Dossier de candidature. Nucléaire, smic, VIe République... les propositions de Jean-Luc Mélenchon à l'épreuve du terrain
Chaque semaine, la rédaction de franceinfo passe au crible le programme, la personnalité et le CV d'un candidat à la l'élection présidentielle. Focus sur Jean-Luc Mélenchon
Chaque semaine, la rédaction de franceinfo passe au crible le programme, la personnalité et le CV d'un candidat à la l'élection présidentielle. Mercredi 1er mars, focus sur Jean-Luc Mélenchon, le représentant de La France insoumise, soutenu par le PC.
Une affaire de passion et de cœur à gauche, très à gauche
La première interview télévisée de Jean-Luc Mélenchon a lieu il y a trente ans, en août 1987. À 36 ans, il est l’une des étoiles montantes du Parti socialiste et, depuis un an déjà, le plus jeune sénateur de France. La veille de l'émission télévisée, Harlem Désir, président de SOS Racisme, a totalement crevé l’écran lors de l'émission L’Heure de Vérité. Jean-Luc Mélenchon en tire quelques enseignements. "Je crois qu'Harlem Désir a apporté la preuve qu'en parlant le langage des solutions simples et concrètes, mais aussi le langage de la passion, et après tout la politique est une affaire de passion et de cœur, on peut convaincre. Peut-être faut-il nous mettre à cette école", déclare le jeune parlementaire.
Il faut savoir parler à la fois le langage de la passion et le langage des solutions simples et concrètes.
Jean-Luc Mélenchon, sénateurAoût 1987
"Les solutions simples et concrètes" et "la passion" pour les transmettre, ce sont des leçons que Jean-Luc Mélenchon retiendra durant toute sa carrière politique.
Mobiliser la société. Sur le fond, le jeune sénateur de l’Essonne, qui fut trotskiste quand il était lycéen et étudiant, membre de la très sectaire Organisation communiste internationaliste (OCI), reste très à gauche au sein d’un PS qu’il a rejoint en 1976. En 1989, il est l’un des rares à défendre les 35 heures. "Il faut réduire le temps de travail, nous en avons les capacités, les moyens et la richesse." Jean-Luc Mélenchon s'interroge alors sur "le sens de la vie en société" et sur "le but" à atteindre, par "une société mobilisée". "Un gouvernement de droite gère les affaires, la fonction d'un gouvernement de gauche est de mobiliser la société."
Discordant, mais dans le rang. À cette date, Jean-Luc Mélenchon représente déjà une voix discordante au sein du PS, hostile à l’ouverture décidée par le Premier ministre Michel Rocard, qui a accueilli des centristes au gouvernement en 1988. Il se montrera également bientôt hostile à la guerre en Irak, pourtant voulue par François Mitterrand. Il fonde à ce moment-là avec Julien Dray, qui lui apprend beaucoup, son courant, la Gauche socialiste (GS).
Il fera cependant campagne, sans grand enthousiasme il est vrai, en faveur du traité de Maastricht en 1992. Mais presque immédiatement après, il regrettera son choix et creusera son sillon à la gauche du Parti socialiste, résolument hostile à l’Union européenne, trop libérale selon lui, et favorable à une VIe République pour la rapprocher des citoyens. A chaque congrès du PS, il présente une motion qui défend ces idées. En mars 2000, Jean-Luc Mélenchon accepte cependant de devenir ministre délégué à l'Enseignement professionnel.
Electrochocs. Après le fiasco du 21 avril 2002 et la disqualification de Lionel Jospin à l'issue du premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon passe à la vitesse supérieure, fonde le courant Nouveau Monde avec Henri Emmanuelli et milite pour le "non" à la Constitution européenne. Quand le 1er décembre 2004, le PS vote en interne en faveur du "oui", il accuse le coup et se "prend le plafond sur la tête". "Je crois que beaucoup de gens qui, en conscience, ont voté non ne changeront pas d'avis. On va leur demander, puisque c'est la même maison, la même famille."
Vers un front de gauche. Jean-Luc Mélenchon fera en effet campagne pour le "non" avec les communistes et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). C'est probablement d’ailleurs à cette époque qu’il noue les premiers contacts solides hors du PS. Il fonde un nouveau courant, nommé Trait d’union, qui cherche à travailler avec ces alliés à la gauche du PS, dans une vision clairement républicaine et anti-libérale. Il soutiendra cependant Ségolène Royal lors de la présidentielle de 2007 car, un peu comme pour François Hollande au second tour en 2012, il voit dans la candidate socialiste la seule capable de battre la droite. Lors du Congrès du Parti socialiste de Reims en 2008, il signe la motion dirigée par Benoît Hamon qui réunit pour la première fois toutes les tendances de l’aile gauche du PS. Mais constatant son échec, Jean-Luc Mélenchon en tire les conséquences et annonce la création d'"une force politique nouvelle", en 2009, le Parti de gauche. "Nous nous déclarons partisans de la formation d'un front de gauche pour ces élections européennes entre ceux qui sont d'accord sur ses orientations. Nous nous adresserons à tous ceux qui sont disponibles, le Parti communiste en tout premier lieu."
Enfin libre du carcan socialiste, Jean-Luc Mélenchon peut devenir le leader, celui qui brocarde sans fard le capitalisme, les grands médias, l’Union européenne et le Front national, celui qui prétend incarner le peuple contre l’oligarchie, contre le système, et qui assume la rupture entre le "nous" et le "eux". Cette élection présidentielle 2017 paraît être sa dernière grande chance de prendre le pouvoir. Il était donc tout à fait inimaginable qu’il se désiste au profit de Benoît Hamon. Cette fois-ci, Jean-Luc Mélenchon ira jusqu’au bout et sans compromis.
Environnement : la "règle verte" et la sortie du nucléaire
Les mesures environnementales sont très développées dans le programme du candidat de la France Insoumise, pour qui "il n'y a pas de capitalisme vert". Jean-Luc Mélenchon propose la mise en place d’une "règle verte". Elle consiste à ne pas prendre à la planète plus que ce qu'elle peut reconstituer. Si vous coupez 30 000 arbres, c'est parce que vous en replantez autant. Cette règle doit guider la planification écologique que veut mettre en place Jean-Luc Mélenchon, au point de prévoir une sortie des traités internationaux qui ne la respectent pas.
Le candidat à la présidentielle veut développer l'agriculture bio et la faire entrer à 100% dans la restauration collective. Il veut également proscrire les pesticides et développer 300 000 emplois dans les petites exploitations, ce qui stopperait les fermes usines, comme celle dite "des 1 000 vaches". Comment appliquer cette règle aux minerais pour produire les voitures, les éoliennes ou téléphones ? Pour Jean-Luc Mélenchon, il s’agit de développer le recyclage, d'éco-concevoir ces produits en imposant des normes pour limiter les mines et s'il le faut, les interdire dans les zones de grande biodiversité, ce qui est le cas en Nouvelle-Calédonie avec le nickel ou en Guyane pour l'or.
100% d'energie renouvelable en 2050. Jean-Luc Mélenchon prône la sortie du nucléaire, estimant le risque d'accident trop grand. Il s’agit d’un sujet de débat fort avec la CGT, très représentée à EDF, une entreprise que le candidat veut renationaliser. Son programme prévoit aussi la fermeture de la centrale de Fessenheim, l'abandon des EPR de Flamanville et d'Hinkley Point. Son programme stoppe aussi le projet d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure dans la Meuse pour les gérer en surface. Il s'appuie sur les scénarios de l'Agence de l'environnement et de l'association négaWatt pour sortir du nucléaire et atteindre 100% d'energie renouvelable en 2050. Jean-Luc Mélenchon estime qu'il faut en deux ans remplacer entre deux et cinq réacteurs par autant de solaire, d'éolien, de géothermie en fonction des potentiels des territoires.
Ces scénarios se basent aussi sur de fortes économies d'énergie dans le bâtiment, pour lequel il promet d'assurer l'isolation de 700 000 logements par an, alors que nous sommes à moins de 300 000 aujourd'hui. Dans le secteur des transports, le candidat de la France insoumise estime qu’il faut repenser les villes pour moins les étaler, et ainsi, moins dépendre de la voiture et de ses carburants.
Un smic en hausse de 173 euros net par mois dès 2017
L'une des propositions du candidat de la France Insoumise est d'augmenter les salaires. Son objectif est de relancer l'économie par la consommation, grâce à une hausse du pouvoir d'achat. Sa proposition choc concerne le smic, que Jean-Luc Mélenchon promet de porter immédiatement à environ 1 300 euros net mensuel contre 1 153 euros aujourd'hui.
Comment vit un salarié payé au smic ? Que changerait pour lui la hausse de 16% ? Christophe, 55 ans, originaire du Nord et employé en région parisienne, témoigne. Il a pris la décision difficile de s'éloigner de ses enfants pour travailler en banlieue parisienne, il y a trois ans, quand un contrat à durée indéterminée (CDI) lui a été proposé. Depuis, il est manutentionnaire sur une plateforme logistique. Il gagne cinq euros de plus que le smic, soit 1 160 euros net. Son budget est géré au plus serré. Il doit régler un loyer à 640 euros, auquel il faut rajouter 100 euros de charges. Il faut aussi payer la nourriture.
Une augmentation de 173 euros net par mois, telle que la promet Jean-Luc Mélenchon, irait directement sur le poste nourriture, trop serré avec "sept euros pour les trois repas quotidiens". Toutes les dépenses de Christophe sont calibrées. "Je me suis fixé une enveloppe de 7 euros par jour, soit 210 euros par mois, et ce ne sont pas des menus de gala. Pas de jambon, exceptionnellement jambon-pâtes avec un peu de beurre jusqu’au 20 du mois. Après on met moins de beurre."
150 euros "au cas où". Le budget actuel, sur 1 160 euros net, comprend également l'assurance habitation à 10 euros par mois, la mutuelle à 30 euros et l'abonnement du smartphone à 20 euros qui est essentiel pour garder le contact avec les enfants. Au final, il reste 150 euros que Christophe essaie de conserver au cas où… "Ce n’est pas de l’épargne", précise-t-il, c’est ce qui lui permet de faire "une petite digression" sur le budget repas ou d'aller chez le médecin. "Il faut faire une avance et il y a des médicaments qui ne sont pas complètement remboursés."
La moitié du treizième mois perçu par Christophe est consacrée aux fêtes de Noël, l’autre est utilisée pour les vacances d'été, quand il retourne chez lui voir ses enfants et petits-enfants. "Je réassure ma voiture restée là-bas et on va passer quelques jours au camping sur la Côte d’Opale." Divorcé, Christophe assume seul ses charges. Avec le smic, il ne peut prétendre à aucune aide sociale, ni allocation logement.
Christophe, qui dit survivre avec son smic, aimerait aussi rentrer plus souvent dans le Nord. Aujourd'hui, il peut voyager une fois toutes les six semaines, en TER, parce que le TGV lui coûte trop cher.
Une Assemblée constituante pour changer de République
Un coup de balai. Le changement des institutions sert de fil conducteur au programme du candidat de La France insoumise, avec un symbole : une VIe République. Jean-Luc Mélenchon a théorisé le dégagisme, le "dégagez les tous", qui s'adresse à la classe politique et à ses références, en particulier la Ve République, gaulliste, datant de 1958. Il défend son idée phare comme "un acte fondateur". Le 10 septembre 2016, sur le plateau de l’émission télévisée On n'est pas couché, Jean-Luc Mélenchon explique son souhait de "balayer tout ça, de sortir de la monarchie présidentielle pour entrer dans une nouvelle ère de pouvoir et de révolution citoyenne, où il y a un contrôle sur les élus".
Une Assemblée constituante. Le scénario commence avec l'article 11 de la Constitution, qui donne au seul président de la République le pouvoir d'organiser un référendum sur le changement des institutions. Ensuite, il crée une Assemblée constituante, composée autant d'hommes que de femmes, avec des élus et des personnes tirées au sort, qui doivent écrire la nouvelle Constitution. Pour Jean-Luc Mélenchon, le processus doit être engagé rapidement, dès septembre 2017.
L'Assemblée nationale continuera à gérer le pays, les députés travailleront toujours en parallèle, à l'image de l'expérience menée en Equateur, un de ses pays modèles de Jean-Luc Mélenchon. Une fois écrite, la Constitution sera soumise au vote, par un référendum. Si les Français approuvent le changement, le candidat de La France insoumise promet qu'il quittera le pouvoir pour laisser place à un nouveau président.
Est-il utile et pertinent de changer de Constitution ? Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'université Paris-1-Sorbonne se base sur l'Histoire de France pour juger "peu crédible l'Assemblée constituante", en raison notamment de son contexte. Selon ce spécialiste, "on ne convoque une Assemblée constituante qu'après une révolution, une défaite militaire ou un coup d'Etat militaire". Le juriste évoque "Napoléon 1er, voire le général de Gaulle en 1958".
De nombreux juristes plaident en faveur de la stabilité, d'autant que l'actuelle Constitution peut être amendée. C'est ce que soutient Pascal Jan, professeur de droit à l'Institut d'études politiques (IEP) de Bordeaux, en déclarant que "le texte constitutionnel sert à encadrer l'action des pouvoirs publics et faire en sorte que les institutions fonctionnent".
La VIe République est une proposition qui figure aussi dans le programme de Benoît Hamon, vainqueur de la primaire de la gauche.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.