? A seulement 25 ans, le gars traîne autant d’affaires que Fillon", lance un homme à sa voisine, en récupérant son sac de légumes. "Quelle image il donne de notre ville celui-là...", répond cette dame aux yeux bleus éclatants, cerclés par de fines lunettes. Sur le marché d’Hesdin, une petite cité du Pas-de-Calais de 2 400 habitants, les démêlés judiciaires du jeune maire divers droite, Stéphane Sieczkowski-Samier, sont sur toutes les lèvres. "Et dire que les gens ont voté pour lui", déplore-t-elle, en remontant la monture sur son nez.

Lorsqu'il a été élu, en mars 2014, Stéphane Sieczkowski-Samier était le plus jeune maire de France. Trois ans plus tard, le parquet de Boulogne-sur-Mer a ouvert trois enquêtes visant l'édile : une pour "détournements de fonds publics", une autre pour "achats de voix" et une dernière pour "prise illégale d'intérêts" et "complicité et usage de faux en écriture publique". Franceinfo révèle les dessous de ce mandat tumultueux.

"Je me revois en toi quand j'étais jeune"

Non loin du marché, Stéphane Sieczkowski-Samier grimpe deux par deux les marches de la mairie. Visiblement détendu, le jeune élu reçoit dans son lumineux bureau qui donne sur la place d'Armes, le cœur de cette charmante bourgade nordiste. Assis derrière une table en verre, il raconte son ascension politique, comme on récite une fable. Tout commence en 2007, lorsqu'il n'est qu'un adolescent. Il est alors ébahi par les discours de Nicolas Sarkozy. "J'ai été séduit par sa ferveur, son dynamisme et son charisme, raconte-t-il à franceinfo. J'admire le personnage."

Comme l'ancien président, Stéphane Sieczkowski-Samier pratique le jogging, se dirige vers une carrière d'avocat d'affaires et porte une épaisse montre argent et or qu'il ne cesse d'ajuster à son poignet. Dans un sourire qui trahit une grande fierté, il raconte ce jour de 2014, où il a été invité à déjeuner par son mentor. "Il m'a dit : 'Je me revois en toi quand j'étais jeune.' Puis, il a ajouté : 'En plus, t'as une bonne tête.'"

Une photo de Nicolas Sarkozy et Stéphane Sieczkowski-Samier, dans le bureau de ce dernier.  (KOCILA MAKDECHE / FRANCEINFO)

Une admiration qui lui a valu le surnom de "petit Sarko" dans les nombreux articles de presse relatant sa victoire inattendue. A seulement 22 ans, le plus jeune maire de France est parvenu à ravir l'écharpe tricolore aux socialistes, qui régnaient pourtant sur la ville depuis quarante ans. Avec 48% des suffrages, il a écrasé la liste du maire sortant, Jean-Marie Roussel (32%), et la troisième menée par Philippe Durier (19%). 

Accusations d'achats de voix

A en croire ce dernier, l'élection du jeune maire serait entachée d'irrégularité. En juin 2014, Philippe Durier porte plainte contre Stéphane Sieczkowski-Samier pour des soupçons d'achats de voix et fournit au juge une dizaine d'attestations signées par des habitants d'Hesdin, que franceinfo a pu consulter. Elles affirment que, lors de la campagne électorale, Stéphane Sieczkowski-Samier aurait promis à ces habitants un emploi au sein de la municipalité. Il leur aurait également donné 50 euros en liquide en échange d'un vote pour lui. Pour rappel, le Code électoral punit l'achat de voix de deux ans de prison et de 15 000 euros d'amende. 

La justice a ouvert une enquête et placé Stéphane Sieczkowski-Samier sous le statut de témoin assisté dans cette affaire. L'intéressé nie en bloc les accusations contenues dans les attestations. "On leur a fait signer de fausses attestations (...). Ce sont des gens faibles psychologiquement, qui ne savent ni lire ni écrire, et dont on a abusé pour me descendre dès le lendemain de mon élection", accuse le jeune maire.

Entorse au Code électoral ou complot politique ? Franceinfo a pu écouter un enregistrement dans lequel on entend Stéphane Sieczkowski-Samier reconnaître, quelques mois après son élection, qu'il a bien promis un emploi au sein de la mairie pendant la campagne électorale.

"L'élève dépasse le maître. C'est la vie"

"Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage", justifie auprès de franceinfo Marilyne Cormont, quand on évoque les affaires qui visent son champion. Après avoir travaillé toute sa vie en Ile-de-France comme formatrice commerciale, cette femme énergique est revenue sur les terres de ses parents une fois à la retraite. A Hesdin, elle s'est rapidement engagée auprès du maire. "Pour nos trente ans de mariage, Stéphane nous a remariés, mon mari et moi, à la mairie. Des liens se sont créés." Elle préside aujourd'hui l'association sur laquelle il s'appuie pour sa campagne des législatives de juin 2017. 

Dans son salon, une photo d'elle avec Stéphane Sieczkowski-Samier et le reste de la petite équipe de campagne est figée sur l'écran du téléviseur. "Nous venons de faire une vidéo pour la mettre sur Facebook. C'est comme ça qu'on fait campagne de nos jours", explique Marilyne, bien décidée à "défendre les jeunes, parce que c'est eux, l'avenir". Ensemble, ils espèrent ravir le siège de député de la quatrième circonscription du Pas-de-Calais qu'occupe depuis 2007 Daniel Fasquelle, le maire Les Républicains du Touquet.

Un pari que certains voient comme un coup de couteau dans le dos. En mars 2014, après la victoire de Stéphane Sieczkowski-Samier, le même Daniel Fasquelle était venu lui offrir son écharpe tricolore, ainsi que son soutien. "Stéphane fait partie de ces jeunes qui m'avaient soutenu lors de la campagne des législatives (...) Je le connais également très bien puisque, il y a quelques mois encore, il était l'un de mes étudiants à la faculté de droit de Boulogne-sur-Mer", écrivait, à l'époque, le député sur son blog. Sollicité par franceinfo, ce dernier n'a pas voulu commenter la candidature de son ancien poulain. "L'élève dépasse le maître. C'est la vie. Ça s'est toujours passé ainsi", estime de son côté Marilyne Cormont. 

A droite, Stéphane Sieczkowski-Samier, le maire d'Hesdin (Pas-de-Calais) aux côtés de Daniel Fasquelle, député LR (au centre) et de Gérard Larcher, le président du Sénat (à droite), le 10 avril 2015 à Boulogne-sur-Mer. (MAXPPP)

Si la rupture est désormais consommée entre les deux hommes, ils se sont retrouvés sur les bancs de la faculté pour le dernier semestre de master de Stéphane Sieczkowski-Samier. "En cours, ce n'était pas sain, raconte le jeune maire. La mauvaise surprise, c'est qu'il m'a mis la plus mauvaise note de la classe à un partiel. J'ai eu 7/20." Le jeune élu, qui se revendique "comme le candidat du peuple, sans parti politique", reconnaît être allé toquer à la porte d'Emmanuel Macron, mais il n'a finalement pas été investi par En marche !.

Enquête pour détournements de fonds publics

Les démêlés judiciaires de Stéphane Sieczkowski-Samier auraient-ils fait capoter sa démarche ? Au début de l'année, le jeune élu a été placé en garde à vue à deux reprises. En février, il est placé en garde à vue dans le cadre d'une enquête préliminaire, ouverte un mois plus tôt, pour des soupçons de "détournements de fonds publics". L'affaire concerne des matériaux de construction, achetés par la mairie, utilisés par Stéphane Sieczkowski-Samier pour des travaux personnels. Le jeune édile assure que les matériaux ont bien été remboursés et qu'il a fourni des factures aux fonctionnaires qui l'ont auditionné. 

Deux semaines plus tôt, dans le cadre d'une autre affaire, il avait été mis en examen pour "complicité et usages de faux en écriture publique", ainsi que pour "prise illégale d'intérêt". Cette fois-ci, la justice soupçonne l’édile d’avoir cherché à attribuer irrégulièrement la gestion de logements communaux à l’agence immobilière de sa mère, elle-même conseillère municipale. 

Retour au début de l'année 2016 pour y voir plus clair. A l'époque, le conseil municipal adopte en séance une délibération octroyant la gestion des logements municipaux à l’agence immobilière détenue par la mère de Stéphane Sieczkowski-Samier. Mais la décision est retoquée par la sous-préfecture qui constate que le délai de l’appel d’offres, prévu pour mettre plusieurs entreprises en concurrence avant d'attribuer un marché public, n’a pas été respecté.

Mis en examen pour faux en écriture publique

Le sous-préfet de Montreuil-sur-Mer demande donc au maire d'annuler cette délibération, sous peine de devoir saisir la justice administrative. L'annulation, qui devait être débattue le 7 avril 2016 en séance publique, n'est pas votée. Le maire la signe malgré tout, comme si elle avait été adoptée, ce qui lui vaut d'être mis en examen.

"Le document était dans mon parapheur, alors je l'ai signé. Mais j'ai signé quoi ? Une annulation de délibération, se justifie Stéphane Sieczkowski-Samier. Pendant 72 heures, la presse nationale a affirmé que j'avais signé en faux une délibération qui engageait l'agence de mes parents. Mais c'est une annulation de délibération qui annulait la prestation de services, que j'ai signée. Ça change tout (...). Les journalistes ont eu de mauvaises informations de la part du parquet, et ça, c'est très grave." Et de clamer sa bonne foi : "Qui a un intérêt à vouloir dissimuler une annulation de délibération ?, lance l'élu, dans une rhétorique bien rodée. Cette mise en examen repose sur du sable."

Stéphane Sieczkowski-Samier a-t-il signé un document sans le savoir ? Souhaitait-il simplement retirer la gestion du marché public à sa mère, conformément à la demande du sous-préfet  ? Les autorités, saisies par le sous-préfet de Montreuil-sur-mer, soupçonnent une manœuvre bien plus subtile, qui aurait permis à la famille du maire de conserver la gestion des logements. Contactée par franceinfo, une source à la sous-préfecture affirme : "Cette fausse annulation avait sans doute pour but de stopper la saisine du juge administratif. Elle nous envoyait un 'signal vert' sans annuler réellement la précédente délibération, qui confiait la gestion du parc immobilier à l'agence."

La mère de M. Sieczkowski-Samier aurait donc pu continuer de gérer les logements communaux dans notre dos. Surtout que nous ne disposons d’aucun moyen de vérification sur le terrain.

Une source à la sous-préfecture de Montreuil-sur-Mer

à franceinfo

"Piège politique"

Pour assurer sa défense, Stéphane Sieczkowski-Samier s’est entouré du très médiatique avocat Frank Berton, connu pour avoir représenté pendant un temps Salah Abdeslam, soupçonné d'avoir participé aux attentats du 13 novembre 2015. Le ténor du barreau nie toute intention frauduleuse de la part de son client, et affirme qu'il a été victime d'"un piège politique".

"La délibération a été apportée au préfet par le directeur général des services de la mairie, qui a aussi été mis en examen dans cette affaire, affirme le conseil de Stéphane Sieczkowski-Samier. C'est quelqu'un de manifestement malveillant puisque le préfet n'avait aucun moyen de savoir que la délibération n'avait pas été votée en conseil municipal. Mon client a forcément été dénoncé."

L'avocat assure, par ailleurs, que la mère de Stéphane Sieczkowski-Samier ne gère plus les logements à l'heure qu'il est. Franceinfo s’est rendu dans l'agence familiale pour tenter d’en savoir plus. Mais au moment d'évoquer les mises en examen de la gérante, franceinfo a été sèchement invité à prendre la porte.

Belle voiture et chambre d'hôtel à 400 euros

Erreur due à l’inexpérience ou système de malversation ? "Le maire d'Hesdin, c’est : ‘Je fais ce que je veux, quand je veux, comme je veux'", fustige Monique Dewaele, conseillère municipale et ancien soutien de Stéphane Sieczkowski-Samier. Elue sur la liste du jeune édile, elle a occupé le poste d’adjoint aux finances pendant six mois, avant d'être débarquée en décembre 2014.

A l’époque, en épluchant les dépenses de la mairie, elle constate que le maire a occupé une chambre à 400 euros pour deux nuits dans un hôtel parisien, lors de sa venue au Congrès des maires, et qu'il souhaitait louer une Audi A1 Sportback aux frais de la mairie. "Une belle voiture qui n'avait rien à voir avec son statut", estime-t-elle auprès de franceinfo.

Monique Dewaele alerte le conseil municipal. Mais Stéphane Sieczkowski-Samier contre-attaque et exhume un mandat administratif de 38 euros où l’adjointe a imité sa signature. "J’ai fait une erreur, une connerie de gamine", regrette-t-elle aujourd’hui. Le maire porte plainte contre elle et la démet de ses fonctions. Elle est finalement réintégrée en mars 2015, à la demande de la préfecture, mais perd sa délégation aux finances, qui sont désormais gérées par une comptable et non plus par un élu. "Dans les faits, c'est lui qui gère tout. Toutes les factures, tous les mandats d'exécution sont signés par lui", affirme l’élue.

"S'il y est arrivé, pourquoi pas moi ?"

Dans ce bras de fer, Jean-Bernard Painset, un autre conseiller de la majorité municipale, a soutenu Monique Dewaele. Stéphane Sieczkowski-Samier l'a démis à son tour de ses fonctions d'adjoint, en août 2015. "C'est ce qu'il se passe à partir du moment où on lui fait obstacle", fustige l'homme de 53 ans, qui décrit un jeune homme "narcissique, carriériste et politicard.

"Je suis chef d'une majorité et je dois m'entourer de personnes de confiance, se justifie Stéphane Sieczkowski-Samier. S'il y a des personnes qui, a un moment donné, n'ont plus confiance en moi, je leur demande de partir, assure le maire, avec un aplomb déconcertant pour son jeune âge. Moi, je suis un sanguin. Faut que ça roule. Je peux comprendre que ça soit agaçant pour certains, mais c'est pour la bonne cause."

Malgré les polémiques, pas question pour lui d'abandonner ses ambitions électorales. Le jeune élu est bien décidé à gagner sa place parmi la nouvelle génération de responsables politiques. "Le matin, je me réveille avec tellement d'envie. Je pense que ça me vient du parcours de Nicolas Sarkozy aussi, résume-t-il en nous raccompagnant à la porte de son bureau. Je me dis : 'S'il y est arrivé, pourquoi pas moi ?'"

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