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Premier son capté sur Mars : le concepteur d'un des micros de Perseverance explique pourquoi il est important d'écouter la planète rouge

La Nasa a diffusé lundi une séquence de 18 secondes où l'on entend pour la première fois un son enregistré sur la planète rouge. Mais un second micro embarqué sur le rover devrait bientôt livrer des informations encore plus importantes.

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une reproduction à taille réelle du robot Perseverance dans un laboratoire de la Nasa, à Pasadena en Californie (Etats-Unis), le 16 février 2021. (PATRICK T. FALLON / AFP)

Dix-huit secondes, un bourdonnement en fond sonore, puis soudain le bruit d'un petit coup de vent... La Nasa a diffusé, lundi 22 février, le premier enregistrement audio jamais réalisé à la surface de la planète Mars. Un grand pas pour l'humanité permis par le robot Perseverance, qui s'est posé jeudi sur notre voisine du système solaire.

Mais derrière la prouesse scientifique et technologique, quel est l'intérêt d'embarquer un micro dans cette nouvelle mission ? Que peuvent nous apprendre ce court extrait et les enregistrements à venir de Perseverance ?

Pour le savoir, franceinfo a interrogé le Français David Mimoun. Enseignant-chercheur à l'Isae-Supaero de Toulouse, il a été le responsable scientifique lors de la conception d'un des micros embarqués par Perseverance – pas celui qui a pris les 18 secondes de son publiées lundi, mais un autre qui sera crucial dans la poursuite de la mission martienne.

Franceinfo : Qu'avez-vous ressenti en entendant les premiers sons enregistrés sur Mars ?

David Mimoun : Il faut savoir qu'il y a deux microphones sur Perseverance. Les sons publiés par la Nasa sont ceux de l'EDL, celui chargé d'enregistrer uniquement la descente et l'atterrissage, qu'ils ont réussi à allumer, mais qui n'a pas super bien marché.

En réalité, j'ai d'abord entendu les sons de l'autre micro, le nôtre, un peu plus tôt, samedi matin, quand nous l'avons testé. J'ai surtout été très content que l'instrument fonctionne. Comme le micro était alors caché, le son est plus étouffé donc nous n'avons pas voulu le publier.

Nous attendons d'avoir un son plus signifiant. Ce sera possible dès que le logiciel du rover aura été mis à jour, ce qui prend une petite semaine. Mais j'espère que nous aurons bientôt quelque chose pour vous.

Cette première séquence diffusée par la Nasa n'est donc pas très intéressante pour un scientifique ?

Non, dans l'enregistrement, il y a surtout le son de Perseverance, même si on entend un petit quelque chose par ailleurs ["Un petit vent", selon la Nasa, qui a diffusé une version filtrant les sons du rover]. Il faut attendre que les instruments soient vraiment déployés. D'autant qu'avec notre micro, perché en haut d'un mat, on entendra moins le son du rover.

Ce qui nous intéresse, ce n'est pas tant d'avoir le premier son de Mars, mais d'avoir l'ensemble des sons de la planète.

"La mission doit durer deux ans et le micro enregistrera tout ce temps. C'est là qu'on va apprendre des choses."

David Mimoun

à franceinfo

On ouvre une fenêtre de mesure dans un autre monde, c'est une nouvelle science qui commence.

Que pourra-t-on apprendre de Mars et de la possibilité qu'elle ait abrité de la vie en écoutant le son à sa surface ?

Le micro à trois objectifs. Le premier est de servir de complément à SuperCam dans sa mission de sélectionner les échantillons à rapporter sur Terre.

"Le micro va aider à mesurer la dureté des roches. Si vous faites 'toc toc' sur une surface, selon qu'elle soit dure ou molle, elle ne fera pas le même bruit."

David Mimoun

à franceinfo

En l'occurrence, le fonctionnement de SuperCam est de tirer au laser, jusqu'à 7 mètres de distance, pour vaporiser la roche et pouvoir analyser la couleur de la fumée. Le micro sert à entendre le bruit de la roche à ce moment-là, ce qui aide à déterminer, à distance, sa dureté et le type de minéral. Nous avons un doctorant qui pendant trois ans a étudié le son des différentes roches [il raconte son travail sur le site du CNRS].

Le deuxième objectif est d'étudier les propriétés de l'atmosphère martienne. La vitesse à laquelle le son circule quand on tire au laser, la turbulence de l'atmosphère, la vitesse du vent. Cette fois, ça ne sert pas à chercher la vie sur Mars, mais plutôt à étudier la planète pour mieux la comparer à la Terre. Mars est un peu notre petite sœur, elle témoigne d'un certain nombre de processus qui se sont passés au début de la vie de la Terre. Ces données seront étudiées par mon institut, l'Isae-Supaero, mais aussi partagées avec un réseau de centaines de scientifiques à travers le monde.

Enfin, une fois qu'on a installé le micro à bord de Perseverance, les autres équipes sont venues nous voir pour nous dire qu'elles aimeraient bien que l'on enregistre le son de leurs instruments. Si quelque chose ne tourne pas rond, ça s'entendra très vite. C'est le troisième objectif.

Sait-on déjà si le son sur Mars a des propriétés différentes ?

Oui, car l'atmosphère terrestre à une pression de 1 000 millibars, tandis que sur Mars, on est à 6 millibars. C'est comme si vous étiez à 50 km d'altitude sur Terre. L'atmosphère martienne est donc très ténue, ce qui fait que le son s'y propage moins bien, de la même manière qu'il n'y a pas de son dans le vide absolu. 

"L'atmosphère martienne est constituée pour l'essentiel de dioxyde de carbone, qui a la mauvaise idée d'étouffer les hautes fréquences. Le son qu'on entend sur Mars est donc un peu étouffé."

David Mimoun

à franceinfo

[La Nasa a mis en ligne un outil, conçu par l'équipe de David Mimoun, qui permet de comparer un même son tel qu'il est entendu sur Terre et sur Mars]

Il a donc fallu adapter la conception de ce micro aux conditions particulières de Mars ?

Oui, nous sommes partis d'un micro disponible dans le commerce, que vous pourriez commander chez un fournisseur d'électronique et nous l'avons transformé. Par exemple, il a fallu changer les soudures en étain, qui font des court-circuits quand on les met sous-vide. Pour la connexion avec la SuperCam, nous avons utilisé un câble qui conduit le courant, mais pas la chaleur, pour l'adapter aux températures sur Mars. Nous avons aussi exposé le micro à des radiations et retiré les parties qui ne fonctionnaient pas. Pour valider sa conception, nous avons aussi fait des enregistrements en plaçant notre laser et notre micro dans des chambres martiennes [qui simulent les conditions de la planète rouge], notamment à Aarhus au Danemark.

Etait-ce une évidence d'équiper Perseverance de micros ?

Non, ça a été très compliqué cette histoire. Jusqu'ici, on n'avait pas vraiment de son de Mars, seulement des vibrations captées par la mission Insight qui avaient été transformées en son. Il y a eu des tentatives : un micro s'est écrasé avec la sonde Mars Polar Lander, en 1999, et un autre embarqué sur la sonde Phoenix n'a jamais été allumé par peur qu'il entraîne un court-circuit.

Cette fois, la Nasa était très réticente, considérant que le retour scientifique serait insuffisant. Avec Sylvestre Maurice [le chercheur français qui a dirigé la conception de SuperCam, l'outil auquel appartient le micro], nous avons beaucoup travaillé pour les convaincre. 

"Il a fallu montrer à la Nasa qu'emporter un micro avait du sens scientifique et que ça allait marcher."

David Mimoun

à franceinfo

C'est ensuite que l'équipe chargée de l'imageur de descente a, un peu au dernier moment, ajouté un autre micro [qui a capté l'enregistrement diffusé lundi], parce qu'ils se disaient que ça pouvait être sympa d'avoir une bande-son de la descente.

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