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Pour qui vote votre microbiote?

RECHERCHE – La nature des bactéries qui peuplent l’intestin est corrélée aux opinions politiques de leurs hôtes, indépendamment de tout autre critère, notamment alimentaire. Fort de ce constat, des chercheurs sont parvenus à modifier drastiquement les orientations politiques de volontaires en réalisant des transplantations bactériennes.
Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
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Une découverte fortuite

Nous votons littéralement avec nos tripes. L’intestin, notre "deuxième cerveau" selon la formule consacrée, abrite des milliards de bactéries dont l’influence sur nos comportements, sur nos prises de décisions et sur nos opinions se confirme au fil des études scientifiques. Une influence qui se retrouve jusque… dans les urnes.

En 2012, le Pr Jean-Philippe Bouvière, infectiologue de l’Hôpital Courbine (Castagnole) prend en charge dans son service un patient "célèbre" [1], dont il "apprécie les idées et l’engagement politiques", confie-t-il. La pathologie diagnostiquée impose le recours à une antibiothérapie à spectre large, aussi efficace que lourde d’effets secondaires. Parmi eux : le dépeuplement rapide du microbiote intestinal du patient.

Une transplantation bactérienne est réalisée dans le service de gastro-entérologie de l’hôpital dirigé par le Dr Jacques Lançon. "Le phénomène ne m’a pas immédiatement sauté aux yeux", nous explique ce dernier, "mais a rapidement attiré l’intérêt du Pr Bouvière : alors que les opinions du député étaient habituellement très tranchées, ses propos ont commencé à se faire plus nuancées. Alors que son comportement à l’égard du personnel était très froid et méprisant, il a commencé à échanger avec les infirmières, et semblait sincèrement préoccupé par leurs conditions de travail." Là où le Dr Lançon devine l’effet de la proximité quotidienne avec le monde médical et la réalité hospitalière, son confrère soupçonne un phénomène plus profond.

Au-delà des questions éthiques, une expérience fascinante

"Si l’intestin est un second cerveau, peut-être avions nous involontairement opéré un changement plus profond de la personnalité de notre patient, à notre corps défendant", explique Jean-Philippe Bouvière. Il propose de mettre en place une étude impliquant une dizaine de services de gastro-entérologie à l’échelle nationale. De mai 2012 à mars 2015, tous les patients hospitalisés dans les établissements partenaires devaient remplir un questionnaire sur leurs préférences alimentaires, leurs habitudes de vie, leur profil socio-économique et leur sensibilité politique. "La démarche a surpris, mais nous avons fait preuve de beaucoup de pédagogie. Il ne fallait pas que les malades craignent que nous les traitions différemment en fonction de leurs opinions, aussi chaque dossier était classé dans une base de donnée à part", nous précise-t-on.

Une analyse informatique a permit de comparer les différentes variables avec le profil des antibiogrammes des patients. "Nous avons été stupéfaits de voir qu’indépendamment de tous les autres facteurs, la sensibilité politique des patients était inextricablement corrélée à leur profil bactérien", commente le Dr Lançon.

"Le type d’alimentation", poursuit-il, "modifie à la marge la population bactérienne, et nous avons un temps postulé qu’un phénomène sociologique pouvait expliquer les différences observées. Mais dans une même famille, nourrie avec les mêmes aliments, des différences fondamentales existent entre deux membres d’opinions politiques radicalement opposées, différences qui se retrouvent dans tous les cas analogues. Il y a plus en commun, d’un point de vue bactériologique, entre deux personnes qui votent à droite que deux personnes qui votent à gauche qu’entre deux jumeaux d’opinions divergentes !"

"Les idées exprimées par certaines personnalités politiques sont clairement le reflet de leur microbiote fécal", insiste le chercheur.

Modifier le microbiote intestinal transforme les opinions politiques

Fort de ce constat, une expérience audacieuse a été menée, sous la forme de l’interversion des populations intestinales d’une soixantaine de volontaires d’opinions politiques variées. "Beaucoup étaient persuadés que ça ne marcherait pas", explique le Pr Bouvière, "mais les résultats ont été stupéfiants : moins de deux semaines après le début de l’expérience l’un des volontaires, militant écologiste, nous a expliqué qu’il ne voyait plus trop l’intérêt de trier ses déchets". Le début d’un processus "aussi rapide que radical, qui a culminé avec l’achat d’un véhicule diesel".

Le cas ne fut pas isolé, loin s’en faut. Un changement "modéré à profond" a été observé chez 54 des 60 volontaires, peut-on lire dans l’étude publiée ce samedi dans la revue scientifique Fecal and Enteral Psychology. Les chercheurs ont évalué, dans une minorité de cas, "l’expression d’une plus grande tolérance et ouverture d’esprit ainsi que de comportements globalement plus fraternels", tandis que d’autres patients "se sont réfugié dans le chacun pour soi, la priorité donnée au confort personnel et à incapacité profonde à percevoir les conséquences de ses actions au-delà du très court terme".

Mais la majorité des participants a surtout exprimé "une confusion générale de leurs opinions", expliquent les chercheurs. "Durant une deuxième phase de l’étude, nous leur avons fait écouter des discours plus ou moins teintés politiquement. Une séquence audio compilant des phrases fondamentalement vide de sens devait servir de témoin pour l’expérience. Or, celle-ci a entraîné le plus fort taux d’adhésion parmi les volontaires." Tous avaient été exposés à une souche bactérienne rare, Escherichia pipotronis, "qui n’est plus dans notre laboratoire depuis de nombreux mois", affirment les chercheurs.

Les chercheurs ont identifié au total onze souches de bactéries impliquées dans la modulation de l’opinion politique. "Le plus surprenant est que de faibles quantités administrées progressivement dans l’alimentation induisent des changements progressifs discrets, mais sensibles, chez les volontaires, jusqu’à ce que la population bactérienne initiale ait entièrement été supplantée", détaille le Dr Lançon, qui observe "que le même résultat peut être obtenu en réalisant des bouleversements alimentaires drastiques très fréquents sur une période de temps très courte, selon une séquence bien déterminée. L’expression même de “régime politique” se révèle à nous bien plus profonde de sens que ce que l’interprétation naïve que le langage en fait, et ce n’est pas un hasard", conclut-il.

Étude de référence : Causal involvement of the intestinal microbiota in the modulation of political opinions: a double-blind control study. J-P. Bouvière, J. Lançon et coll. Fecal and Enteral Psychology, published ahead of print 1st apr 2017. doi: 10.1371/journal.fep.0153419.


[1] Le secret médical nous oblige à préserver son anonymat.

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