Cet article date de plus de dix ans.

Comment Perpignan a tenté, en vain, d'interdire un spectacle de Dieudonné

De nombreux maires veulent interdire le spectacle de Dieudonné dans leur ville. En mai 2013, le maire de Perpignan avait déjà pris un arrêté en ce sens, finalement invalidé. Entretien avec son avocat d'alors, Mathieu Pons-Serradeil.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Dieudonné, lors d'un spectacle au Zénith de Saint-Etienne (Loire), en mars 2013. (MAXPPP)

Persona non grata. La prochaine tournée de Dieudonné débute le 9 janvier, mais déjà, plusieurs maires ont réclamé l'interdiction du spectacle dans leur ville, comme à Nantes (Loire-Atlantique), Metz (Moselle) ou Limoges (Haute-Vienne). Une démarche qui aboutit rarement. Par le passé, l'humoriste a toujours obtenu gain de cause devant la justice pour maintenir ses spectacles. Difficile, voire impossible, de censurer a priori une représentation.

Le maire UMP de Perpignan (Pyrénées-Orientales), Jean-Marc Pujol, a déjà perdu son bras de fer face à Dieudonné. Inquiet pour l'ordre public, il a pris un arrêté municipal en mai 2013, invalidé par le tribunal administratif. Son avocat de l'époque, Mathieu Pons-Serradeil, revient sur cet épisode et livre son analyse sur les récentes déclarations des élus et de Manuel Valls, ministre de l'Intérieur.

Francetv info : En mai, Jean-Marc Pujol, maire UMP de Perpignan, a pris un arrêté municipal pour interdire à Dieudonné de donner une représentation de son spectacle. Pourquoi ?

Mathieu Pons-Serradeil : A cause de certains sketchs et en particulier de sa chanson Shoah nanas, qui représente une incitation à la haine raciale et porte atteinte à une communauté. C'est une question de dignité humaine. Pour le maire, c'était donc une question de principe.

L'une de ses compétences est de faire respecter l'ordre public et de prévenir d'éventuels affrontements. La communauté juive s'était émue de la venue de Dieudonné à Perpignan. A l'époque, il y avait déjà eu des émeutes entre Gitans et Maghrébins, ce qui montrait que des communautés pouvaient rapidement être "mobilisées". Un rassemblement néonazi devait également se tenir le dimanche précédant le spectacle… Ce climat très particulier faisait craindre au maire des risques de débordements.

Sur quelle base juridique avez-vous réclamé une interdiction ?

En 2010, le Conseil d'Etat avait confirmé à Dieudonné le droit de jouer à Orvault (Loire-Atlantique). Il avait insisté sur le fait que "la commune n'avait pas soutenu que le contenu de ce spectacle serait par lui-même contraire à l'ordre public". C'était comme un appel du pied pour les prochaines communes… Nous nous sommes donc concentrés sur le contenu du spectacle. Il se trouve que Dieudonné avait déjà été condamné pour sa chanson Shoah nanas [en novembre 2012, condamnation confirmée par la cour d'appel de Paris en novembre 2013].

Ce qui est dérangeant, ce n'est pas Dieudonné lui-même. L’objectif n’est pas d’interdire une personne, ou d'interdire à cette personne de créer. C'est de lui rappeler les limites de la liberté d'expression. Quand il en sort, la sanction s'impose.

Vouloir interdire des spectacles, c'est de la censure ?

Non, la censure serait d’interdire Dieudonné par principe, en tant que personne, pour ses déclarations passées. Par exemple, en lui interdisant de jouer Don Juan à Perpignan ! Interdire tout ou partie d’un spectacle, dans ce cas, ne peut pas être considéré comme de la censure. A partir du moment où l'on se place du côté de l'injure raciale, on sort en effet du périmètre de la liberté d'expression. Dieudonné, lui, a immédiatement saisi le juge des référés pour demander la suspension de l'arrêté.

Et vous avez perdu… Avez-vous été étonnés ?

Compte tenu de la jurisprudence administrative, cette décision ne nous a pas surpris. En revanche, nous pouvons nous enorgueillir d'une chose. Pour la première fois, un juge des référés a considéré que "seule l'interdiction du spectacle est de nature à empêcher [Dieudonné] de proférer (…) des injures publiques (…) ou des incitations à la haine". Mais le tribunal a finalement donné raison à Dieudonné, car il n'était "pas établi que cette chanson [Shoah Nanas] serait chantée à Perpignan". Dans les cas précédents, les villes avaient été condamnées à rembourser les frais de procédure à Dieudonné. Pas cette fois.

Finalement, Dieudonné a pu donner son spectacle. Et il a même chanté sa chanson…

Ce qui montre que sa parole vaut peu. La productrice d'alors, Chrystel Camus, a d'ailleurs claqué la porte après cette date. Sa société avait pourtant présenté la requête devant le tribunal, en compagnie de l'humoriste.

Cet arrêté municipal lui a-t-il fait de la publicité ?

Forcément, c’est le risque. Jean-Marc Pujol savait qu'il était compliqué d'interdire un spectacle, en vertu de la liberté d'expression. Et que cet arrêté allait médiatiser Dieudonné. C'est une position délicate. Jusque-là, d'ailleurs, les élus étaient assez peu nombreux à prendre ce type d'arrêtés municipaux car Dieudonné les attaquait systématiquement et gagnait à chaque fois.

Le ministre de l'Intérieur veut interdire ce qu'il considère comme des réunions publiques. Dans un entretien accordé au Parisien, Manuel Valls a d'ailleurs annoncé qu'il allait bientôt envoyer une circulaire aux préfets, les invitant à évaluer le risque de trouble à l'ordre public. Une bonne décision, selon vous ?

Cette décision a le mérite de poser une bonne question et cela va dans le bon sens. Mais cette annonce de Manuel Valls me semble tout de même difficile à "mettre en musique" d'un point de vue juridique, car la liberté d'expression fait partie des grandes libertés des droits de l'homme. Il est très différent de s'attaquer au contenu – ce qui permet d'obtenir des décisions favorables, même devant la juridiction administrative – et de s'attaquer à la personne même de Dieudonné. Réclamer l'interdiction de ses spectacles, simplement sur son nom, semble délicat.

Il considère également ses spectacles comme des réunions publiques…

Les spectacles de Dieudonné deviennent de plus en plus des réunions publiques, voire politiques. Et puisque les personnes qui s'y rendent revendiquent des philosophies, des doctrines ou des concepts politiques, cela s'apparente même à des réunions militantes.

Dieudonné va-t-il de nouveau se produire à Perpignan ?

On ne le sait pas encore ! Mais ce sera assez difficile. A l'époque, il y a eu un ping-pong verbal entre lui et le maire, par presse interposée [Dieudonné avait par exemple souhaité un "cancer généralisé" à l'élu].Jean-Marc Pujol avait aussi reçu des courriers d'insultes. Après, le maire n'est pas tout à fait fermé. Si c'est un spectacle traditionnel, comme il y a quelques années, alors pourquoi pas... Mais on n'est pas obligé de tout accepter.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.