Mortalité infantile, dépression post-partum... Des sénateurs alertent sur l'état de la santé périnatale en France

"La France connaît un décrochage marqué depuis plus d’une dizaine d’années par rapport à ses voisins européens", notent les sénateurs dans leur rapport.
Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
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Une jeune maman avec son bébé dans une maternité de Dijon (Côte-d'Or), le 21 septembre 2023. (EMMA BUONCRISTIANI / MAXPPP)

Comment faire pour améliorer la santé périnatale en France ? C'est l'objet du rapport de la mission d'information menée par des sénateurs et publiée mercredi 11 septembre. De Santé publique France à la Cour des comptes, plusieurs instances ont tiré la sonnette d'alarme. "La France connaît un décrochage marqué depuis plus d’une dizaine d’années par rapport à ses voisins européens", notent les sénateurs dans leur rapport, soulignant que "les principaux indicateurs de santé publique ne progressent plus, voire se dégradent"

Pour aboutir à ce constat, les élus du Sénat ont mené des dizaines d'auditions d'acteurs du secteur, effectuant plusieurs déplacements, en Ile-de-France, dans le Grand Est et en Bretagne. Voici ce qu'il faut retenir de leurs conclusions

Une mortalité infantile particulièrement élevée en France

Les sénateurs pointent une dégradation inquiétante de certains indicateurs, en particulier celui de la mortalité infantile, dont le taux en France "est supérieur à la moyenne européenne depuis 2015", alors que celui-ci "était l'un des plus bas d'Europe à la fin du XXe siècle". Citant les données Eurostat datant de 2022, ils pointent la mauvaise position de la France en la matière, située à la 22e place de l'Union européenne, avec 4 décès pour 1 000 enfants âgés de moins d'1 an, "loin derrière la Suède (2,2), la Finlande (2), l'Italie (2,3) ou l'Espagne (2,6)"

Pour expliquer le phénomène, le rapport distingue deux cas de figure : la mortalité des nouveau-nés présentant un haut risque de mortalité, comme les grands prématurés, qui représentent environ 1% des naissances, et celle de bébés nés à terme, dits à "bas risque". Pour la première catégorie, cette hausse de la mortalité infantile s'explique par "une prise en charge moins systématique des extrêmes prématurés en France", mais également par "une offre de soins de réanimation néonatale insuffisante et mal répartie sur le territoire"

Pour les nouveau-nés considérés à bas risque, l'épidémiologiste Pierre-Yves Ancel, auditionné par les sénateurs, estime que "cette surmortalité est sans doute évitable, car elle semble découler de soins sous optimaux et d'un défaut d'organisation des soins". L'expert met ainsi en avant "les difficultés à assurer la triple permanence des soins en obstétrique, pédiatrie et anesthésie", rapportent les sénateurs, et pointe "un contexte de ressources humaines et de temps médical limités" et notamment "le recours à l'intérim qui désorganise les équipes en place". Le président de la Société française de néonatologie, Jean-Christophe Rozé, également auditionné, abonde : "La mortalité est évitable, la problématique principale est celle de la permanence des soins". Les chercheurs interrogés ont par ailleurs "déploré le manque d’études sur la morbi-mortalité des nouveau-nés à bas risque".

Des disparités territoriales marquées

Les sénateurs ont constaté de fortes disparités entre les régions et départements. Les indicateurs en matière de santé périnatale sont "plus défavorables" dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone, notent les auteurs du rapport. Ainsi, les taux de mortalité infantile s'élevaient, entre 2020 et 2022, à 6,6‰ à La Réunion, à 9,5‰ à Mayotte, à 7,5‰ en Guadeloupe et 8,2‰ en Martinique et Guyane contre 3,4‰ dans l'Hexagone.

En France hexagonale, trois régions "se distinguent par un taux de mortalité infantile supérieur à la moyenne nationale". Il s'agit de l'Ile-de-France, du Centre-Val de Loire et du Grand Est (notamment l'ancienne région Champagne-Ardenne). Au niveau des départements non ultramarins, les taux les plus élevés de mortalité infantiles ont été relevés dans le Lot (6,2‰), en Seine-Saint-Denis (5,8‰), en Indre-et-Loire, en Haute-Vienne et en Lozère qui connaissent tous les trois des taux supérieurs à 5‰.

Ces départements, "aux caractéristiques très diverses (urbains et ruraux)", "ne permettent pas de mettre en valeur un profil de territoire fragile", notent les sénateurs. Ainsi, "les départements aux indicateurs les plus dégradés" sont "parfois même bien dotés en établissements de santé comme l'Indre-et-Loire qui dispose d'un centre hospitalier universitaire à Tours" et de deux maternités à Chambray-lès-Tours et à Chinon. "Les interlocuteurs entendus en audition n'ont pas été en mesure de proposer une explication à ces disparités", ajoutent-ils.

Le suicide, première cause de mortalité maternelle

Avec 15 décès chaque année, le suicide représente la première cause de mortalité chez les jeunes mamans, après la naissance de leur enfant. Pour aborder ce sujet, les sénateurs ont commandé une enquête d'opinion, réalisée par l'institut CSA, qui a permis de mettre en exergue certaines "lacunes" pour les jeunes mamans. Ainsi, "une femme sur cinq déclare ne pas être satisfaite des informations communiquées sur l'après-accouchement et ne pas avoir bénéficié d'un suivi postnatal".

Bien que 96% des femmes qui ont accouché entre 2022 et 2024 disent savoir ce qu'est la dépression post-partum et y avoir été sensibilisées, les spécialistes interrogés ont fait part de "la culpabilisation et de la stigmatisation encore trop associées à la dépression périnatale". "Il y a vingt ans, on ne parlait pas de la santé mentale périnatale comme on le fait aujourd'hui", explique Elise Marcende, présidente de l'association Maman Blues, citée dans le rapport. Elle relève également une certaine ambivalence des réseaux sociaux, qui véhiculent à la fois des images "d'une maternité idéale", qui "peuvent être très anxiogènes", et "de nombreux comptes sur lesquels les femmes évoquent leurs souffrances psychiques ou périnatales (...) et tous les aspects de la maternité".

Pour améliorer cette prise en charge, les rapporteurs de la mission préconisent de renforcer la "sensibilisation et la formation des professionnels, et notamment des sages-femmes, à l'identification des symptômes dépressifs, ainsi qu'au repérage des vulnérabilités médicales, psychiques et sociales (notamment des situations de précarité et de violences)", qui sont des facteurs de risque de dépression au cours de la grossesse et après l'accouchement. Et ainsi permettre "d'anticiper ce risque dès la période prénatale"

Revoir la formation des soignants et l'attractivité de leur métier

Pour améliorer la santé périnatale, les auteurs du rapport sénatorial insistent sur l'importance de revoir la formation des soignants. Pour ce faire, ils appellent "à ce que l'enseignement de la pédiatrie soit renforcé dans le programme de formation de tous les professionnels amenés à prendre en charge des enfants par la suite". Ils estiment "indispensable" la mise en place "d'un plan spécifique de formation des professionnels de santé", notamment les puéricultrices, les sages-femmes, les pédiatres ou les gynécologues obstétriciens, "à la prise en charge des problématiques de santé mentale et au repérage des situations à risques"

Les sénateurs déplorent également que, depuis une réforme de la formation des infirmiers en 2009, la pédiatrie ne fasse "plus l'objet d'un enseignement dédié dans les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi)". Ils précisent que l'ordre des infirmiers demande à la mise en place d'une "véritable formation approfondie en soins pédiatriques pour tous les infirmiers diplômés d'Etat en soins généraux", ainsi que le "retour d'une spécialité pédiatrie" pour former les infirmières puéricultrices. Cette formation "doit s'accompagner d'une meilleure reconnaissance des infirmières puéricultrices diplômées d'Etat", qui "constituent aujourd'hui les principales professionnelles de santé paramédicales formées spécifiquement à la pédiatrie"

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