Cet article date de plus de douze ans.

Pourquoi la France est accro au diesel

Alors que les moteurs diesel sont décriés pour leurs émissions de particules fines, la France est championne du monde de consommation de gazole. Retour sur une spécificité hexagonale.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Aujourd'hui, 65% du parc automobile français est équipé en diesel. (STEPHANE DANNA / AFP)

ECO – Ah, la France ! Ses fromages, son vin et son diesel. Face aux critiques des écologistes sur les émissions de particules fines, les industriels contre-attaquent, mardi 25 septembre, et défendent le diesel coûte que coûte. PSA rappelle ainsi que les "technologies diesel ont profondément changé en vingt ans"rapporte Le Point.

Fait rare en Europe, 65% du parc automobile est aujourd'hui équipé de ce type de moteurs, contre un quart en 1995 et 4,8% en 1980. Seules la Belgique et l'Espagne atteignent ce taux de "diésélisation", selon les chiffres du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA).

La raison de ce succès se cache dans nos porte-monnaies. Le gazole reste bien moins taxé que l'essence, depuis maintenant cinquante ans. Le 10 septembre, un litre de diesel coûtait 1,40 euro en moyenne, contre 1,59 euro pour le sans plomb 95, selon les relevés de la Direction de l'Energie et du Climat (PDF). Les automobilistes français ont fait leurs calculs.  

Cette situation n'a pourtant rien d'évident, puisque le gazole est légèrement plus cher à produire. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Suisse, l'essence est ainsi moins chère à la pompe. Alors pourquoi le gazole est-il si avantageux en France ? Francetv info vous explique les raisons d'une exception française qui inquiète les écologistes et certains professionnels du secteur.

1Parce que le nucléaire a libéré du gazole pour l'auto

Après-guerre, seuls les camions et les tracteurs sont équipés en diesel. "Ces professionnels voulaient un carburant moins cher. Ils ont pesé lourd dans la décision", explique Pierre-René Bauquis, économiste auprès de l'Institut français du pétrole (IFP). Pour les soutenir, les gouvernements détaxent donc le gazole. 

Le mouvement s'accélère quand, dans les années 60, le général de Gaulle fait le choix de développer l'énergie nucléaire pour asseoir l'indépendance énergétique de la France, explique le site du Parisien. Les foyers français se chauffent davantage à l'électricité et délaissent le fioul domestique. Les raffineries doivent alors trouver de nouveaux débouchés pour leurs stocks, avec un coup de pouce de l'Etat.

"C'est parce que le général de Gaulle a lancé le parc nucléaire français que Peugeot notamment a été incité à produire massivement des véhicules destinés à écouler la surproduction de gazole", libérée par le chauffage électrique, écrivait en juin dernier l'adjoint au maire EELV de Paris Denis Baupin, sur LePlus. Mais au début, le marché peine à décoller. Les raffineries continuent donc d'investir dans des unités de production d'essence, seul moyen pour elles de survivre.

Et aujourd'hui ? L'argument ne tient plus. Face à la prolifération des moteurs diesels, les raffineries doivent aujourd'hui importer énormément de gazole (un tiers de la demande) et trouver des débouchés pour exporter leurs surplus d'essence. "Les raffineries se sont tiré une balle dans le pied", explique Thomas Porcher, économiste spécialiste du pétrole. En 2011, le Commissariat au développement durable (PDF) dénonçait ce déséquilibre, qui menace des milliers d'emplois. La raffinerie Total de Flandres-Dunkerque (Nord) et la raffinerie Petroplus de Reichstett (Bas-Rhin) ont fermé depuis.

2Parce que la France est devenue leader en la matière

Jadis réservé aux taxis et aux grands rouleurs, le diesel se démocratise peu à peu, fort de son avantage fiscal. Et l'usine Peugeot de Lille-Fives (Nord) peut fêter la production de son millionième moteur diesel en 1976.  

Bruit, nervosité, vitesse… Rien n'est encore gagné pour cette technologie, jugée paresseuse et poussive. Les constructeurs français investissent alors dans l'innovation : injection directe dans les années 80, rampe commune dans les années 90… Les défauts sont corrigés et les consommateurs séduits. Lancée en 1983, la petite 205 diesel a les mêmes performances que l'essence. Elle sauve le groupe PSA et ravit les automobilistes, qui paient moins cher à la pompe.

Auditionné par l'Assemblée nationale en 1997, Jacques Calvet, le patron du groupe, est aux anges."Nous sommes les meilleurs dans le monde en matière de diesel, pas pour les très gros diesels comme ceux de Mercedes, mais pour tous les autres. Renault est parmi les tout meilleurs également."

Et aujourd'hui ? Les constructeurs commencent à observer "l'inadéquation du moteur diesel avec les usages que peuvent en faire certains clients", expliquait le site CNetFrance.fr en mars dernier. Beaucoup de citadins sous-utilisent le moteur, conçu pour être efficace à partir de 20 000 kilomètres par an. Renault sent le vent tourner et préfère désormais axer ses recherches sur la voiture électrique. PSA a de son côté lancé les premiers hybrides diesel-électrique du monde (la Peugeot 3008, par exemple).

3Parce que beaucoup d'emplois en dépendent

Il n'empêche. Le diesel est stratégique pour la filière automobile française et son interdiction apparaît utopique aux yeux des constructeurs. "Quinze mille personnes travaillent à la recherche et au développement chez PSA, dont 94% en France", explique Guillaume Faury, directeur de la recherche du groupe, sur le site du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA). Il ajoute que tous les moteurs diesels du groupe "sont fabriqués en France dans deux usines grâce à des milliers de salariés" : 3 300 ouvriers à Trémery (Moselle) et 3 200 à Douvrin (Pas-de-Calais), précise encore le site du Figaro.

Il y a cinq ans, en 2007, un rapport du Sénat s'inquiétait d'un brusque revirement. "Il ne faudrait (…) pas mettre en péril une industrie qui représente 313 000 emplois et sacrifier notre avance dans le domaine de la maîtrise de la technologie du diesel", prévenait le sénateur Henri Revol.

Et aujourd'hui ? Le groupe PSA est malade. Son plan social prévoit le licenciement de 8 000 salariés en France et la fermeture de certains sites, comme l'usine d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Dans ces conditions, difficile pour l'Etat de rééquilibrer la taxation entre l'essence et le gazole sans déstabiliser un peu plus la filière.

4Parce que le diesel rejette moins de CO2

A distance parcourue égale, les moteurs diesels rejettent moins de CO2 que les moteurs à essence. C'est ce critère qui a longtemps servi à distinguer les véhicules propres des autres. En 2008, lorsque le Grenelle de l'environnement a voulu s'attaquer à ces rejets, le diesel a donc raflé la mise. Grâce au bonus-malus écologique, l'achat d'une Citroën C3 diesel e-HDi est récompensé d'une prime de 400 euros, calculait en juin le site La Tribune.fr. La lutte contre le réchauffement climatique est à ce prix. Et tant pis pour le modèle essence.

Certes, le diesel émet davantage d'oxyde d'azote et de particules fines. Mais la réglementation européenne oblige les raffineries à faire des efforts : entre 1994 et 2006, la teneur en soufre dans le gazole est ainsi passée de 2 000 mg/kg à 10 mg/kg. Et le filtre à particules (FAP) est obligatoire sur les voitures neuves depuis le 1er janvier 2011 (norme Euro 5). Pour Guillaume Faury, l'interdiction du diesel en France serait donc "un vrai contresens de l’histoire", car "on reviendrait dix ans en arrière en termes d’émissions de CO2", explique-t-il dans le communiqué cité ci-dessus.

Le groupe PSA a d'ailleurs ouvert les portes de son centre technique de Carrières-sous-Poissy (Yvelines), mardi 25 septembre, sous l'œil de nos confrères de France 2, Luc Bazizin et Swanny Thiébaut.

Diesel : un centre technique PSA ouvre ses portes ( Luc Bazizin et Swanny Thiebaut - France 2 )

Et aujourd'hui ? Les associations écologistes s'étranglent. Car les particules fines ont été classées "cancérogènes certains" par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le 12 juin. Rien qu'en France, elles entraîneraient chaque année 42 000 décès, selon un programme de la Commission européenne. En clair, le contribuable aurait dépensé 1,5 milliard d'euros pour un bonus écologique dangereux pour la santé ! Certains élus, comme le sénateur EELV Jean-Vincent Placé, proposent d'interdire le diesel dans les grandes villes d'ici trois ans.

5Parce que les professionnels ne veulent pas d'essence

La moindre hausse du gazole est scrutée par les professionnels de la route, le plus souvent équipés en diesel. Et lorsque le prix augmente trop, les syndicats de transporteurs n'hésitent pas à monter au front, comme ici à Lyon (Rhône) en 2008.

Manifestation de transporteurs routiers devant la préfecture de Lyon (Rhône), en juin 2008, contre la hausse des taxes sur le gazole. (FRED DUFOUR / AFP)
Leur dernière grande victoire remonte en 2007. Cette année-là, l'Union européenne accepte le principe du "gazole professionnel" pratiqué par la France, rapporte alors Libération. Les transporteurs peuvent se faire rembourser une partie de la taxe sur les produits pétroliers (TICPE), à raison de 5 euros par hectolitre (PDF) dans une grande partie de la France. Le Comité national routier est chargé de calculer le prix de ce gazole professionnel, régulièrement réajusté. 

Et aujourd'hui ? Revenir à l'essence, pas question. "Les taxis et les transporteurs routiers s’imaginent que cela pourrait leur nuire, alors qu’il suffirait d’ajuster les prix pour qu’ils restent compétitifs", estime l'économiste Pierre-René Bauquis. Pour ménager les sensibilités, le Sénat imaginait en 1997 "concentrer [l'usage du diesel] entre les mains des conducteurs qui réalisent un nombre important de kilomètres". Avec pour objectif de revenir à 25% de véhicules diesels en France. On connaît la suite.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.