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Vente de médicaments en grande surface : les pharmaciens sont-ils intouchables ?

Un rapport de l'Inspection générale des finances veut mettre fin au monopole des pharmaciens sur certains médicaments. Une proposition ancienne qui s'est toujours heurtée à une forte résistance. 

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une pharmacienne à Saint-Pol-de-Léon (Finistère), le 25 septembre 2013.  (MAXPPP)

Ce n'est pas la première fois que l'on s'attaque au monopole des pharmaciens sur la vente de médicaments, mais à chaque fois, ils tiennent bon. Cette fois, c'est l'Inspection générale des finances (IGF) qui vise la vente de certains médicaments, dans un rapport dévoilé en partie par Les Echos, lundi 28 juillet. Selon le quotidien, le texte de l'IGF "souligne que les prix des médicaments non-remboursables ont augmenté deux fois plus vite que le coût de la vie depuis quinze ans".  

L'institution désigne deux types de médicaments qui pourraient être vendus en grandes surfaces. D'une part, ceux dont la prescription est facultative et qui peuvent être remboursés (comme le Doliprane, le Spasfon, l'Aspégic...). Leur prix de vente est fixé par l'Etat, mais "le prix d'achat auprès du laboratoire peut être négocié par le pharmacien en fonction des volumes commandés", précisent Les Echos. D'autre part, les médicaments qui ne sont pas remboursés et dont le prix est laissé à la discrétion du pharmacien (c'est notamment le cas du Nurofen, de l'Humex, du Fervex...). L'objectif principal de la fin du monopole de délivrance de certains médicaments est de faire baisser les prix.

Une proposition ancienne

C'est une vieille revendication de Michel-Edouard Leclerc. Depuis plusieurs années, le PDG du groupe de grande distribution milite (parfois à coup de campagnes de pub) pour l'autorisation de la vente de médicaments non remboursables en supermarchés, sous l'autorité d'un pharmacien diplômé. En 2008, le rapport Attali remis à Nicolas Sarkozy préconise de s'attaquer au monopole des pharmaciens, mais il restera lettre morte. L'UFC-Que Choisir enfonce le coûteau dans la plaie en 2012. L'association de défense des consommateurs dénonce la "concurrence anesthésiée par l’opacité des prix". Après avoir étudié 600 pharmacies en France, l'UFC-Que Choisir constate des écarts de prix très importants : de 1,30 euros à 4,95 euros pour une aspirine vitaminée. L'association recommande alors l'"ouverture de la distribution de l’automédication aux grandes surfaces et parapharmacies, sous la surveillance impérative d’un pharmacien diplômé". 

L'Autorité de la concurrence rend, à peu de choses près, le même avis, en décembre 2013. L'instance soutient "la vente des médicaments d'automédication et de certains produits 'frontières' (comme par exemple les tests de grossesse ou les produits d'entretien pour lentilles de contact) en parapharmacie ou en grandes surfaces, en plus des pharmacies". Elle préconise, elle aussi la présence d'un pharmacien. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, s'y oppose fermement. Depuis juillet 2013, la vente de certains médicaments est autorisée sur net, mais strictement encadrée : 4 000 références proposées par des sites sécurisés, adossés à des pharmacies physiques. Un cadre strict destiné à ne pas mettre en danger les patients mais aussi à ne pas mécontenter les pharmaciens.

"Poule aux œufs d'or"

Les pharmaciens seraient-ils intouchables ? Pour Mathieu Escot, chargé de mission "santé" à l'UFC-Que choisir, on observe une "résistance très forte des pharmaciens car c'est une activité très lucrative pour eux". "Grosso modo, la marge brute des pharmaciens, sur ces médicaments non remboursés est d'environ 34% alors qu'elle est de 21% sur les médicaments remboursables", assure-t-il à francetv info. "Risquer de perdre la poule aux œufs d'or est forcément une perspective qui ne plait pas aux pharmaciens"

Pour ce spécialiste de l'UFC-Que Choisir, les pharmaciens se livrent à des campagnes de lobbying pour préserver leur monopole sur la vente de médicaments. "On ne peut pas s'en étonner, c'est assez logique", estime Mathieu Escot. "Les pharmaciens sont intervenus au moment de la sortie de notre étude en 2012, ils l'ont aussi fait également au moment de la sortie du rapport de l'Autorité de la concurrence", ajoute-t-il. "L'Ordre des pharmaciens, dont ce n'est pourtant pas le rôle contrairement à un syndicat, a été extrêmement actif dans les médias et dans les couloirs de l'Assemblée et du ministère de la Santé."

"Nous n'avons pas de consommateurs mais des patients"

Contacté par francetv info, Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), pointe, lui, un autre lobby : "celui des grandes surfaces". Selon lui, le rapport de l'IGF, comme celui de l'Autorité de la concurrence, "n'apportent rien de neuf". "Nous avons des structures représentatives mais nous n'avons pas une grosse machine, des cabinets de conseils de lobbying et beaucoup d'argent...", explique Gilles Bonnefond. "A grand renfort de publicité, ils essayent de faire basculer les choses", regrette le pharmacien.
 
Gilles Bonnefond rappelle que les pharmaciens sont des "professionnels de santé, diplômés, dont la profession est réglementée et qui doit obéir à un code de déontologie". Le président de l'USPO pointe des risques de surconsommation de médicaments, si la vente en grande surface était autorisée. "Nous n'avons pas de consommateurs mais des patients. Je ne suis pas un commerçant. Quelqu'un qui a mal à la tête, qui veut un sevrage tabagique, qui a une diarrhée, qui a un rhume... Le conseil est individuel, or, la logique des supermarchés va être de vendre deux boîtes pour le prix d'une, comme de la lessive", regrette Gilles Bonnefond. Et d'accuser les grandes surfaces et Bercy (dont dépend l'IGS) de "faire en sorte que le débat ne se situe pas sur la santé mais sur l'économie"
 
Les économies, justement ? Elles ne permettent pas de réconcilier associations de consommateurs et pharmaciens. Pour Mathieu Escot de l'UFC-Que Choisir, la vente de médicaments sans ordonnance en grande surface permet de faire baisser les dépenses d'automédication de 16%, "cela représente une économie annuelle de près de 270 millions d'euros, selon ce qu'on a pu observer en Italie, au Portugal ou dans les pays scandinaves qui ont libéralisé ce marché à partir des années 2000". Le président de l'USPO dénonce une "affirmation gratuite" et une "enquête déloyale" de la part d'UFC-Que Choisir. "Les prix en France restent moins cher que dans le reste de l'Europe", se défend le pharmacien. Et il ajoute : "S'il y a un problème de prix, c'est parce que la TVA a augmenté".

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