Primaire à droite : les électeurs de gauche peuvent-ils "se payer" Nicolas Sarkozy impunément ?
De plus en plus d'électeurs de gauche se déclarent prêts à voter à la primaire à droite pour faire barrage à l'ancien chef de l'Etat. Franceinfo revient sur les arguments qui pourraient les motiver pour se déplacer... et sur celui qui pourrait les dissuader.
Pour le sarkozyste Guillaume Peltier, à l’origine d’une pétition sur le sujet, ce serait du "vol". Pour Alain Juppé, au contraire, une façon d’acquérir une "plus grande légitimité" avant la présidentielle. Pour Jean-François Copé, invité dimanche 9 octobre de l’émission "Punchline", sur C8, c'est un chiffon rouge qu’il ne faut surtout pas agiter car cela pourrait "servir de prétexte pour contester le résultat final". Alors que le premier débat télévisé entre les candidats de la droite doit se tenir jeudi 13 octobre, une question s’est peu à peu imposée dans le débat politique : et si les électeurs de gauche privaient Nicolas Sarkozy de sa revanche en 2017 en votant contre lui lors de la primaire de son camp ?
Une hypothèse loin d’être abracadabrantesque. Selon les dernières études sur les intentions de vote (BVA, Ifop et Ipsos), entre 10% et 16% des électeurs de gauche se déclarent prêts à participer à l'élection du prochain champion de la droite, soit de 260 000 à 560 000 personnes selon les estimations, sur les 2,6 millions à 3,5 millions de votants qui devraient se déplacer pour cette primaire. Franceinfo vous résume les principaux arguments qui peuvent les motiver à joindre le geste à la parole.
1Oui, ils peuvent signer la charte de la primaire sans se renier
La "Charte de l'alternance" (le nom officiel de la charte de la primaire), qui doit être signée par tous les électeurs à la primaire, est claire. Pour pouvoir voter pour le candidat de droite les 20 et 27 novembre 2016, il faut avant tout partager "les valeurs républicaines de la droite et du centre" et non, explicitement, leur programme ou leur idéologie.
Le candidat à la présidence de la République soutenu par le parti 'Les Républicains' en vue de l’élection présidentielle de 2017 est désigné à l’occasion d’une primaire ouverte à l’ensemble des citoyens partageant les valeurs républicaines de la droite et du centre et s’engageant pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France.
Une tournure assez large pour être approuvée par toute personne se considérant un tant soit peu républicain dans l’âme. A condition bien sûr de partager aussi un désir d’alternance ("Je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France", stipule le texte), ce que de nombreux déçus du hollandisme sont prêts à envisager. Un député LR l’affirmait d’ailleurs au Lab, début septembre : "La manière dont est rédigée la charte n’est pas difficilement signable par un homme de gauche, tout au moins la première partie sur les valeurs républicaines."
2Oui, ils pourront voter sans être fichés
A la différence de ce qu'a avancé le coordinateur de campagne de Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin, le 7 octobre sur le plateau d’i-Télé, les électeurs de gauche tentés par la primaire à droite ne peuvent pas être fichés. "Je n’ai pas à m’opposer à un vote de quelqu’un de gauche, mais je garderai le petit document et on se marrera pendant les quatre ans qui suivront", avait ainsi déclaré le maire de Tourcoing (Nord), dans l’idée de décourager les électeurs de gauche tentés de voter pour Alain Juppé.
Mais les explications de Gérald Darmanin sont démenties par un autre parlementaire des Républicains. "Tout est anonymisé, rappelle pour franceinfo le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère, en charge de l’organisation de la primaire. Autrement dit, ce vote ne laissera aucune trace." Concrètement, la charte de la primaire prévoit que les listes d’émargement soient placées sous scellés puis détruites sous le contrôle de la Cnil. Pour un électeur de gauche, la seule manière d'entrer dans les petits papiers des Républicains serait "d’inscrire soi-même son e-mail dans une base de données après avoir voté", précise Thierry Solère.
3Oui, ils pourront ainsi contrebalancer le vote des électeurs du FN
Les électeurs de gauche ne sont pas les seuls à vouloir influencer les résultats de la primaire à droite. Selon l’enquête Ipsos pour Le Monde, 10% des électeurs FN déclarent être certains d’aller voter fin novembre. Parmi eux, 41% sont certains de glisser le nom de Sarkozy dans l’urne, contre 35% avant son entrée en campagne. "Une évolution très nette", note le directeur général de l’institut de sondages Ipsos, Brice Teinturier. Selon lui, la stratégie de l’ancien patron des Républicains, qui fait campagne sur des marqueurs identitaires et sécuritaires, est visiblement "opérante". Nicolas Sarkozy a notamment proposé deux référendums, sur la suspension du regroupement familial et l’internement des fichés "S".
Une donnée qui est loin d’être ignorée par l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy. Quitte à ce que certains de ses fidèles tirent des plans sur la comète.
Je pense que beaucoup d’électeurs du FN vont venir voter à la primaire. Leur participation sera plus importante que celle des électeurs de gauche.
4Oui, mais éliminer Sarkozy, c'est faire courir un risque à la gauche lors de la présidentielle
C’est le revers de la médaille. Faire barrage à Nicolas Sarkozy, lorsque l'on est un électeur de gauche, c’est aussi diminuer les chances élyséennes de son camp. Alain Juppé est partisan de "l'identité heureuse", opposé à une "loi de circonstance" sur le burkini et juge que l'Etat de droit est "fondamental", là où le camp Sarkozy évoque des "arguties juridiques". Le maire de Bordeaux est ainsi en mesure de "mobiliser l'électorat du centre et d'une partie de la gauche", insiste le directeur général d'Ipsos, Brice Teinturier. Qui va même un peu plus loin :
Parmi les déçus du hollandisme, on observe de plus en plus une attirance pour Alain Juppé.
Un vote de raison ? A huit mois de l’échéance présidentielle, aucun scénario n’envisage le maintien d’un candidat de gauche au second tour. De son côté, la présidente du Front national, Marine Le Pen, semble, elle, assurée de disputer quoi qu’il arrive un second tour, pointait une étude Elabe pour Les Échos publiée fin septembre. Dans cette optique, une partie des électeurs de gauche pourraient être tentés de voter Alain Juppé tout simplement pour choisir, dès novembre, le candidat pour lequel ils seraient contraints de voter au second tour de la présidentielle. Faisant ainsi, dès 2016, le deuil des chances de la gauche pour l'élection de 2017.
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