: Vidéo Complément d'enquête. La lune de miel entre Vincent Bolloré et le président guinéen Alpha Condé
Les bureaux de Vincent Bolloré ont été perquisitionnés vendredi 8 avril après la diffusion d'un numéro de "Complément d'enquête". En cause, la concession du port de Conakry obtenue par le groupe Bolloré. Cette attribution ne serait-elle pas liée à l'organisation de la campagne présidentielle d'Alpha Condé par une société appartenant à Vincent Bolloré ?
Les bureaux de Vincent Bolloré ont été perquisitionnés vendredi 8 avril, au lendemain de la diffusion jeudi 7 avril d'un numéro de "Complément d'enquête" consacré à Vincent Bolloré, sur France 2.
D'après le journal Le Monde, en enquêtant initialement sur la société Pefaco, spécialisée dans les jeux en Afrique, les juges Serge Tournaire et Aude Buresi auraient incidemment découvert certains éléments leur permettant d'élargir leur instruction des faits de "corruption d'agents publics étrangers".
Les enquêteurs s'interrogent notamment sur la manière dont le groupe Bolloré a obtenu, en mars 2011, la concession du port de Conakry. Ils se demandent si cette attribution n'est pas liée à l'organisation, trois mois plus tôt, de la campagne présidentielle d'Alpha Condé par une société appartenant à Vincent Bolloré, l'agence Havas, alors détenue à 33 % par l'homme d'affaires breton.
Le 8 mars 2011, Alpha Condé, président guinéen fraîchement élu, décidait par décret présidentiel d'expulser l'opérateur du terminal à conteneurs de Conakry. La société française Necotrans, qui avait remporté l'appel d'offres face à Bolloré en 2008, était alors délogée par l'armée (voir vidéo) : "Il y avait des autorités militaires, des gendarmes postés devant nos bureaux, se souvient Abdou Diouf, à l'époque directeur du port de Conakry pour Necotrans. On était sorti d'un pays presque manu militari. C'était très compliqué et c'était surtout inexplicable."
Une fois la société Necotrans expulsée, Alpha Condé confiait ce marché titanesque (500 millions d'euros d'investissements) à Bolloré, sans nouvel appel d'offres, dans un contrat de gré à gré. Y aurait-t-il une connexion entre cette attribution de marché et la campagne réalisée par Havas quelques mois plus tôt ?
Havas, l'agence de communication qui a fait la campagne d'Alpha Condé
"Complément d'enquête" a retrouvé trace d'un livre écrit fin 2010 par Jean Bothorel – le biographe officiel de Vincent Bolloré – à la demande expresse de Vincent Bolloré, et payé par Havas (voir vidéo) : "Vincent m'a demandé si j'acceptais de faire un entretien avec Alpha Condé, ce que j'ai fait. Ça a été sûrement un bon point pour Vincent Bolloré. Il faudrait être suffisamment stupide pour ne pas le comprendre ! Je reconnais que ceux qui lui reprochent de se mêler un peu trop des affaires politiques africaines – de manière indirecte, parce que ça c'est indirect, comme démarche – n'ont pas tort. Mais bon, c'est son job..."
Durant leurs recherches, les équipes de "Complément d'enquête" ont aussi pu joindre plusieurs hauts cadres de l'agence Havas – dont Jean-Philippe Dorent, responsable des campagnes africaines – qui ont confirmé avoir réalisé "un gros travail de communication pour Alpha Condé en 2010", tout en contestant tout lien avec des marchés obtenus plus tard par le groupe Bolloré.
D'après nos informations, en 2011, une plainte pour corruption et financement illicite de campagne électorale avait été classée par le procureur de la République, mais les juges Tournaire et Buresi auraient trouvé une astuce juridique pour contourner l'obstacle du parquet.
Nouvelle campagne électorale, nouvelle polémique ?
Le 6 octobre 2015, Alpha Condé a été triomphalement réélu au premier tour. Cette fois, ce n'est pas Havas qui s'est occupé de la communication du président-candidat. Mais une autre société de Vincent Bolloré s'est pourtant bien illustrée pendant cette campagne.
En effet, "Complément d'enquête" a assisté à une scène étonnante en Guinée. Le 26 septembre, soit deux semaines avant l'élection, les équipes de Vivendi – contrôlée depuis un an par Vincent Bolloré – ont organisé un concert géant dans les rues de Conakry. L'occasion, pour Alpha Condé, de se faire acclamer par la foule. "C'est le président qu'il faut pour la Guinée. Il paraît que c'est lui qui a acheté les tickets", s'enthousiasment au micro de France 2 de jeunes Guinéens, semblant ignorer que le concert a été financé par Vivendi.
Vincent Bolloré n'est pas présent physiquement au concert, mais par un échange de textos avec le numéro 2 de Vivendi Simon Gillham, le PDG du groupe Bolloré s'enquiert de la présence d'Alpha Condé. Alors interrogé par "Complément d'enquête" sur la décision de faire monter le président-candidat guinéen sur scène, Simon Gillham se défend de tout mélange des genres : "Moi, quand Monsieur le président Condé me dit ‘je vais monter sur scène’, je me sentais pas de lui dire… Je suis chez lui quand même ! […] Je pense qu'il faut être poli quand on est visiteur dans un pays."
Le président Alpha Condé aura même l'honneur, au lendemain du concert géant, de poser la première pierre d'une future grande salle de concert construite par Vivendi. Une salle de spectacle baptisée "Canal Olympia", du nom des deux grandes marques de Vivendi. Interrogé par "Complément d'enquête" sur ce "joli cadeau de Vincent Bolloré", le président-candidat glissera, l'œil rieur, "c'est normal, nous sommes des amis !" (voir vidéo).
Après la perquisition menée dans la tour Bolloré et dans le bureau de son PDG, le groupe Bolloré a rappelé par communiqué que ses activités portuaires représentaient "des investissements considérables, réalisés en partenariat avec d'autres grands groupes internationaux", et qu'ils étaient "sélectionnés, exclusivement, en fonction du montant et des qualités techniques des investissements".
Francetv info vous propose de redécouvrir cette séquence de "Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien ?", un document de "Complément d'enquête" réalisé par Tristan Waleckx, Matthieu Rénier, et Mikael Bozo.
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