"Pièces à conviction". Areva : les secrets d'une faillite
L'affaire Areva a tous les ingrédients d'un polar : manœuvres de déstabilisation, manipulations et enquêtes secrètes menées par des détectives privés. Le champion français du nucléaire a perdu des milliards. Aujourd'hui, l'entreprise est découpée en morceaux et l'Etat va devoir mettre la main à la poche. Anne Lauvergeon, l'ancienne dirigeante d'Areva, a été mise en examen en mai 2016. Deux enquêtes judiciaires sont en cours. S’agit-il une affaire d’Etat ? Anne Lauvergeon est l'invitée exceptionnelle de "Pièces à conviction".
Depuis trois ans, Pascal Henry enquête sur "l'affaire" Areva. A travers des témoignages inédits, "Pièces à conviction" révèle des enjeux politiques, des jeux de pouvoir jusqu'au plus haut sommet de l'Etat et des alliances secrètes entre les différents protagonistes. Le naufrage d'Areva résulte-t-il de mauvais choix ou est-il le fruit d'une opération qui visait à tuer et dépecer le géant français du nucléaire ?
En 2013, Areva a basculé dans la rubrique des faits divers après l'achat en 2007, à prix d'or d'une obscure société minière baptisée UraMin. Une acquisition en Afrique devenue un véritable boulet pour Areva. Mais au-delà d'UraMin, c'est la gestion et l'attitude d'Anne Lauvergeon, présidente du directoire de la multinationale française de 2001 à 2011, qui sont mis en cause.
2007 : lune de miel entre Anne Lauvergeon et Nicolas Sarkozy
En 2007, le président Nicolas Sarkozy renouvelle le mandat d’Anne Lauvergeon à la tête du numéro 1 mondial du nucléaire, qui regroupe toutes les activités liées à l'énergie atomique, des mines d'uranium jusqu’à l’enrichissement du minerai, au traitement des déchets et à la fabrication des réacteurs. Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée, se souvient : "Il y avait une relation d'estime et cette relation s'est poursuivie. C'est une femme qui a beaucoup de talent."
Ancienne "sherpa" de François Mitterrand (c’est-à-dire sa représentante personnelle, chargée de préparer les sommets internationaux), le parcours politique d’Anne Lauvergeon est un atout. Elle est la première femme à la tête d'une grande entreprise française. Patronne star des années 2000, elle a réussi à dépoussiérer l’image de l’atome. Mais derrière cette image de réussite, la santé financière d'Areva se dégrade. En 2009, la multinationale affiche plus de 6 milliards de dettes.
Une lutte secrète pour diriger la filière nucléaire française
Henri Proglio, le puissant président d'EDF proche de Nicolas Sarkozy, lorgne dès 2009 sur une des pépites du groupe d'Anne Lauvergeon : les réacteurs. Son ambition est de faire d’EDF le numéro 1 du nucléaire français à la place d’Areva. Areva fait alors face à deux gros ratages : un contrat de 20 milliards avorté avec Abou Dhabi et un gouffre financier en Finlande pour une centrale dernier cri. Pour Claude Guéant, il y avait urgence à réformer la filière nucléaire française : "EDF nous semblait présenter toutes les garanties, plus de garanties qu’Areva."
Grandes manœuvres depuis l'Elysée
Entre Anne Lauvergeon et Henri Proglio, la guerre des chefs est déclarée. Derrière l'affrontement de deux fortes personnalités, deux logiques économiques s'opposent. D'un côté, le modèle défendu par Anne Lauvergeon, qui souhaite que tout le nucléaire français reste sous le contrôle d'Areva. Le dirigeant d’EDF prône un autre modèle, qui consiste à démanteler le géant du nucléaire : EDF récupérerait la construction des réacteurs des centrales, Areva ne gardant que l'enrichissement et le retraitement des déchets, et les mines d'uranium seraient privatisées. Parmi les investisseurs pressentis, le Qatar. L'émir Hamad Al Thani est un ami de Nicolas Sarkozy et c'est aussi le premier chef d'Etat étranger reçu à l'Elysée en 2007. Pour Anne Lauvergeon, un investissement qatari dans les mines d’Areva reviendrait à brader l'indépendance énergétique de la France. Dans l'ombre de ces grandes manœuvres orchestrées depuis l'Elysée, Anne Lauvergeon devient la cible d'opérations secrètes. "Elle devait être écartée", selon le journaliste Pierre Péan.
L’affaire UraMin, détectives privés et enquêtes discrètes
Après l'accident de Fukushima en 2011, le contexte change : le nucléaire suscite l’inquiétude. La privatisation du pôle minier d’Areva est abandonnée. Sans en informer sa patronne, Sébastien de Montessus, le directeur de la branche mines d'Areva, lance une enquête sur les conditions d'achat d’UraMin, une petite société minière acquise à prix d'or dans des circonstances controversées. Une enquête est confiée, en Suisse, à un cabinet de détectives. Selon un document confidentiel, parmi les intermédiaires de la vente d'UraMin apparaît Olivier Fric, le mari d'Anne Lauvergeon. En 2007, celle que l'on surnomme "Atomic Anne" s’est rendue au Niger. A l'époque, c'est la course à l'uranium, il faut à tout prix acheter des mines et des permis d'exploitation minière. Areva jette son dévolu sur UraMin, une société canadienne qui assure avoir découvert de l'uranium dans plusieurs pays africains. Areva débourse 1,8 milliard d'euros pour s'offrir 100% de cette société et ses gisements prometteurs. Mais UraMin n'a jamais rapporté un sou. Areva aurait-elle été victime d'une arnaque ?
La gestion d’Anne Lauvergeon mise en cause
En 2011, Anne Lauvergeon quitte la présidence d'Areva. Quelle est sa responsabilité dans le fiasco d'UraMin ? Les conditions de l'achat de cette société minière sont pointées. Un pré-rapport de la Cour des comptes en 2014 sur la gestion d’Areva est accablant pour Anne Lauvergeon : il dénonce des informations biaisées, des manquements, des fautes individuelles, voire de la dissimulation. En mai 2016, le juge Renaud Van Ruymbeke convoque Anne Lauvergeon. Elle plaide l'ignorance, mais va quitter le palais de justice sous le coup d'une double mise en examen, pour diffusion de fausses informations et publication de comptes inexacts. Elle est soupçonnée d'avoir dissimulé à l'Etat les pertes colossales dues à l'achat d’UraMin. Elle pourrait aussi être éclaboussée par un autre scandale : son mari Olivier Fric a été mis en examen pour délit d'initié dans l'acquisition d’UraMin.
Dans cette affaire, d’autres mises en examen d'anciens dirigeants d’Areva pourraient intervenir prochainement. Avant un futur procès, Anne Lauvergeon reste quant à elle persuadée que cet épisode fait partie d'un complot pour l'évincer d’Areva.
Après la diffusion de l’enquête de Pascal Henry diffusée dans "Pièces à conviction", Anne Lauvergeon répond aux questions de Virna Sacchi.
"Pièces à conviction", à voir mercredi 19 octobre à 23h20 sur France 3.
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