Pourquoi la robe de Cécile Duflot excite certains députés
FRANCE - La ministre du Logement a été chahutée à l'Assemblée nationale mardi pour sa robe. Le modèle choisi incarne une certaine féminité que les députés ne sont pas prêts à accepter, analysent blogueurs et journalistes.
Alors qu'elle s'apprêtait à prendre la parole à l'Assemblée nationale mardi 17 juillet, la ministre du Logement et de l'Egalité des territoires, Cécile Duflot, a été huée depuis les rangs de l'UMP. Des sifflements en réaction à sa robe, blanche à motifs bleus, qui laisse voir ses avant-bras.
Mercredi, la séquence a largement été diffusée sur internet, et très commentée. Pour certains journalistes et blogueurs, le modèle choisi n'est pas anodin. Cette robe incarne plusieurs symboles de la féminité.
• "Une féminité joyeuse"
Marie-Anne Paveau, professeure en sciences du langage à l’université Paris-13, analyse, sur le site internet La pensée du discours, le modèle de la robe de Cécile Duflot, et ce qu'il a pu évoquer dans l'esprit des députés pour déclencher de tels sifflets. "Il y a peut-être une mémoire discursive et culturelle qui a parlé dans cette robe, et qui s’est violemment activée chez des hommes peu habitués à l’examen de leurs croyances préalables", estime-t-elle.
"La robe de Cécile Duflot n’est pas complètement anodine : c’est une robe inspirée du style 'New Look', colorée et visible (et non 'voyante'), cintrée et ajustée, un peu courte. (…) La robe New Look, c’est le symbole (le symptôme ?) de la féminité dans les années 1950. (…) Il promeut une féminité d’après-guerre, une féminité d’après le rationnement des manteaux retournés et des bas peints à même la jambe, une féminité joyeuse et coûteuse (…)", explique Marie-Anne Paveau.
• Une féminité assumée et libérée
"Sortir des rangs vestimentaires en politique peut aussi se révéler un geste engagé", indique France Info.fr. Pourtant, "si les codes vestimentaires des tenues masculines à l'Assemblée sont clairs, comme le port obligatoire de la cravate, [le dress-code] des femmes, lui, reste encore totalement flou", rappelle le site. En fait, Cécile Duflot a transgressé une loi tacite.
Les fleurs stylisées bleu vif de sa robe cintrée ont tranché avec le noir, le blanc, le gris, le marron et les costumes trois-pièces généralement de mise dans l'hémicycle. C'est ce qui a choqué les députés, selon Brigitte Laloupe, coach de cadres dirigeants et auteure du livre Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes ?. "En s'habillant de façon aussi différente, Cécile Duflot fait preuve d'insoumission vis-à-vis des codes en vigueur et que tous partagent, qu'ils soient de droite ou de gauche. En portant l'uniforme requis - costume sombre, cravate -, chacun démontre qu'il fait bien partie de ce monde-là, qu'il en connaît et accepte les us et coutumes et qu'il est correctement positionné socialement", écrit-elle sur son blog Olympe et le plafond de verre.
L'événement survenu au Palais-Bourbon a fait réagir jusqu'en Suisse. Géraldine Savary, conseillère aux Etats socialiste interrogée par La Tribune de Genève, explique que le dosage est essentiel. "Il ne faut pas être agressif avec sa féminité", estime-t-elle, "le risque étant d'y être réduite par les médias", ajoute le quotidien.
"Quel que soit [le] choix vestimentaire [de Cécile Duflot], il sera commenté. (…) On voit bien aujourd'hui que la liberté de se vêtir n'est pas une liberté anodine, mais c'est un choix risqué car, inévitablement, c'est sur ce terrain-là que [les députés] essayeront de la ramener et il n'est pas sûr qu'ils finiront par s'habituer", résume Brigitte Laloupe.
• Une féminité qui rebute
A travers cette robe, Cécile Duflot montre donc qu'elle veut allier féminité et compétences politiques, qu'elle est toujours la même en étant ministre, et qu'elle assume ce choix aux yeux de tous. En ce sens, la robe "sert de paravent à ce qui ne peut ou ne veut se dire", analyse Marie-Anne Paveau.
Mais visiblement, les députés français ne sont pas encore prêts à recevoir ce message. Comme le relève la journaliste Béatrice Toulon dans un billet sur Le Plus, "a-t-on le droit d'être une femme et aux responsabilités dans notre République ? Je ne soupçonne pas ces messieurs de machisme, je les accuse de nier le féminin."
Preuve en est la réaction de Patrick Balkany, interrogé sur le sujet par Le Figaro.fr mercredi. En une phrase, le député-maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) illustre cette négation du féminin. "Peut-être avait-elle mis cette robe pour ne pas qu'on écoute ce qu'elle avait à dire", a-t-il déclaré. "Accepter le féminin, (…) c’est ne pas croire qu’une femme qui assume sa féminité perd en légitimité", semble lui répondre Béatrice Toulon. Le message est envoyé, la balle est maintenant dans le camp des députés.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.