Christian Chavagneux (éditorialiste) : "L’évasion fiscale est organisée de manière industrielle"
Christian Chavagneux, éditorialiste à "Alternatives économiques", était l'invité de Jean Leymarie, lundi soir sur franceinfo, pour évoquer les "Paradises Papers" alors qu'il a publié un ouvrage de référence sur le sujet.
Depuis dimanche 5 novembre, les "Paradise Papers" mettent en lumière les circuits d'optimisation fiscale et l'argent caché dans des paradis fiscaux. Le journaliste Christian Chavagneux, éditorialiste à Alternatives économiques et auteur du livre Les Paradis fiscaux, publié aux éditions La Découverte, travaille depuis vingt ans sur l'évasion fiscale. Lundi soir sur franceinfo, il a rappelé que les mécanismes d'optimisation fiscale ont changé entre les années 60 et 90. Désormais, plus besoin de déménager pour bénéficier d'avantages fiscaux d'un autre pays.
franceinfo : Quels sont les nouveaux éléments apportés par ces révélations ?
Christian Chavagneux : Il n'y a pas grand-chose [de nouveau] pour l'instant sur les mécanismes de l'évasion fiscale ou de "l'optimisation fiscale agressive", comme on dit dans les milieux autorisés. On apprend que la production d'opacité au niveau mondial est une véritable production industrielle. Voyez les millions de données récupérées dans le cadre des Paradise Papers, on avait les Panama Papers, les SwissLeaks, Les LuxLeaks... On voit bien que c'est organisé de manière mondiale et industrielle. Ce n'est pas quelques petits milliardaires qui passent par la porte de derrière pour aller mettre de l'argent de côté. Depuis la deuxième moitié des années 90, on a senti une utilisation de plus en plus forte des paradis fiscaux. Là, on tombe sur des patrons de PME, des cadres de multinationale, souvent des hommes d'Église. Pour les entreprises françaises, pour les cas français en général, on pense que deux tiers des recettes fiscales perdues sont dues aux entreprises, un tiers aux particuliers.
Est-ce que les mécanismes d'évasion ont changé ?
Entre les années 60 et les années 90, ils ont changé ! Dans les années 60, c'est Élizabeth Taylor. Elle faisait la Une parce qu'elle allait s'installer en Suisse. Aujourd'hui, quand vous avez des exilés fiscaux, Gérard Depardieu pour ne pas le nommer, c'est vraiment de l'optimisation fiscale "à la papa". Aujourd'hui, avec les conseillers fiscaux dont vous disposez, vous restez en France, vous ne payez pas d'impôts.
Est-ce que le légal est en train de devenir illégal au fil des années ?
Ça fait 20 ans que je travaille sur le sujet. Ça fait 20 ans que j'ai toujours la même réponse [de la part de ces intermédiaires]. Alors je vais vous donner moi mes réponses, c'est que souvent la légalité n'a pas été testée. Si un libraire depuis plusieurs années avait été devant un tribunal en disant "Amazon, de par sa fiscalité moindre au Luxembourg, me fait une concurrence déloyale", peut-être que ça aurait été déclaré non légal. Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, a commencé à enquêter sur les pratiques d'Amazon au Luxembourg, d'Apple en Irlande et a dit : "Ces pratiques dont on parle aujourd'hui ne sont pas légales au regard des traités européens." Et puis vous avez Margaret Hodge, députée britannique, qui a fait venir tous ces grands cabinets d'audit, elle a réussi à trouver un email interne qui disait : "Dès qu'on pense que 25% de notre produit tient devant la loi, on le propose." Ça veut dire que dès qu'ils pensent que 75% du produit ne tient pas devant la loi, ils proposent leur service d'opacité fiscale. Donc, la légalité est vraiment toute relative.
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