"Ça a été d'une violence absolument incroyable" : Nathalie Saint-Cricq a répondu à vos questions sur le débat
La cheffe du service politique de France 2 a répondu aux internautes de franceinfo, jeudi, au lendemain du débat musclé qui a opposé Marine Le Pen à Emmanuel Macron.
Elle livre son analyse, au lendemain de cet exercice très particulier. Nathalie Saint-Cricq, l'une des modératrices du débat de l'entre-deux-tours entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, a répondu aux questions des internautes de franceinfo, jeudi 4 mai. La cheffe du service politique de France 2 revient sur cette séquence télévisée particulièrement musclée.
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@Patriste : Que pensez-vous qu'on retiendra vraiment de ce "débat" en fin de compte ?
Nathalie Saint-Cricq : On retiendra un débat d'une violence absolument incroyable, qui était censé aborder tous les sujets de fond et dont il ne restera probablement que les invectives de Marine Le Pen et les tentatives d'Emmanuel Macron de rester dans un statut présidentiel. In fine, on aura vu deux caractères, deux styles, ce qui aura probablement été éclairant pour les téléspectateurs.
@Commentateur : Quel est, selon vous, celui ou celle qui a mené le débat ? Qui a été le ou la plus convaincant-e ?
Nathalie Saint-Cricq : A priori Emmanuel Macron, qui a pu développer son programme et sa vision de l'Europe. Marine Le Pen, qui avait forgé toute sa stratégie sur la France apaisée et sa présidentialité, a beaucoup plus été dans l'attaque et l'invective, ne laissant que peu de place à l'exposé de son programme.
Trop d'attaques personnelles, du début jusqu'à la fin, ont cassé la stratégie que Marine Le Pen avait élaborée depuis six mois.
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
@Robz : Vu la tournure qu'a pris l'événement, aurait-il mieux finalement fallu qu'Emmanuel Macron refuse de débattre avec le Front national, de la même manière que Jacques Chirac l'avait fait en 2002 ?
Nathalie Saint-Cricq : Il était obligé de répondre aux attaques personnelles, quitte à être entraîné sur le terrain de son adversaire. Je ne crois pas qu'il était possible de ne pas accepter ce débat, comme l'avait fait Chirac en 2002. On l'aurait accusé de se défiler.
Je crois également qu'il est sain pour la démocratie d'avoir ce genre d'échanges. Il n'y avait pas de bonnes solutions.
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
Se taire aurait été reconnaître les accusations dont il faisait l'objet. Il a choisi d'y répondre en partie. L'ensemble me donne un sentiment de malaise.
@Coquillette : En tant que journaliste, n'éprouvez-vous pas de frustration de ne pouvoir intervenir davantage devant autant d'énormités ?
Nathalie Saint-Cricq : C'est bien évidemment frustrant, mais c'était la règle de départ dans ce type de débat : une stricte neutralité dans les questions, qui pouvaient sembler un petit peu molles.
Toute relance ou attaque contre Marine Le Pen aurait donné l'impression de partager les vues d'Emmanuel Macron.
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
Par exemple, quand Marine Le Pen accuse Emmanuel Macron de vouloir légaliser la GPA [gestation pour autrui], mon premier réflexe est de dire qu'il ne veut pas la légaliser, mais qu'il se plie à la jurisprudence de la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme, afin de donner une identité française aux enfants nés à l'étranger. Sauf que ce n'était pas à moi de faire cette intervention, mais à Emmanuel Macron. Si je l'avais fait, j'aurais été à charge contre Marine Le Pen et à décharge pour Emmanuel Macron.
@Faballan : Vous êtes-vous sentie bloquée par les règles prévues sur ce débat ?
Nathalie Saint-Cricq : Oui, mais on les connaissait dès le départ. C'est l'émission des candidats. Il faut bien des journalistes pour l’organiser, mais il était clair dès le début que nos interventions étaient à la marge et surtout destinées à faire respecter le temps de parole. C'est certes frustrant, mais c'est un exercice également passionnant. Même si nous avons pu décevoir les téléspectateurs. L'exercice est aux antipodes d'une émission politique, comme il peut y en avoir sur les chaînes, comme j'ai pu en faire sur France 2.
Il ne s'agit ni de complaisance ni de renoncement, mais du respect, à quelques jours du scrutin, d'un exercice très cadré.
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
De plus, les candidats avaient décidé de s'emparer du débat dans le cadre d'un match à deux. Difficile pour nous de le transformer en un match à quatre.
@Commentateur : Bonjour, une de vos photos où vous souffliez a beaucoup été partagée sur Twitter pendant le débat. Qu'en pensez-vous ?
Nathalie Saint-Cricq : J'ai une tête immonde. J'ai tenté toute la soirée de ne pas faire de grimace. Ça m'avait valu beaucoup de problèmes quand j’étais en classe. Mais à un moment donné, je n'ai pas pu me retenir. Cela reflétait assez bien ma pensée du moment.
@Laurent : Bonjour, on a eu souvent l'impression, à la vue de vos expressions faciales, que vous souffriez vraiment lors du débat, notamment consternée par l'attitude de Marine Le Pen. Est-ce que l'exercice a été dur aussi physiquement parlant ?
Nathalie Saint-Cricq : Il y avait eu déjà beaucoup de tension dans les jours qui ont précédé le débat. On s'attendait à quelque chose d'assez difficile, mais peut-être pas à ce point. C'est vrai que c'est un petit peu fatigant d'essayer de se faire entendre sans le moindre succès. Au bout d'un moment, soit on abandonne, soit on continue. On a essayé de continuer jusqu'au bout.
@Leonie21 : On se souvient de la poignée de main entre Hillary Clinton et Donald Trump à la fin de leur débat. J'étais surprise de ne pas retrouver ça hier soir. Est-ce que vous pouvez nous donner vos impressions sur l'entente des deux candidats après le débat ?
Nathalie Saint-Cricq : Ils sont partis extrêmement rapidement. Marine Le Pen a fait quelques pas vers Emmanuel Macron, à qui on était en train d'enlever le micro. Il y a eu un vague contact entre les deux. Puis, chacun est reparti dans sa loge. Ils sont venus nous serrer la main très rapidement et tout le monde est reparti.
@Rajendra Nath : Pourquoi aucune question sur l'écologie, la transition énergétique, le climat, l'agriculture, la pollution... ?
Les candidats avaient défini une dizaine de thèmes qu'ils devaient aborder dans un format d'un peu plus de 2 heures. Vue la tournure prise par le débat, nous avons été obligés d'en supprimer, en direct, cinq ou six. Le problème de l'écologie, par exemple, devait être traité en fin d'émission, c'est pour ça que nous n'avons pas pu l'aborder. Le dossier syrien, le collège unique, le service militaire, l'euthanasie ou l'abolition du mariage pour tous devaient également être abordés. Nous avons été obligés de faire des choix, et tout ceci en direct.
C'est la responsabilité également des candidats : en refusant de se plier à la règle, ils ont pris le risque de ne pas pouvoir évoquer les thèmes qu'ils avaient eux-mêmes décidés de traiter pendant le débat.
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
@Maria : Bonjour, quel impact aura ce débat sur les élections ?
Nathalie Saint-Cricq : Je pense qu'il aura peut-être convaincu des abstentionnistes de se mobiliser. Il serait intéressant de voir s'il y a eu un impact chez les électeurs de François Fillon, qui étaient tentés par l'abstention ou le vote Le Pen.
@Paul : Ça va ? Vous allez bien ? Remise de cette confrontation ? Je pense que vous ne l'aviez pas imaginée ainsi...
Nathalie Saint-Cricq : J'espère que le plus dur est derrière moi, après ces huit mois de campagne extrêmement étonnants et plein de rebondissements. Après, ce serait très inconvenant de se plaindre quand on a eu la chance de participer à un grand moment de télévision, même si certains ont eu l'impression que c'était plus assister.
@Rey74 : Selon vous, doit-on faire évoluer la forme de ce débat d'entre-deux-tours ? Si oui, quelles seraient vos suggestions à ce sujet ?
Nathalie Saint-Cricq : Je pense qu'il ne faut pas juger à chaud ce débat, très spécifique en raison de la stratégie adoptée par Marine Le Pen. Nous avons encore cinq ans pour y réfléchir.
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