Etudiantes voilées à l'université : "J'en ai marre qu'on me juge sur un bout de tissu"
La secrétaire d'Etat aux Droits des femmes a relancé le débat sur le port du voile dans l'enseignement supérieur. Reportage à l'université de Paris Ouest Nanterre, où les étudiantes assurent, comme l'administration, que c'est un faux problème.
Au milieu de la foule qui piaffe à la sortie du RER A, près de l'université Paris Ouest Nanterre La Défense (Hauts-de-Seine), se détache une multitude de couvre-chefs : bonnets, casquettes, capuches, turbans... Et l'on distingue, ici ou là, quelques voiles islamiques. Interdit dans l'enseignement primaire et secondaire, le port du voile est autorisé dans l'enseignement supérieur. La remise en cause de cette liberté par la secrétaire d'Etat aux Droits des femmes, Pascale Boistard, lundi 2 mars, suscite une vive inquiétude chez les jeunes femmes ciblées.
"La fac, après le lycée, c'est une libération"
"Blessée", "lasse", "déçue"... Les étudiantes voilées ne comprennent pas pourquoi le gouvernement relance ce débat, alors que le voile "ne pose aucun problème", de l'avis de toutes. Leila, en première année de Langues étrangères appliquées, "se sent bien" avec son voile à la fac. Aujourd'hui, elle a opté pour la couleur parme. "Au lycée, je devais l'enlever avant d'aller en cours. La fac, c'est une libération", raconte-t-elle à l'entrée du bâtiment V, accompagnée d'un groupe d'amis. Parmi eux, Wally, blouson de cuir et chignon dressé sur des tempes rasées, assure que "le fait d'être acceptées comme elles sont, ça leur donne encore plus envie d'étudier." Amandine et Mona, cheveux au vent, semblent craindre l'interdiction autant que leur amie Leila, car "cela attiserait la haine. Or la France est un pays qui défend la liberté et la tolérance."
Les politiciens ont peur de quoi, que la France devienne le Maghreb ?
Etudiante en licence 2 de psychologie, Maryam laisse exploser sa colère. "On s'aperçoit qu'on est pas acceptées comme on est, malgré nos efforts d'intégration. Franchement, j'en ai marre qu'on me juge sur un bout de tissu", déplore cette jeune femme, dont on devine en quelques minutes le caractère bien trempé. Maryam porte le voile depuis ses 14 ans. Elle a fait le choix de suivre sa première et sa terminale à la maison, pour pouvoir porter le voile. "Si je viens ici, à Nanterre, ce n'est pas pour étudier l'islam", ironise-t-elle. L'étudiante, dont les yeux bleu clair répondent au tissu indigo qui couvre ses cheveux, en veut aux médias "de dégoûter les gens de l'islam", et aux politiques, "qui se fichent de ce que l'on pense".
Confusion autour des lois qui régissent le port du voile
De l'aveu même de l'establishment universitaire, le débat sur le port du voile est un faux problème. L'interdiction du port du voile dans le primaire et le secondaire "relève d'une loi d'ordre public qui protège les mineurs contre les influences extérieures, rappelle Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d'université, au micro de France Inter. Ce n'est pas du tout la loi de 1905, qui garantit la liberté d'expression et la liberté religieuse." Lorsqu'une professeure de la Sorbonne s'est permis d'exclure une élève au motif qu'elle était voilée, en septembre 2014, le président de l'établissement, Philippe Boutry, a reçu l'étudiante pour lui présenter ses excuses. Son enseignante, dit-il, avait mal interprété la loi de 2004 qui interdit "les signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse" dans les lycées et les collèges, mais pas dans l'enseignement supérieur.
La confusion entre personnel enseignant et étudiants est au cœur du débat. "Les fonctionnaires n'ont peut-être pas le droit de porter le voile. Mais moi je suis étudiante, c'est différent. J'ai le droit d'avoir accès à l'éducation", commente Sarah, en master 2 de management. Sarah, qui se dit contre les écoles privées, revient tout juste de Londres, où elle a passé quelques jours avec ses copines (non voilées) Victoria et Mélissa, elles aussi très remontées contre Pascale Boistard.
On s'en fout, des fringues ! A la fac, on peut venir en pyjama si on veut.
"L'Angleterre, quel contraste avec la France, wow ! s'esclaffe Sarah. Là-bas, les petites filles sont en uniforme à l'école, et on leur donne le droit de porter le voile." L'inverse de la France, en somme. Dans la vie de tous les jours aussi, Sarah s'est sentie plus acceptée outre-Manche. Timide, malgré sa bonhomie, l'étudiante se flatte d'avoir été accostée dans un pub, à Londres. "A Paris, si je rentre dans un café, on me toise. Rien à voir…"
"On sait ce qu'on veut dans la vie"
Entre les étudiantes croisées à Nanterre et les féministes qui combattent le port du voile au nom de l'égalité femmes-hommes, le divorce est acté. Maryam en a assez du paternalisme dont elle fait l'objet. "Je comprends qu'au collège, certains y voient un choix imposé de l'extérieur. Mais à l'université, on a gagné en maturité, on sait ce qu'on veut dans la vie." Au même titre que l'orientation scolaire, la décision de porter le voile est réfléchie, assumée, selon elle. "L'égalité, ça passe d'abord par le respect des choix de l'autre."
Toutes les personnes qui critiquent, est-ce qu'elles ont déjà échangé pour de vrai avec des femmes voilées ?
Leila se souvient qu'une étudiante est venue lui faire la morale, une fois. "Elle me disait qu'elle ne comprenait pas pourquoi je portais le voile. J'ai essayé de lui expliquer, en vain. J'ai fini par lui dire qu'elle avait son point de vue, et que j'avais mon point de vue. Que pouvais-je faire d'autre ?" En licence 3 de sciences de l'éducation, une autre Sarah, baskets fluo aux pieds, refuse de penser que le voile est synonyme de domination masculine. "Qui a dit aux féministes que le voile n'était pas libérateur ? Chacun a sa vision de la liberté. Personnellement, je me sens plus épanouie avec." Musulmane de culture, elle dissimule sa chevelure depuis seulement deux mois. Lorsqu'elle sera institutrice, elle ira dans l'enseignement privé. "Ou pourquoi pas, partir à l'étranger, là où on m'accepterait." Dubaï ? Le Caire ? Non. "Le Canada, ou l'Angleterre." Encore.
"La diversité est une richesse"
Contrairement à d'autres sites, le campus de Nanterre est ouvert aux visiteurs. Pas de frontière entre la vie étudiante et la vie tout court. Mais les étudiantes voilées le savent, la transition dans la vie professionnelle ne se fera pas sans difficultés. Sarah, qui rêve de monter son propre business "à un moment où la France en a bien besoin", a été recalée à un entretien pour un stage la semaine dernière. "La DRH m'a dit qu'elle aimait beaucoup mon profil, mais que le patron refuserait de me prendre." Plus tard, quand elle sera "patronne", elle veillera à ce que tout le monde puisse vivre sa religion comme il l'entend, sur son lieu de travail. "Voile, croix, kippa… On pourra tout porter."
Mes compétences professionnelles ne se lisent pas sur mes cheveux !
Les étudiantes voilées s'agacent d'être réduites à leur signe religieux, voire considérées comme des boulets pour la société. Zora, une Marocaine qui étudie l'anglais depuis quatre ans à Nanterre, rappelle que l'université française "a une tradition d'ouverture et de dialogue avec les cultures d'autres pays". Ce qui ne l'empêche pas d'être contre le port du niqab dans l'espace public. Mais, dit-elle du bout de ses lèvres abricot, "la diversité est une richesse. La France ne doit pas mettre de côté une population ambitieuse, qui a envie de travailler et d'œuvrer pour son redressement économique."
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