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"Clash Royale" va-t-il faire entrer les jeux pour smartphones dans la cour des grands ?

La finale d'un tournoi organisé dimanche 19 février à Paris a été visionnée plus d'un-demi million de fois sur YouTube.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Extrait de la publicité télévisée pour le jeu "Clash Royale", qui a permis au studio finlandais Supercell de dégager un chiffre d'affaires de 2,1 milliards d'euros en 2016. (CLASH ROYALE / YOUTUBE)

"Un duel des plus absurdes", "c'était une règle du duel". Si vous avez regardé la télévision au cours des derniers mois, vous n'avez pas pu passer à côté des publicités pour Clash Royale. Sorti début mars 2016, ce jeu vidéo pour téléphones et tablettes fait la fortune de Supercell, déjà auteur de Clash of Clans. Porté par le succès de son bébé, le studio finlandais, qui n'emploie que 213 personnes, a réalisé un insolent chiffre d'affaires de 2,1 milliards d'euros en 2016, rapporte le site spécialisé VentureBeat (article en anglais).

L'engouement autour de Clash Royale est tel que le jeu commence à se faire une petite place dans les compétitions de jeux vidéo, à côté de titres plus installés comme Call of Duty. La vidéo de la finale d'un tournoi européen, organisée dimanche 19 février par l'ESWC, porte de Versailles a Paris, a été mise en avant par Supercell et visionnée plus d'un demi-million de fois sur YouTube. De quoi braquer pour de bon les projecteurs sur Clash Royale et ainsi durablement installer les jeux pour téléphones dans le monde de l'e-sport (les compétitions de jeux vidéo), où manettes et claviers font la loi depuis des années ? Eléments de réponse.

Des parties pensées pour être regardées

Commençons par un peu de contexte. Dans Clash Royale, les joueurs s'affrontent dans des duels en temps réel, qui ne durent que quelques minutes. Le but du jeu est de détruire les tours de son adversaire à l'aide d'une combinaison de cartes comprenant des créatures et des sortilèges, tout en protégeant ses propres tours. Clash Royale repose sur un système de classement qui fait s'affronter des joueurs de niveau équivalent, et les cartes s'obtiennent et s'améliorent en accumulant les victoires. Ou, pour les plus pressés, en mettant la main au portefeuille.

Cédric Page, contacté par franceinfo, est en tout cas catégorique : "Pour moi, il n'y a aucun doute, Clash Royale est l'un des jeux e-sport du futur". Pour le directeur de la division "gaming" du groupe Webedia, qui a récemment recruté neuf jeunes "clasheurs" pour son équipe Millenium, le dernier-né de Supercell est taillé pour la compétition de haut niveau.

Le jeu me fait penser au poker : il est très simple à prendre en main et possède en même temps une profondeur qui le rend très difficile à maîtriser.

Cédric Page

à franceinfo

"On ne s'en rend pas compte lorsqu'on joue de manière occasionnelle, mais les joueurs les mieux classés calculent le timing de leurs actions au 10e de seconde près et mettent en place des stratégies ultra-élaborées. Certains vont jusqu'à s'entraîner 10 heures par jour", abonde Théo Bayoux, dit "Trapa", joueur et commentateur, dont la chaîne YouTube consacrée à Clash Royale et Clash of Clans cumule 510 000 abonnés.

"C'est un jeu très prenant, qui ne souffre d'aucun bug et qui évolue souvent grâce aux mises à jour de Supercell", ajoute Julien Brochet, directeur de l'ESWC et organisateur du dernier tournoi européen en date. Le studio finlandais a en outre implanté dans Clash Royale une fonctionnalité typique des titres pensés pour le sport électronique : la possibilité de regarder les matchs des joueurs les mieux classés. "Les parties se regardent et se comprennent très facilement. On peut s'inspirer des meilleurs pour constituer son jeu de cartes ou reprendre leurs techniques", continue Julien Brochet, dont l'entreprise a été rachetée en octobre par Webedia.

Une scène professionnelle encore embryonnaire

Malgré ces qualités intrinsèques, Clash Royale tarde à faire émerger des joueurs stars en mesure de vivre de leur passion. A la différence des éditeurs les plus actifs dans le domaine de l'e-sport, comme Riot Games ou Blizzard, Supercell ne s'associe en effet qu'avec un nombre famélique de compétitions prestigieuses.

Lors de la finale du tournoi de Clash Royale organisé le 19 février à Paris avec le soutien de Supercell, le Néerlandais "Surgical Goblin" a remporté un prix de "seulement" 2 500 dollars. A titre de comparaison, Blizzard a récompensé le champion de son tournoi de Hearthstone, organisé en novembre, avec la bagatelle de 250 000 dollars. L'équipe qui a remporté la dernière édition du championnat du monde de League of Legends s'est, quant à elle, partagé la coquette somme de 2 millions de dollars. 

La relative minceur des récompenses de tournois de Clash Royale résulte d'une volonté directe de l'éditeur du jeu, confirme Cédric Page à franceinfo. "Leur position consiste à ne pas mettre l'accent sur de gros cash prizes, mais plutôt à insister sur le fun et la convivialité", raconte le responsable de Webedia. "Mais cette politique pourrait bientôt évoluer : Supercell a récemment créé une division spécialement consacrée au développement compétitif de Clash Royale. Ils ont réalisé qu'il s'agissait d'un moyen incomparable pour fidéliser leur base de joueurs."

Aujourd'hui, les seuls joueurs capables de vivre de Clash Royale sont les youtubeurs qui tirent des revenus de la publicité présente sur leurs vidéos dédiées au jeu. "Il n'y a pas encore assez de tournois pour vivre uniquement grâce aux récompenses des compétitions", reconnaît "Trapa", par ailleurs étudiant en troisième année de droit à Bordeaux. "Les vidéos que je produis sur ma chaîne me permettent de m'autofinancer, de payer mon loyer et mes sorties. Mais je ne veux pas en faire mon métier plus tard : je veux devenir notaire !", explique-t-il à franceinfo.

Des fans moqués sur les réseaux sociaux

L'autre obstacle auquel se heurte Clash Royale est l'accueil, au mieux condescendant, au pire hostile, que lui réservent une partie des habitués des compétitions de jeux vidéo. Dans un univers où la perfomance se mesure en centaines d'APM (actions par minute) exécutées sur de puissantes machines, l'arrivée sur scène de joueurs souvent jeunes avec un simple smartphone à la main a parfois du mal à passer. 

Sur la page Facebook de l'événément organisé à Paris, les commentaires les plus "aimés" sont éloquents. "D'où Kevin peut être pro gamer en tapant juste sur un pad ?", écrit l'un. "Aucun respect pour cette merde. Quelle manière stupide de faire passer le jeu professionnel pour une blague", dit l'autre à propos de la vidéo de la petite finale de la compétition.

 

Des reproches habituels et à relativiser, répondent en chœur Cédric Page et Julien Brochet. "Je pense qu'associer Clash Royale à un jeu pour enfants est un biais. Certes, les jeunes spectateurs sont les plus visibles, on le constate sur les photos du tournoi, mais il existe dans la communauté une partie immergée de l'iceberg, plus âgée, qui fait une partie le soir avant de se coucher", répond le premier.

"Ce type de commentaires est une rengaine depuis que l'e-sport existe : chaque communauté tape sur les nouveaux arrivants", renchérit le directeur de l'ESWC. "En 2002, ceux qui jouaient à StarCraft se moquaient des compétitions de Warcraft III : ils devaient gérer 200 unités par partie, et les petits nouveaux seulement 90... Il ne faut pas s'arrêter à ça, mais regarder si une communauté de passionnés se crée. Et c'est indéniablement le cas."

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