Trois questions sur la fin annoncée des dons de sang bénévoles
Depuis lundi, l'Etablissement français du sang voit son monopole sur les produits sanguins grignoté par des concurrents privés. Conséquences : les dons pourraient bientôt être rémunérés, ce qui inquiète les syndicats.
L'Etablissement français du sang (EFS) se fait un sang d'encre. Depuis lundi 2 février, l'EFS ne bénéficie plus du monopole de la fabrication du "plasma SD", produit sanguin désormais considéré comme un médicament. S'il conserve son monopole sur les prélèvements et la distribution, ce bouleversement économique ébranle tout de même le modèle gratuit français, pourtant promu par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
A la fin janvier, des dizaines de salariés de l'EFS ont manifesté devant le ministère de la Santé, pour dénoncer une "marchandisation du sang", tandis que la ministre Marisol Touraine assure que "le don éthique est garanti". Francetv info vous explique les enjeux du débat.
Pourquoi le don de sang est-il gratuit en France ?
L'EFS s'accroche à la gratuité des dons de sang, que permet son monopole, au nom de la sécurité et de l'éthique.
La sécurité des donneurs et des malades. Contrairement à d'autres pays, le don du sang est totalement bénévole en France, qu'il s'agisse de don total ou partiel (plasma, plaquettes). Pour l'EFS, ce système fondé sur le volontariat, "la générosité" et "la solidarité", garantit la sécurité des donneurs et des receveurs. "Ce donneur est bien plus enclin à communiquer au médecin de l'EFS des informations sincères et complètes sur sa santé. Cela contribue à garantir sa sécurité et celle du malade qui recevra les globules rouges, le plasma ou les plaquettes issues de son don", explique l'EFS sur son site.
Une volonté éthique. En outre, si le don est bénévole, l'EFS, qui prélève, traite et distribue le sang ne réalise pas de profit. Son monopole tient la filière du sang à l'écart des lois du marché. "Le don de sang ne peut, en effet, ni être affecté à un malade précis, ni être vendu avec profit. Le tarif d'une poche de sang est fixé par arrêté ministériel sur la base des seuls coûts de revient", précise l'EFS.
Qu'est-ce qui menace ce système ?
En perdant son monopole, l'EFS se retrouve confronté à des concurrents du secteur privé, nettement plus compétitifs.
Son coût. "Les recommandations de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF), qui nous ont auditionnés, sont de confier la collecte du plasma à un industriel", car "la tutelle estime que nous sommes trop chers, déplore Daniel Bloom, représentant CFE-CGC. Or, nous respectons tout un processus de sécurité sanitaire." Sans compter les dépenses de communication et l'organisation des campagnes de prélèvements. Au final, "le sang gratuit coûte plus cher à l'EFS que le sang rémunéré", résume Marie-Angèle Hermitte, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), pour Le Monde.
La concurrence des laboratoires privés. A la suite d'une décision du Conseil d'Etat de juillet 2014, la concurrence peut désormais commercialiser en France un type de plasma thérapeutique, dit "SD", dès lors que sa production inclut un procédé industriel. Ce produit est, en effet, considéré comme un médicament, soumis à la libre circulation des marchandises, et non plus comme un "produit sanguin labile", monopole de l'EFS. Cette décision, fondée sur la réglementation européenne, ouvre une brèche dans ce monopole. Elle fait suite à la requête de la société Octapharma France, du groupe suisse Octopharma, qui souhaitait obtenir une autorisation de mise sur le marché pour son produit "Octaplas", un "plasma SD".
Qu'est-ce que cela changerait concrètement ?
La sécurité en question. L'EFS redoute une double dérive, si le don du sang devait devenir payant. D'abord, les donneurs pourraient être tentés de dissimuler leur véritable état de santé, dans le but d'être payé. Ils pourraient également être tentés de donner trop ou trop souvent, au risque de mettre en danger leur propre santé. Or, le laboratoire Octapharma fait déjà appel à des donneurs rémunérés, et il est beaucoup plus compliqué de s'assurer du respect des normes françaises strictes dans une société privée suisse.
Des emplois menacés à l'EFS ? L'Etablissement emploie aujourd'hui 9 800 salariés. Mais les syndicats redoutent la suppression de 500 à 1 200 emplois dès 2016.
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