Reportage
"Je veux revoir ma vie" : "l'espoir" de ces enfants de jihadistes nés en France pour "sortir du cauchemar" des camps en Syrie

Depuis la fin de l’État islamique, il y a cinq ans, plus de 30 000 enfants de jihadistes grandissent enfermés dans des camps ou dans des centres de détention du nord-est de la Syrie. Parmi eux, une centaine de Français.
Article rédigé par Gaële Joly - Mohammed Hasan
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les dessins de Youssef, un jeune Français détenu dans le centre d’Orkesh en Syrie. (MOHAMMED HASAN)

Son dessin est placardé sur le mur, juste au-dessus de son lit. Au centre, la tour Eiffel griffonnée au crayon à papier et cette question à l'écriture enfantine : "Moi, je pleure pour toi. Mais toi, est-ce que tu pleures pour moi ?". Cela fait des années que Youssef, 19 ans, rêve de liberté. Mais derrière les grandes portes en fer du centre de détention d'Orkesh, construit le long de la route, en plein désert, le jeune Français croupit en cellule seize heures par jour, comme 147 autres garçons de 12 à 21 ans enfermés ici. C'est tout juste s'il peut se défouler, une heure le soir, sur le terrain de foot, dans la cour centrale, avant de regagner sa cellule par plus de 45 degrés, en cet été brûlant.

Youssef est né à Strasbourg, il a déjà passé de longues années en prison, avant d'arriver dans ce centre de réhabilitation. "Ça fait à peu près quatre ans qu'ils m'ont attrapé dans le camp, et qu'ils m'ont séparé de ma famille. Quand ils voient des enfants plus grands, ils les envoient en prison", raconte-t-il. Sa mère et ses petits frères et sœurs ont été rapatriés en France, mais pas lui : "J'en ai marre de tout ça, j'en ai marre de la vie. Je ne comprends rien à ce qui se passe, je veux retrouver ma famille".

Youssef, un jeune Français détenu dans la prison d’Orkesh en Syrie. (MOHAMMED HASAN)

D'autant que le jeune Strasbourgeois a été blessé à Baghouz en 2019, lors de la chute de l'organisation État Islamique, il a reçu des éclats d'obus derrière le crâne et dans tout le corps. Aujourd'hui, sa main droite est paralysée, et sa mémoire ne fonctionne plus, il a besoin de soins, mais sur place les médecins ne peuvent pas l'opérer. "J'ai été tapé par un avion, je n'arrive plus à me concentrer", explique le jeune homme. Après vingt minutes de conversation, il préfère interrompre l'interview. 

"Notre jeunesse est en train de partir"

Elias lui aussi, a 19 ans, il est né à Bastia en Corse, avant de déménager au Mans, où il a connu l'école de la République, et les anniversaires chez les copains. "C'est mon père qui nous a tous emmené ici. Ma mère n'y est pour rien, elle a suivi", dit-il. Des années après, il ne comprend pas ce qu'il fait encore là, il a lui aussi été séparé de sa mère et de ses frères et sœurs, toujours détenus à Roj, dans un camp à 3 heures de route de là.

Elias, un jeune Français dans le centre de détention d’Orkesh, en Syrie. (MOHAMMED HASAN)

"Notre moral, petit à petit, il s'affaiblit, c'est comme une batterie, il n'y a rien qui la recharge et petit à petit, elle va s'éteindre, regrette Elias. Ça fait des années qu'on attend, notre jeunesse est en train de partir. Même si je dois aller en prison en France, je m'en fiche, je veux sortir de ce cauchemar et reprendre le cours d'une vie humaine".

À une centaine de kilomètres de là, dans un autre centre de réhabilitation, le centre Houri, une douce mélodie s'échappe de l'établissement. Depuis des mois, le jeune Asadullah, 18 ans, dont six enfermés ici, s'entraîne sur un synthétiseur usé, au fond d'un couloir. "Ça m'aide la musique, mon préféré c'est Frédéric Chopin", confie le jeune homme aux yeux tristes.

Asadullah, un jeune Français détenu dans le centre de réhabilitation de Houri, en Syrie. (MOHAMMED HASAN)

Asadullah a grandi en Île-de-France, à Brétigny-sur-Orge, d'un père et d'une mère tchétchènes. Une enfance difficile et brumeuse : "Je me souviens que mon père me tapait, je n'ai pas de bons souvenirs d'enfance, mon père ne me laissait pas sortir. J'ai commencé le skateboard, mais il n'aimait pas ça". En 2014, alors qu'il est en CE2, son père l'enlève en Syrie, avec ses deux grands frères, loin de sa mère, et meurt quatre ans plus tard dans des combats à Raqqa. Ses frères mourront peu de temps après. Asadullah n'a que 12 ans, il se rend aux Kurdes. Depuis, il vit enfermé ici. "Il va venir le jour où je vais rentrer dans mon pays, confie-t-il. Chaque année, je me dis : c'est la bonne. C'est ça l'espoir, un mensonge que tu répètes, pour continuer à vivre". Sa mère l'attend en France avec ses petites sœurs qu'il ne connaît pas : "Je veux revoir ma vie", implore le jeune Français.

Des bombes à retardement, selon les autorités

Pour les forces kurdes qui administrent la région du nord-est de la Syrie, ces garçons sont potentiellement des bombes à retardement. Dans le camp de Roj, une prison à ciel ouvert où sont détenues 800 familles de jihadistes sous des tentes en plein désert, essentiellement des femmes et leurs enfants, les garçons sont séparés de leur mère dès qu'ils atteignent l'âge de 12 ans.

Dans le camp de Roj, en Syrie, où les garçons sont séparés de leur mère. (MOHAMMED HASAN)

Derrière sa toile de tente, l'une d'entre elles, entièrement voilée, accepte de nous parler. Cette Algérienne, détenue ici depuis quatre ans, a un petit garçon de huit ans. "J'espère qu'on sera partis d'ici là, avant que mon fils grandisse, parce que, quand on vous prend votre enfant, vous ne pouvez rien faire, assure-t-elle. Vous n'avez plus aucune nouvelle, c'est vraiment une frayeur". La jeune femme s'insurge : "Est-ce qu'ils ont le droit de faire ça, de les arracher à leur mère ?"

Pour Rachid Omar, le directeur du camp de Roj, il faut les sortir de l'influence néfaste de leur mère. "Leur propre mère leur enseigne l'idéologie de l'État islamique, rapporte-t-il. Le vendredi, ils organisent des classes de religion où ils prient et ont des discours religieux très extrémistes et ne parlent que de jihad".

"Ces jeunes s’entraînent à devenir des jihadistes à l’intérieur du camp".

Rachid Omar, directeur du camp de Roj

à franceinfo

Mais pour Rachid Omar, ce sont avant tout des victimes. "La plupart de ces enfants sont des sacrifiés de la guerre. Ce n'est pas de leur faute. Mais il faut trouver une solution parce que, quand ils dépassent les 18 ans, le centre ne peut plus les garder", alerte-t-il.

ONG et prisonniers dénoncent des actes de torture

L'après, pour ces garçons, c'est la prison. Un horizon qui les terrifie. Récemment, l'ONG Amnesty international y a dénoncé les tortures commises par les autorités kurdes contre les prisonniers jihadistes.

Dans un bâtiment à l'extérieur de la prison d'Hassaké qui compte plus de 5 000 prisonniers dont 500 jihadistes étrangers, nous avons pu, et c'est rare, rencontrer un détenu de nationalité suisse, arrêté il y a six ans après avoir rejoint les rangs de Daesh. Ayedin, 30 ans, arrive dans une combinaison verte, les mains attachées. Les gardes lui retirent sa cagoule. Le regard vide, visiblement dénutri, nous n'avons pas le droit d'évoquer ses conditions de détention, l'interview est filmée par les Kurdes, mais il va quand même raconter, car personne d'autre que nous ne comprend le français dans cette salle. "Tout le monde se fait torturer", assure Ayedin.

"On nous frappe, avec des tuyaux, des câbles, on nous donne des coups de matraque... C’est la première fois que je vois autant de gens mourir en prison."

Ayedin, détenu dans la prison d'Hassaké

à franceinfo

"Ça devient une routine, rapporte Ayedin. Au début, c'est dur, mais vous êtes obligé de vous y faire. Ils nous ont mis dans cette prison pour nous faire mourir à petit feu". Le prisonnier se dit lucide : "Ça ne m'étonne pas ce qu'ils nous font. Les gens pensent qu'on a ce qu'on mérite, et je ne me plains à personne. Moi j'accepte, j'ai rejoint Daesh, c'est normal ce qui m'arrive".

Ayedin, un suisse, détenu dans la prison d'Hassaké en Syrie. (MOHAMMED HASAN)

À la question : "aimeriez-vous être jugé ?", Ayedin, terroriste présumé, confie : "Pour moi c'est comme si j'étais jugé en fait, avec tout ce qu'ils nous font c'est comme si j'avais pris un jugement. Depuis 2019, le temps s'est arrêté".

Le commandant des Forces Démocratiques Kurdes, Siamand Ali, dément toute forme de torture, ce ne sont pour lui que des cas isolés. En revanche, il assure avoir besoin de beaucoup plus moyens pour réussir à sous-traiter sur son sol la détention de ces milliers de familles de jihadistes venus du monde entier. Les services de renseignement kurdes que nous avons rencontré assurent avoir un dossier sur chaque détenu pour permettre de les juger. Mais impossible pour l'instant, au regard de l'instabilité régionale et des menaces du voisin turc de mettre en place une cour internationale pour pouvoir les juger. En ce qui concerne le cas particulier des enfants de jihadistes, "c'est une évidence", assurent les Kurdes, "ils doivent être rapatriés, aussi bien pour des raisons humanitaires et sécuritaires".

Le droit comme "repère"

"Il n'y a pas de raison, en droit, de refuser sur le territoire le retour d'un ressortissant qui a la nationalité française. C'est un repère bien commode, parce qu'on n'a pas de questions politiques ou de choix à faire", analyse l'ancien juge antiterroriste David Benichou, qui a mené l'enquête sur les attentats du 13 novembre 2015 en France. "La question qui se pose, c'est l'opportunité d'accompagner ce retour. Par rapport aux mineurs emmenés de force ou nés là-bas, ils n'ont commis aucune infraction, ils n'ont pas vocation à être judiciarisés autrement que par une assistance éducative, pour s'assurer qu'ils soient extraits d'un milieu qui les met en danger et qui pourrait les transformer en danger pour notre société", plaide-t-il. Pour le magistrat, dans une situation comme celle-ci, "heureusement le droit est une sorte de repère qui nous est commun à tous, et si on combat le terrorisme avec les moyens du droit, c'est bien pour appliquer l'état de droit". 

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