Pourquoi les députés tiennent tant à leur indemnité de frais de mandat
Des députés justifient l'absence de tout contrôle par un souci d'"indépendance", indispensable selon eux au bon exercice de leurs fonctions.
"Tout le monde sait qu'un certain nombre de parlementaires n'utilisent pas la totalité de leur indemnité de frais de mandat pour financer leurs frais professionnels. Vous le savez pertinemment : ne jouez pas les innocents !" Lancée en plein hémicycle à ses collègues la semaine dernière par le député centriste Charles de Courson, la critique fait désordre dans la "République exemplaire" voulue par François Hollande, au moment où le gouvernement impose aux Français son "effort dans la justice".
Le sujet est sensible au Palais Bourbon. L'écrasante majorité des députés voient d'un très mauvais œil les tentatives pour encadrer l'utilisation de ces 6 412 euros d'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) perçus en plus de leur rémunération (5 189 euros). Sans surprise, ils ont donc massivement rejeté l'amendement présenté par Charles de Courson tendant à rendre imposable la partie non utilisée de l'IRFM. Pourquoi les parlementaires se refusent-ils à davantage de transparence et de contrôles ? FTVi a recueilli les arguments, plus ou moins pertinents, de plusieurs députés.
• Fiscaliser l'IRFM, "une ânerie"
Rendre imposable la partie de l'indemnité qui n'a pas effectivement servi à engager des frais mais qui a généreusement garni le compte en banque du député ? "Ceci est une ânerie", tranche, radical, le député socialiste Christian Eckert. "Accepter cela, c'était reconnaître que ce qui n'était pas utilisé pour les frais revenait au député comme un salaire. (...) Ce qui est inconcevable, c'est que l'IRFM soit (en partie certes) un revenu complémentaire. Si une partie de l'IRFM n'est pas utilisée à son objet, elle doit être remboursée", précise sur son blog le rapporteur de la commission des finances.
Pour l'instant, ce vœu pieux reste du domaine de la théorie. Pour la première fois, a révélé Mediapart samedi 21 juillet, l'Assemblée nationale a demandé aux députés de la législature précédente (2007-2012) de rembourser l'excédent non utilisé des 385 000 euros d'IRFM touchés en cinq ans de mandat. Mais dépourvus de tout instrument de contrôle, les services de l'Assemblée nationale sont réduits à faire confiance aux parlementaires, qui n'ont pas à produire de justificatifs.
• "Garantir l'indépendance des députés"
Ceux qui refusent le contrôle ou la transparence sur l'indemnité de frais de mandat agitent le chiffon rouge de l'indépendance du pouvoir législatif. Hors de question, donc, que le fisc et Bercy viennent décider à la place des députés des dépenses qui, oui ou non, relèvent de leur fonction ou de leur vie privée. "Il n'est pas pensable que l'administration contrôle le Parlement alors que l'une des missions du Parlement est justement de contrôler l'administration", avertit Christian Eckert. "Si j'invite le président d'une grande banque à déjeuner, devrais-je dire de qui il s'agit ? Je n'ai pas à dire si je rencontre plus souvent les représentants de Greenpeace ou ceux d'EDF ou d'Areva", poursuit-il.
Un tel contrôle "poserait problème", estime aussi l'ancien président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer. Lui propose de confier cette tâche au déontologue de l'Assemblée, une personnalité instituée sous sa présidence. "Le déontologue est tenu à la confidentialité, mais il peut, s'il constate une anomalie, la transmettre aux autorités de droit commun", plaide Bernard Accoyer, qui considère cette "évolution" comme "souhaitable".
• "Le traitement des députés est très raisonnable"
A tous ceux qui jugent trop favorable la situation des parlementaires français, le député UMP Gilles Carrez, président de la commission des finances, répond que le traitement des députés est "très raisonnable". "En devenant député en 1993, j'ai subi une perte de salaire", raconte cet ancien cadre d'entreprise publique.
"A force de durcir les conditions de rémunération et de mettre en place des contrôles, vous n'aurez plus du tout de députés issus du privé, déplore-t-il. Regardez le dernier renouvellement, c'est dramatique. Il n'y a plus que des fonctionnaires, des enseignants, des retraités, des gens qui n'ont fait que de la politique toute leur vie !" Comme la majorité des députés, Gilles Carrez défend le maintien du système actuel ou au moins, si un contrôle est institué, qu'il reste strictement confiné dans les murs du Palais Bourbon.
Certains de ses collègues ont toutefois rendu publique l'utilisation qu'ils faisaient de leur indemnité de frais de mandat. Bien avant de devenir ministre de la Réussite éducative, la députée PS de Paris George Pau-Langevin avait, en 2010, détaillé comment elle utilisait cette somme. Résultat : il ne lui restait à la fin de chaque mois que 195 euros sur les 6 000 euros versés par l'Assemblée. Son collègue Jean-Jacques Urvoas, aujourd'hui président de la commission des Lois, s'était livré au même exercice en 2009. Des données également mises en ligne par le Vert François de Rugy.
• "Se mettre l'indemnité dans la poche"
Evidemment, aucun député ne l'avouera, et rares sont ceux qui dénonceront les agissements de leurs collègues. Mais dans les couloirs de l'Assemblée, tout le monde sait bien qu'il y a des abus. "Un jour, un collègue m'a dit qu'il se mettait l'intégralité de l'IRFM dans la poche. Je lui ai demandé comment il faisait", raconte Charles de Courson. Réponse : ce député, qui était également maire, recevait dans sa mairie plutôt que de louer une permanence parlementaire, et utilisait les voitures de fonction de sa municipalité.
"Ces gens-là ne se rendent même pas compte qu'ils font de l'abus de bien public", peste Charles de Courson, qui dénonce "un bal des hypocrites". En rejetant l'amendement, "ils ont voulu gagner du temps, mais ils ne tiendront pas longtemps devant l'opinion publique", pronostique l'élu centriste. Au printemps, le député socialiste Pascal Terrasse a été épinglé par le site Mediapart pour avoir utilisé son IRFM à des fins personnelles, notamment des voyages en famille. Selon l'hebdomadaire Marianne, qui avait enquêté sur le sujet, son cas ne serait qu'"un parmi des dizaines".
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