Six clichés sur le Moyen Age auxquels vous ne devriez pas croire
Pauvreté, famine, guerre, maladies ou contrôle de l'Eglise sur les esprits... l'exposition "Quoi de neuf au Moyen Age ?" démonte une par une les idées reçues les plus répandues.
Fermez les yeux et pensez au Moyen Age. Vous imaginerez sans doute un château en haut d'une colline, des chevaliers partant guerroyer, des gueux sales et vulgaires, ou des paysans pauvres et exploités par un seigneur lointain tout-puissant.
Ce n'est pas vraiment de votre faute. La plupart des films ou des histoires qui s'inspirent de la période véhiculent cette image plutôt péjorative. Les gueux et chevaliers de Sacré Graal des Monty Python, la saga des Visiteurs ou l'adaptation du Nom de la rose d'Umberto Eco ne présentent pas le Moyen Age sous l'angle d'une période riche en découvertes, en moyens matériels ou en échanges culturels.
C'est justement l'objectif de l'exposition "Quoi de neuf au Moyen Age ?", ouverte le 11 octobre à la Cité des sciences et de l'industrie à Paris jusqu'au 6 août 2017. En partenariat avec l'Institut national de recherche archéologique préventive (Inrap), l'exposition montre comment les fouilles archéologiques ont permis de mieux connaître cette période. Jugé "sombre" a posteriori par les Occidentaux de la Renaissance, le Moyen Age a été beaucoup plus moderne qu'on ne le croit. Franceinfo déconstruit six clichés qui circulent autour des preux chevaliers et des gueux.
1"Les nobles vivaient reclus dans leur château fort"
Peut-on imaginer un noble sans son château ? Eh bien oui. La généralisation des châteaux en pierre est d'ailleurs datée du XIIe siècle, soit plus de 700 ans après le début du Moyen Age. Les nobles habitaient des "maisons", construites à plat et non en hauteur. Les donjons, par exemple, n'apparaissent pas avant le XIIe siècle.
Le concept de "noblesse" est d'ailleurs remis en cause par les historiens qui lui préfèrent le terme d'"aristocratie" pour désigner le groupe social des dominants. Il existe, par exemple, une "aristocratie urbaine" non noble, comme l'explique Joseph Morsel dans le mensuel L'Histoire.
Ce maître de conférences à l'université Paris-1 explique d'ailleurs que "ce qui distingue l'aristocrate, c'est qu'il est libre de ses mouvements", contrairement au paysan dont les déplacements sont limités aux convocations du seigneur et des représentants de l'Eglise. On est loin donc de l'image du noble enfermé dans son donjon, et qui n'en sort qu'en cas de guerre.
2"Les gens étaient très vulgaires"
L'image que nous avons du Moyen Age dépend pour beaucoup des siècles qui lui ont succédé. Le terme de Moyen Age lui-même témoigne déjà d'un jugement négatif, sorte d'époque intermédiaire entre deux âges d'or que seraient l'Antiquité et la Renaissance. C'est au XVIe siècle que le mot est inventé "par des as de la com', les gens de la Renaissance, qui faisaient leur propre promotion : ils se considéraient comme un retour à l’Antique qui, pour eux, était le summum de la qualité", rapporte Joëlle Burnouf, professeure émérite d’archéologie médiévale à l’université Paris-1, dans Le Monde.
D'où l'idée que Jacquouille la Fripouille représenterait le "moyenâgeux" moyen, en contraste avec le raffinement des artistes du XVIe siècle, des peintres italiens aux poètes français de la Pléiade. Pourtant, il n'y a pas de raison de croire que les gens étaient plus vulgaires qu'à une autre époque. La loi salique, en vigueur dans le royaume des Francs entre le IVe et le VIe siècles, prévoit d'ailleurs des peines très précises pour les insultes. "Quiconque aura appelé un autre homme infâme sera condamné à payer 600 deniers, ou 15 sous d'or", "S'il l'a appelé merdeux, il sera condamné à payer 120 deniers, ou 3 sous d'or" et la même chose pour "fourbe", "poltron"… Moins tolérant qu'aujourd'hui !
3"Les villes avaient disparu"
Si vous vous intéressez à la recherche historique médiévale, vous avez déjà dû entendre cette thèse : le Moyen Age est un âge sans villes. Pendant plusieurs siècles, les habitants auraient déserté les zones urbaines qui s'étaient développées avec les cités antiques pour une organisation en village. Les récentes découvertes archéologiques montrent le contraire. Même si la majorité des habitants vivent en zone rurale, les pôles urbains se maintiennent entre le IVe et le XIe siècles et "sont des centres religieux, politiques et économiques", découvre-t-on dans l'exposition de la Cité des sciences.
L'historienne Hélène Noizet, maître de conférences à Paris-1, explique que si la notion de ville que nous connaissons aujourd'hui comme une "unité spatiale associée à une unité politique" date du XIIIe siècle, il existe bien des agglomérations lors du premier Moyen Age. Celles-ci se caractérisent "par une population plus dense et aux fonctions plus variées que dans les terroirs agricoles", détaille-t-elle dans L'Histoire. Fait notable, il n'y avait pas encore de rues. L'habitat, souvent construit en bois et en torchis, était régulièrement redisposé en fonction des besoins.
4"Les barbares ont envahi l'Europe"
Ce cliché-là figurait même sans doute dans vos livres d'histoire de cinquième. Reprenons. Après avoir étudié les civilisations antiques, on vous a expliqué que les vagues d'invasions barbares ont réduit en cendres l'Occident romain. Pareil, vous pouvez oublier. Des peuples "barbares", au sens où ils n'étaient pas romains, ont bien investi l'Europe de l'Ouest au Ve siècle. Wisigoths, Ostrogoths, Vandales et autres Alains se sont progressivement installés, mais pas de la façon brutale souvent décrite.
Isabelle Catteddu, archéologue et commissaire scientifique de l'exposition, estime dans Le Monde qu'il faut plutôt parler de "grandes migrations" que d'"invasions". Celles-ci ont eu lieu progressivement à partir des IIe et IIIe siècles : "Ce ne sont pas des débarquements soudains, massifs, mais de longs mouvements migratoires de groupes diversifiés." Avec des épisodes de violences, de pillages, bien sûr, mais souvent avec l'accord des Romains, qui avaient de plus en plus de mal à tenir leurs frontières. "C’est donc quasiment une immigration choisie !"
5"C'est un âge sombre pour les arts et les sciences"
L'étrier, le rouet, la boussole, la poudre, le papier et même les lunettes… La liste des innovations techniques que le Moyen Age nous a apportées est longue. Le moulin à eau, déjà connu sous l'Antiquité, se généralise et se perfectionne pendant cette période, à tel point qu'il devient un élément caractéristique des territoires, et le meunier, un personnage emblématique.
C'est au Moyen Age également que se créent les pôles universitaires que nous connaissons encore aujourd'hui, comme Oxford et Cambridge au Royaume-Uni, Paris, Louvain en Belgique ou Bologne en Italie. Les échanges entre l'Europe du Nord et l'arc méditerranéen ne cessent jamais et s'intensifient, tant sur terre que sur mer, ce qui facilite la diffusion des savoirs et des techniques. Symboles de l'intensité des échanges, les foires de Champagne sont des lieux où le monde entier se retrouve. La mondialisation avant l'époque des "grandes découvertes".
6"Les gens mouraient de faim et étaient tyrannisés"
Dans l'une des premières scènes de Sacré Graal, le film culte des Monty Python, on assiste à la rencontre entre le roi Arthur et des paysans affalés dans la boue qui lui expliquent, avec un argumentaire marxiste, les principes de la domination seigneuriale. Longtemps, notre représentation du Moyen Age a été inspirée par son système d'exploitation féodal au sein duquel le seigneur possède tout sur ses terres et ne laisse que des miettes aux paysans qu'il exploite.
Si elle témoigne de la réalité de l'organisation sociale de l'époque, cette vision masque néanmoins les périodes d'abondance qui surviennent par moments. La viande et le poisson sont des mets très appréciés. Dans L'Histoire, l'historien Benoît Descamps décompte huit "mazels" – marchés aux viandes – pour la seule ville de Toulouse au XVe siècle. Les famines étaient néanmoins très courantes.
Et si le seigneur et ses relais étaient dépositaires de l'autorité sur ses terres, celui-ci n'était pas toujours le tyran qu'on peut imaginer. Un document présenté dans l'exposition relate comment des vignerons d'Auxerre sont entrés en conflit avec leurs maîtres pour l'organisation de leur temps de travail. Ils s'accordaient eux-mêmes de longues pauses dans la journée ainsi que trois repas pour être "frais et dispos pour travailler leurs propres lopins de terre en fin de journée".
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