Femmes, mari ou fille de député, ils sont collaborateurs parlementaires : ils racontent (ou pas) ce qu'ils font
Les accusations d'emploi fictif portées contre Penelope Fillon interrogent sur le travail que peuvent fournir les collaborateurs parlementaires lorsqu'ils sont membres de la famille du député ou du sénateur. Pour en savoir plus, franceinfo en a contacté une quinzaine.
"Allô, bonjour, je souhaite parler à Edith Cottel." "C'est moi-même." "Ah parfait !" C'est ainsi que commence notre interview téléphonique, jeudi 26 janvier, avec l'attachée parlementaire de Jean-Jacques Cottel. Dans la vie privée, Edith Cottel est aussi l'épouse de ce député PS du Pas-de-Calais. Une double casquette qu'elle assume immédiatement. "On n'a jamais caché que j'étais sa femme. Je n'ai rien à me reprocher. Vous savez, pour ce type de poste, mieux vaut être proche de son employeur", glisse-t-elle.
Jean-Jacques Cottel fait partie des 10 à 15% des 900 parlementaires qui ont un collaborateur issu de leur propre famille. D'après une enquête de Mediapart, en 2014, au moins 115 députés (sur 577) ont salarié, en CDD ou en CDI, sur un temps plein ou partiel, un membre de leur famille. Le site d'information ressort son enquête, après les révélations du Canard enchaîné mercredi. L'hebdomadaire satirique affirme que Penelope Fillon a été rémunérée en tant que collaboratrice parlementaire de son mari de 1998 à 2002, puis en 2012, pour des sommes allant de 3 900 à 4 600 euros mensuels. Sans vraiment "laisser des traces de son passage", affirme Le Canard.
Sur le papier, rien ne l'interdit. Chaque député peut employer jusqu'à cinq collaborateurs et dispose d'une enveloppe mensuelle de 9 561 euros pour les rétribuer. Pour les proches, seule la rémunération est encadrée depuis 1997 : elle ne doit pas dépasser la moitié de l'enveloppe consacrée aux collaborateurs, soit 4 780 euros. C'est ce que rappelle l'AFP. Pourtant, cette règle n'est pas mentionnée sur la page de l'Assemblée qui présente le rôle des collaborateurs de députés. Mais surtout, une question centrale se pose : ces proches embauchés avec de l'argent public effectuent-ils un travail quantifiable ?
"J'ai des horaires de travail très élastiques"
"Je n'ai pas un emploi fictif !" Au téléphone, quand on l'interroge sur ce point, Edith Cottel répond : "J'assure la fonction qu'on m'a demandé de faire." Une fonction qu'elle exerce depuis que son mari est devenu député, il y a presque cinq ans. Auparavant, entre 2001 et 2012, il était conseiller général du canton de Bapaume (Pas-de-Calais). "A ce moment-là, j'exerçais mon emploi dans une mairie à 80%, pour avoir le temps de faire du secrétariat pour Jean-Jacques Cottel. J'étais bénévole." C'est donc "tout naturellement" qu'elle est devenue attachée parlementaire en circonscription, à temps plein.
La politique est une affaire de couple chez les Cottel. Car l'attachée parlementaire concilie sa fonction avec son mandat de maire de Beaulencourt (Pas-de-Calais). Elle a été élue à la suite de son mari, maire de ce village de 242 habitants entre 1995 et 2014. Lui est parti à l'assaut de Bapaume, une petite ville voisine. "Je réceptionne le public et je m'occupe de la tenue de l'agenda. J'assure aussi le suivi des dossiers et la permanence, de 8 heures à midi et de 14 heures à 16 heures, relate-t-elle. Vous voyez, je suis sur mon lieu de travail : vous appelez la permanence, c'est moi qui décroche. Mais j'ai des horaires de travail très élastiques."
"J'ai surtout fait des travaux rédactionnels"
Il est vrai que, sur la quinzaine de collaborateurs parlementaires que nous avons contactés, certains n'ont pas répondu présent. Ainsi, lorsque nous appelons la permanence de Daniel Boisserie pour parler à sa fille, Marie-Pierre, on nous répond : "Ah non, elle ne travaille pas ici, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vue, au moins deux ou trois ans, peut-être même cinq ou six. Je ne sais pas où elle travaille."
Dans la déclaration du député socialiste de la Haute-Vienne validée le 27 janvier 2014 (PDF), il est écrit que Marie-Pierre Boisserie a travaillé comme collaboratrice parlementaire, "trente heures par mois car employée au conseil régional du Limousin". De fait, elle y travaille toujours et nous répond au téléphone. Sans donner davantage de détails. "Je n'ai pas envie d'en parler car c'était sur une courte période, en 2013. Je n'ai plus les dates exactes en tête. J'ai surtout fait des travaux rédactionnels. Mais aujourd'hui ce n'est plus du tout le cas", déclare-t-elle, promettant de nous rappeler pour apporter des précisions. On attend toujours.
"Ma femme nettoie même les chiottes de la permanence !"
Chantal Delatte n'a pas non plus répondu. "Elle ne s'exprimera pas sur le sujet. Il n'y a que moi qui le ferai", indique Adrien Huguet, attaché parlementaire chargé de la presse auprès de Rémi Delatte, député Les Républicains de Côte-d'Or. Alors comment savoir en quoi consiste son travail de collaboratrice parlementaire ? "Chantal Delatte – Chargée des relations publiques, elle organise tous les déplacements de Rémi Delatte ainsi que les relations avec la presse et prépare les visites au Palais-Bourbon", indique un journal de communication du député daté de 2008 (PDF). Adrien Huguet confirme : "Elle est attachée parlementaire à mi-temps. Elle a une relation permanente avec le député, c'est l'intérêt." "C'est quelqu'un de discret, mais elle est connue des correspondants locaux", assure-t-il.
De son côté, Patrice Carvalho, député PCF de l'Oise, a pris l'initiative de nous rappeler lui-même. Sa femme Dominique est inscrite comme attachée parlementaire à la permanence dans la déclaration soumise à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Très remonté par notre démarche, il nous a invité à effectuer un reportage dans sa circonscription pour vérifier que "ce n'est pas un emploi fictif". "Venez voir chez moi, si ma femme ne travaille pas ! Elle nettoie même les chiottes de la permanence !" vitupère-t-il au téléphone.
"Je suis sa femme, il a besoin de moi"
Sans atteindre cet extrême, que ce député lâche sous le coup de la colère, c'est parfois une mission d'un autre genre qui attend le proche d'un député. Ainsi, Patricia Deflesselles, femme du député Les Républicains des Bouches-du-Rhône, se définit comme "une simple secrétaire". "Je suis là pour le coup de bourre." Car ce n'est pas son premier métier : œnologue de formation, elle a rejoint l'équipe de Bernard Deflesselles il y a dix ans, lorsqu'elle a été licenciée. "J'ai dû être à ses côtés car il avait besoin de quelqu'un de confiance, explique-t-elle. Je gère aussi le courrier, l'agenda, les réunions, et je relis un peu les discours. Je donne mon avis."
Michel, lui, se définit comme le "chauffeur attitré" de sa femme, la députée socialiste Martine Martinel. Oui, il y en a peu, mais il y a aussi des "hommes de". Michel Martinel fait partie de ceux-là, et reconnaît son côté "un peu atypique". "Mon épouse n'a pas le permis de conduire, alors je me suis proposé pour l'emmener partout. Mais elle l'a toujours déclaré." Michel Martinel est collaborateur parlementaire depuis 2008, un an après l'élection de Martine Martinel dans la 4e circonscription de la Haute-Garonne. Cette année-là, il a pris sa retraite de directeur de cabinet en mairie. "Je fais aussi la revue de presse et je revois les discours de ma femme, je les prépare avec elle. C'était mon job."
L'aide indispensable d'un proche est souvent mise en avant pour justifier l'embauche d'un membre de la famille du parlementaire. "Je suis sa femme, il a besoin de moi, que je l'aide au maximum", insiste Patricia Deflesselles. "Mais je comprends quand même les interrogations sur ce fonctionnement", concède-t-elle. Idem pour Michel Martinel : "Si une loi est votée et que c'est terminé, je le comprendrai et suivrai la loi sans problème. Cela ferait du bien à la démocratie." "Il ne faut pas chercher le bâton pour se faire battre", ajoute-t-il, en référence à l'actualité.
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