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La découverte d’un crâne de 1,8 million d’années, une trouvaille de taille ?

Il a été mis au jour en Géorgie par une équipe de paléontologues. Sa physionomie soulève des questions sur les catégories d'Homo jusque-là définies, donc sur nos ancêtres.

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le crâne 5 a été découvert par les paléontologues sur le site géorgien de Dmanisi, en 2005.  (GEORGIAN NATIONAL MUSEUM / AFP)

Sa découverte date de 2005, mais elle n’a été dévoilée au grand jour que jeudi 17 octobre, dans un article publié dans la revue scientifique Science (en anglais). Un crâne vieux de 1,8 million d'années a été mis au jour sur le gisement de Dmanisi, en Géorgie. Sa découverte agite la communauté scientifique en raison des questions qu'elle soulève sur les hypothèses développées jusque-là concernant nos ancêtres. Pourquoi passionne-t-elle autant ? Est-elle si importante ? Eléments de réponse. 

Oui, il est très bien conservé

Le "crâne 5", comme les chercheurs l'ont baptisé, fait date en raison de son incroyable état de conservation. C'est un "magnifique fossile", s'exclame Jean-Jacques Jaeger, professeur de paléontologie émérite à l'université de Poitiers (Vienne), interrogé par francetv info. "On a rarement trouvé des fossiles aussi complets et anciens", renchérit Antoine Balzeau, paléoanthropologue au CNRS et au Muséum d'histoire naturelle de Paris.

Lors de leurs recherches, les scientifiques retrouvent en effet bien plus souvent des dents ou des fragments crâniens que des faces entières, comme c'est le cas ici. "Il s'agit sans doute du plus beau fossile de la période. C'est le côté vraiment exceptionnel de cette découverte", s'émerveille encore Antoine Balzeau, contacté par francetv info. 

Oui, il présente des singularités

Le fossile, attribué à un mâle du genre Homo, présente une "face massive, vraiment impressionnante", selon Antoine Balzeau. Mais ce n'est pas l'essentiel. Ce crâne présente "une arcade sourcilière extrêmement proéminente et un maxillaire projeté vers l'avant. Le tout associé à un petit cerveau et de grandes dents"décrit Jean-Jacques Jaeger. 

Surtout, "il mélange des caractéristiques de trois différentes formes contemporaines d'hominidés, à savoir l'Homo habilis, l'Homo rudolfensis et l'Homo ergaster", explique Jean-Jacques Jaeger. Ainsi sa boîte crânienne est petite, comme l'Homo habilis ; ses dents sont grandes, comme l'Homo rudolfensis et il possède une face allongée, telle qu'on le retrouve chez l'Homo ergaster. Le genre Homo est en effet subdivisé en plusieurs catégories d'espèces et de sous-espèces. "C'est la première fois que l'on retrouve ces caractéristiques sur un même individu, indique Dominique Grimaud-Hervé, paléoanthropologue au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Si ses fragments avaient été découverts, disséminés en Afrique, ils auraient été attribués à ces trois espèces différentes."

Aujourd'hui, toutes ces espèces ont disparu, le dernier représentant du genre Homo étant l'Homo sapiens, l'homme moderne, apparu il y a 200 000 ans.

Oui, il n'est pas une trouvaille isolée

Avant le crâne 5, quatre autres crânes d'hominidés ont été retrouvés sur le gisement de Dmanisi. Or, cette trouvaille n'a rien de banal. "C'est rare de retrouver plusieurs spécimens sur un même site", souligne Antoine Balzeau. Cela l'est d'autant plus que les cinq crânes sont très bien conservés et datent tous de la même époque, soit la sortie des premiers hommes hors d'Afrique. "En les retrouvant si près les uns des autres et dans les mêmes couches géologiques, on estime qu'ils ont tous vécu à la même période. Cet aspect est très intéressant par rapport à nos connaissances sur l'évolution humaine", explique le paléoanthropologue.

Le nombre de crânes découverts en Géorgie est également exceptionnel. "Ces cinq fossiles, pour cette époque-là, c'est presque autant que ce que l'on a collecté ailleurs dans le monde", insiste Antoine Balzeau. Leur découverte souligne l'importance du site géorgien de Dmanisi. "Cela fait au moins vingt-cinq ans qu'ils fouillent le gisement, et ils continuent de trouver des restes importants. Dmanisi promet d'autres découvertes de ce genre", insiste Jean-Jacques Jaeger.

Oui, il questionne l'évolution humaine

Les auteurs de l'étude sont formels. Pour eux, la découverte du crâne 5 démontre qu'il n'existe qu'une seule espèce du genre Homo, venue d'Afrique. Concrètement, l'Homo habilis, l'Homo rudolfensis et l'Homo ergaster, dont des fossiles ont été retrouvés en Afrique, ne seraient que des variations au sein d'une seule et même population.

"Les auteurs considèrent donc qu'il n'existait à cette époque qu'un seul hominidé, qui est l'ancêtre de l'Homo erectus et de l'Homo sapiens", résume Jean-Jacques Jaeger. Ainsi, "il devrait n'y avoir qu'un nom à la place de ces trois noms. Ce pourrait être erectus ou ergaster, ce dernier étant considéré comme un pré-erectus"

"Avec les résultats obtenus sur ce crâne, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur les hominidés africains", déclare Dominique Grimaud-Hervé. "Peut-être que ces distinctions d'espèces n'ont pas lieu d'être..." s'interroge la professeure au département de Préhistoire du Muséum national d'histoire naturelle. Elle souligne toutefois la nécessité d'une confirmation de ces conclusions, notamment par une analyse des restes squelettiques.

Non, ces travaux font débat

Cette découverte "est une pierre de Rosette dans le débat concernant l'homme d'il y a deux millions d'années", estime Jean-Jacques Jaeger. Et le débat fait rage. Le paléobiologiste britannique Bernard Wood s'est ainsi déclaré "très sceptique" concernant ces travaux et critique la méthode retenue par les auteurs, qui ne prend pas compte d'autres différences entre les spécimens, comme celles concernant les mandibules. Pour lui, le crâne 5 "pourrait bien être, en fait, celui d'une nouvelle espèce d'hominidé".

Pour Antoine Balzeau, les auteurs ne disent "rien de nouveau. Cela fait plusieurs années que les chercheurs évoquent la possibilité que tous les hominidés africains puissent être rangés dans la catégorie Homo erectus. Mais ils se mouillent un peu en disant qu'il n'y a qu'une seule espèce d'Homo". Le paléoanthropologue note que les chercheurs "comparent les fossiles géorgiens avec des fossiles venus d'Afrique et d'Asie, beaucoup moins bien conservés." Pour Antoine Balzeau, "il faudrait une analyse plus poussée de la face et de la structure dentaire, par exemple, afin d'obtenir de nouvelles informations"

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