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Le PS va-t-il survivre au quinquennat de François Hollande ?

Article rédigé par Bastien Hugues - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le président de la République, François Hollande, le 17 février 2015, à Sarre-Union (Bas-Rhin). (MAXPPP)

Pour comprendre la crise que traverse la majorité, francetv info a interrogé Denis Lefebvre, spécialiste de l'histoire du Parti socialiste. 

A moins de quatre mois du congrès de Poitiers, le Parti socialiste est-il menacé d'une scission ? A-t-il déjà connu des crises aussi fortes par le passé ? Alors que la majorité a connu de nouvelles turbulences durant la semaine, avec l'emploi de 49.3 pour faire passer la loi Macron, mardi 17 février, francetv info a interrogé l'historien Denis Lefebvre. Auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire du Parti socialiste (Le Socialisme pour les nuls, 2008) et lui-même adhérent au PS, il est également secrétaire général de l'Office universitaire de recherche socialiste (OURS).

Francetv info : Le Parti socialiste a-t-il déjà traversé, dans son histoire, une crise aussi grave que celle d'aujourd'hui ?

Denis Lefebvre : Depuis qu'il existe sous la forme actuelle, c'est-à-dire depuis 1905, le PS a toujours été confronté à un certain nombre de problèmes. L'un d'eux revient de manière récurrente : à chaque fois qu'il est au pouvoir, le Parti socialiste se divise.

Ce fut le cas en 1936, au moment du Front populaire, dans les années 50, avec le gouvernement de Guy Mollet, ou encore sous Mitterrand, après 1981. Et c'est encore le cas aujourd'hui. A chaque fois, deux familles du Parti socialiste s'affrontent, et à chaque fois – ou presque –, cela aboutit à une scission.

Autrement dit, la crise actuelle n'est pas inédite…

Non. Cette division est une constante pour le Parti socialiste. En 1936, un leader socialiste, Marceau Pivert, lance : "Tout est possible." Le lendemain, Léon Blum lui répond : "Tout n'est pas possible." Rendez-vous compte, c'était il y a quatre-vingts ans ! Et pourtant, il s'agissait, grosso modo, de la même question de fond que celle qui agite le PS aujourd'hui.

Quelles sont ces deux familles qui s'opposent ?

Il y a effectivement deux familles au sein de la gauche française : d'une part, une gauche qui choisit de gouverner, avec tous les compromis, les erreurs et les déceptions que cela implique ; et d'autre part, une autre gauche, qui veut toujours aller plus loin, qui a des états d'âme, qui sait qu'elle risque de décevoir une fois au pouvoir, et qui, par conséquent, préfère avoir un pied dedans et un pied dehors. L'épisode actuel illustre bien le fait que ces deux familles existent à gauche, mais qu'elles existent aussi au sein même du Parti socialiste.

Ce qui est tragique, c'est que la gauche qui rêve s'éloigne irrésistiblement de la gauche qui rame.

Denis Lefebvre

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Vous parliez du risque de scission. Ce risque existe-t-il à nouveau aujourd'hui, à l'approche du congrès de Poitiers, au mois de juin ?

Les périodes de pré-congrès sont toujours difficiles pour le Parti socialiste. Mais chacun sait qu'une crise qui déboucherait sur une scission serait mortifère pour le parti. Si le collectif ne reprend pas le dessus, le risque existe.

L'une des questions clés est de savoir si les rancœurs personnelles qui existent depuis la primaire de 2011 peuvent être mises de côté par les intéressés. A l'époque, les débats se sont bien passés. Mais, à la fin, certains vaincus n'ont pas digéré leur défaite, et se sont engagés en coulisses dans une stratégie personnelle, puis dans l'amorce d'une contestation. C'est un élément essentiel pour comprendre la situation actuelle.

L'aile gauche du PS, elle, justifie sa position en affirmant que la ligne politique actuelle du gouvernement ne correspond pas au cap promis par François Hollande en 2012...

En 2012, François Hollande a été élu sur un beau slogan : "Le changement, c'est maintenant." Le problème, c'est que, dans la situation de crise que nous connaissons, ce choix de slogan était sans doute un petit peu hasardeux. Les frondeurs ont peut-être raison, mais jusqu'à preuve du contraire, leur position n'est pas majoritaire au sein du groupe parlementaire. Peut-être qu'après le Congrès du mois de juin, ils le seront, mais pour l'instant, ce n'est pas le cas !

En attendant, nous assistons quasiment à une première dans l'histoire du Parti socialiste : une minorité de parlementaires refuse de respecter la ligne majoritaire du parti. Cela pose une vraie question : le PS est-il encore un parti discipliné ?

Pourquoi cette aile gauche du PS ne quitte-t-elle pas le parti ?

Parce que la cohabitation des deux familles, que j'évoquais, est une tradition. Depuis sa fondation, en 1905, le Parti socialiste a toujours fonctionné avec différents courants de pensée, différentes tendances, différentes sensibilités. Fut un temps, par exemple, où cohabitaient au sein de la SFIO des réformistes et des anarcho-syndicalistes ! Mais depuis le congrès d'Epinay, en 1971, le PS a tranché un débat, en se fixant comme objectif d'accéder au pouvoir pour transformer la société. 

Cela fait longtemps que la gauche sait qu'elle ne fera plus le grand soir !

Denis Lefebvre

francetv info

Mais manifestement, certains ne suivent pas. Donc soit tout le monde décide de passer outre les querelles de personnes, et privilégie l'intérêt de la France, soit certains quitteront le parti, et provoqueront en effet une scission.

Nous en revenons au risque de scission...

Personnellement, je doute de la réalité de ce risque. Cette hypothèse serait mortifère pour le PS, mais elle serait aussi suicidaire pour ceux qui partiraient. Lorsque vous quittez un parti pour en fonder un autre, c'est parce que vous pensez que vous avez raison. Vous croyez que vous allez pouvoir l'emporter sur la maison-mère, notamment en ramenant à vous, à plus ou moins long terme, une majorité d'élus, d'adhérents, etc. Or, je le répète, dans toute l'histoire du Parti socialiste, jamais une partie scissionniste ne l'a emporté sur la maison-mère.

Quand Marceau Pivert quitte la SFIO en 1936, il ne part pas avec plus de 2 000 ou 3 000 adhérents. Quand naît le Parti socialiste autonome, en 1958, seuls quelques milliers d'adhérents quittent la SFIO. Quand Jean-Pierre Chevènement quitte le PS en 1993, il n'emmène avec lui que quelques centaines d'adhérents. Idem pour Jean-Luc Mélenchon en 2008 : depuis qu'il a quitté le PS, il réussit certes à exister médiatiquement, mais il n'est pas passé devant le PS aux élections. Et au fond, il reste relativement isolé, puisque même ses alliés du PCF gardent quelque peu leurs distances…

Blum disait : 'On n'a jamais raison contre son parti.'

Denis Lefebvre

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L'an dernier, en juin 2014, Manuel Valls disait : "La gauche peut mourir." L'évolution des événements, depuis, ne renforce-t-elle pas cette hypothèse ? 

Il est vrai que c'est une possibilité. Le Parti socialiste est un parti qui existe beaucoup autour de ses élus, de ses bastions électoraux. S'il les perd massivement, cela pose un vrai problème. Deuxièmement, un parti politique n'existe véritablement que s'il a un candidat susceptible de l'emporter à la présidentielle. Si ce n'est pas le cas dans deux ans, cela posera un autre problème de taille. Le Parti socialiste risquerait alors, sinon de mourir, de devenir un parti sérieusement exsangue. Et si l'unité du PS n'est pas préservée, ce risque sera d'autant plus grand.

Comment, alors, le PS peut-il survivre au quinquennat de François Hollande ?

Il n'y a pas trente-six solutions : si la situation fait que François Hollande est en mesure d'être réélu en 2017, les problèmes du PS s'envoleront. "Il faut donner du temps au temps", comme disait François Mitterrand. Mais si la situation ne s'améliore pas, alors le PS doit s'attendre à retrouver l'opposition, avec un parti très affaibli et une gauche très divisée. De là à pronostiquer l'éclatement du parti... D'abord, il est difficile pour un historien de faire des pronostics. Et puis, qui donc aurait cet intérêt au sein du PS ? Absolument personne !

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