"Pour faire des économies, il faut remettre en cause la bureaucratie kafkaïenne"
Alors que Jean-Marc Ayrault a demandé vendredi 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires à ses ministres, francetv info a demandé son avis à l'ancien ministre du Budget Alain Lambert.
Cinq milliards d'euros. C'est l'effort supplémentaire demandé par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, aux membres du gouvernement, dans la lettre de cadrage qu'il leur a adressée, vendredi 8 mars. Les ministres ont jusqu'à juin pour présenter leurs propositions d'économies. Les plafonds de crédits de chaque ministère seront alors arrêtés.
Ces 5 milliards d'économies serviront à financer, pour 3,5 milliards d'euros, certaines politiques du gouvernement, notamment la lutte contre la pauvreté et la bataille pour l'emploi. C'est ce qu'on appelle des "redéploiements" : ces dépenses nouvelles sont financées avec l'argent qui était dévolu à d'autres missions. Le montant qui reste, c'est-à-dire 1,5 milliard d'euros, correspond, comme l'expliquent Les Echos, à la baisse réelle de la dépense publique.
Où les ministères vont-ils trouver ces 5 milliards d'euros ? Pour se faire une idée des marges de manœuvre qui existent encore, francetv info a interrogé le centriste Alain Lambert, ancien ministre du Budget du gouvernement Raffarin (2002-2004).
Dans sa lettre de cadrage, Jean-Marc Ayrault demande aux ministères de "rationaliser l'organisation et le fonctionnement des administrations" dont ils ont la charge. Quelles sont les marges de manœuvre pour faire des économies de fonctionnement ?
Si les ministères acceptaient de remettre en cause la bureaucratie dans laquelle ils sont installés depuis tant d'années, ils pourraient réaliser ces économies. Les parcours administratifs kafkaïens qu'ils ont créés rendent l'action publique extrêmement coûteuse. La marge de manœuvre réside dans la simplification des administrations françaises.
De toute façon, si les administrations n'ont pas de pistes pour simplifier leur fonctionnement, c'est qu'elles n'ont pas fait leur travail. Une entreprise qui veut être compétitive et vendre ses produits sans qu'ils soient plus chers veille à simplifier son propre fonctionnement. Si les administrations françaises ne font pas cela, on comprend pourquoi elles sont les plus chères du monde. La Suède est le seul pays à avoir des dépenses plus élevées que les nôtres.
Certains ministères ont-ils plus de possibilités de faire des économies que d'autres ?
Il y a à mon avis des ministères qui tardent à évoluer. Alors qu'aujourd'hui, tout est communautaire, le ministère de l'Agriculture conserve une administration pléthorique qui n'est pas justifiée. Au ministère de l'Ecologie et des Transports, beaucoup de fonctionnaires sont affectés à des travaux que l'Etat ne peut plus financer. Nous pourrions très bien affecter ces fonctionnaires à la simplification du fonctionnement de leur administration.
Aujourd'hui, parce qu'elle a le temps de le faire, l'administration réglemente davantage, invente des contrôles de plus en plus longs et coûteux. Les sureffectifs que l'on constate aboutissent à une surréglementation et entraînent des dépenses qui ne participent pas au bien-être des Français. La machine marche à l'envers.
Jean-Marc Ayrault s'est fixé une contrainte : ne pas toucher à la masse salariale de l'Etat, qui représente 24% de ses dépenses. Cette contrainte est-elle tenable ?
La sagesse consisterait à stabiliser en valeur, en euros courants, toutes les dépenses des administrations publiques, sans exception. Si vous appliquez le taux d'inflation [2% en 2012, selon l'Insee] au montant de la dépense publique, 1 100 milliards, vous avez une idée de l'économie que cela permet de réaliser. La désindexation n'est pas honteuse. Apprendre aux administrations à vivre avec le même budget que l'année précédente n'est pas de la maltraitance : il s'agit de les ramener à la juste mesure des choses.
Je pense que la désindexation doit s'appliquer à l'ensemble des salariés. Il faut que l'effort soit le même pour tout le monde, il ne s'agit pas de stigmatiser les fonctionnaires. Il est préférable d'accepter l'idée d'une stabilité en valeur des salaires, le temps que le pays retrouve son souffle, plutôt que de procéder à des coupes sombres au moment où nous ne pourrons plus respirer.
Si vous donnez le choix à un salarié entre renoncer à une augmentation mais conserver son emploi, ou obtenir son augmentation mais perdre son emploi, il n'hésitera pas. Dans le public, ils ne semblent pas comprendre cette alternative.
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