Collège : la nouvelle procédure d'affectation à Paris créera-t-elle de la mixité sociale ?
Le rectorat de Paris concocte pour 2017 un logiciel qui répartira les collégiens entre trois ou quatre collèges, avec un objectif affiché de mélange social.
Vous avez aimé le stress de la procédure Affelnet pour l'affectation de vos enfants dans un lycée ? Vous adorerez l'algorithme qui attribuera un collège à vos rejetons à Paris, dès l'an prochain.
Vendredi 9 septembre, le recteur de l'académie de Paris, François Weil, a lâché une petite bombe en déclarant, selon Le Monde, qu'un "Affelnet en sixième" était "programmé" pour la rentrée 2017, en même temps que des "secteurs multicollèges". L'académie refuse de donner plus de précisions tant que le projet n'est pas "finalisé". Mais son objectif est avoué : renforcer la mixité sociale.
Fin août, la violente charge sonnée par Thomas Piketty contre les inégalités scolaires dans la capitale a fait grand bruit. "Le niveau de ségrégation sociale observée dans les collèges atteint des sommets inacceptables, notamment à Paris", dénonçait l'économiste dans Le Monde. L'écho rencontré par son texte prouvait l'acuité du problème. Mais un logiciel peut-il permettre un meilleur brassage social des élèves parisiens ?
Oui, parce que le facteur social sera mieux pris en compte
L'idée est de rebattre les cartes. Actuellement, les enfants de la capitale sont affectés dans un collège (et un seul) selon leur adresse géographique. "Le nouvel algorithme sera une procédure de choix régulé dans un secteur multicollèges", explique à franceinfo Julien Grenet, chercheur au CNRS et à l'Ecole d'économie de Paris, chargé d'accompagner l'expérimentation.
En clair, Paris serait découpé en "secteurs agrandis" comportant, dans l'idéal, trois ou quatre collèges. Chaque "secteur agrandi" devra si possible associer quartiers favorisés et moins favorisés. Chaque élève de CM2 établirait une liste de vœux en classant, par ordre décroissant , les collèges où il veut aller.
L'élève serait alors affecté selon trois types de critères, d'après le dispositif ébauché par Julien Grenet. Première catégorie : les priorités absolues (handicap notamment, éventuellement rapprochement de fratrie). Les élèves concernés obtiendraient automatiquement leur premier choix. Seconde catégorie : des priorités conditionnelles selon un critère social. On assignerait l'objectif suivant, explique Julien Grenet : que "chaque collège reflète la composition sociale du secteur élargi".
Ainsi, dans un "secteur élargi" comptant 25% d'élèves de milieux peu favorisés, 25 places sur 100 seraient destinées aux moins favorisés dans chaque collège du secteur. Mais pas davantage : pas question de reproduire le bug de la procédure Affelnet qui a défrayé la chronique en cette rentrée 2016. A Paris, le lycée Turgot s'est ainsi vu affecter 83% d'élèves boursiers, suscitant une tribune indignée des professeurs dans Libération.
Dans le logiciel d'affectation au collège, le nombre d'élèves prioritaires sur critère social serait ainsi plafonné. Les autres seraient affectés avec un troisième critère (dit résiduel) : la distance du domicile au collège, priorité étant donnée à ceux qui habitent le plus près. Bonne nouvelle enfin pour les cancres : les notes ne seraient pas prises en compte, et il n'est pas question de créer volontairement des collèges de niveau. Une différence de taille avec la procédure Affelnet de fin de troisième, où les notes jouent un rôle déterminant, accentuant la différence entre les lycées – et leur taux de réussite au bac.
Pas sûr, car il y a des zones non mixtes socialement
Ce dispositif pourrait-il assurer dans tout Paris une réelle mixité sociale ? Julien Grenet l'admet : "Dans la plupart des arrondissements périphériques, ça marche, mais dans un arrondissement comme le 16e, tous les collèges sont favorisés." Même constat pour les 6e et 7e arrondissements, à l'immobilier hors de prix, sauf à les coupler habilement avec les 14e ou 15e arrondissements voisins (et encore).
Mais le chercheur ne baisse pas les armes, à l'aide d'un argument massue : "A Paris, assène-t-il, 50% de la ségrégation sociale entre collèges publics provient de la ségrégation entre collèges d'un même arrondissement". Ses études le montrent : à quelques dizaines de mètres près, la composition sociale d'un collège varie fortement. Ainsi, détaille Thomas Piketty dans Le Monde, "les collèges Gérard-Philipe et Georges-Clemenceau [dans le 18e arrondissement] comptent respectivement 56% et 58% d’élèves défavorisés. A quelques pas de là, en bas de la butte Montmartre, les collèges Yvonne-Le Tac, Jules-Ferry et Jacques-Decour comptent respectivement 9%, 12% et 16% d’élèves défavorisés".
Non, parce que l'algorithme ne concernera pas le privé
Bémol de taille pour atteindre l'objectif recherché : selon les informations du Monde, le secteur privé sera exclu de l'algorithme. Dans un post virulent intitulé "Le gouvernement souhaite-t-il vraiment la mixité sociale ?", l'économiste Thomas Piketty avait pourtant souligné à quel point le double système privé/public nourrissait "un niveau absolument extrême de ségrégation sociale".
"La part du privé est devenue au fil des ans exceptionnellement forte" dans la capitale, notait le chercheur, avec "60 collèges privés sous contrat (34% des élèves) pour 115 collèges publics (66% des élèves)". Et contrairement aux collèges publics, ces collèges privés sont "totalement libres de choisir leurs élèves". Alors qu'ils bénéficient "d’un financement public massif" (leurs professeurs sont payés par l'Education nationale), ils ne sont astreints à aucune mixité sociale.
L'argent public sert ainsi à renforcer la ségrégation sociale, et permet aux plus favorisés de déjouer la carte scolaire. "Dans les collèges socialement les plus huppés, il n’existe quasiment aucun élève défavorisé (moins de 1%), poursuit l'auteur du Capital au XXIe siècle. Concrètement, la quasi-totalité des collèges comportant très peu d’élèves défavorisés sont des collèges privés. Et, inversement, il n’existe aucun collège privé parmi ceux qui accueillent une grande proportion d’élèves défavorisés."
Les familles prêtes à tout pour fuir la mixité sociale ne risquent-elles pas de choisir davantage encore l'enseignement privé, si l'adresse ne suffit plus à déterminer le collège ? "Oui, le risque de fuite vers le privé est incontestable, concède Julien Grenet. Mais certains établissements privés ne seraient pas forcément hostiles à plus de mixité sociale. Et il n'y a pas de marge de croissance très importante de l'enseignement privé, qui arrive à saturation." Jointe par franceinfo, la direction diocésaine de l'enseignement catholique à Paris confirme : "Même si nous avons enregistré 300 élèves supplémentaires cette année dans nos collèges parisiens, les locaux ne peuvent pas grandir indéfiniment."
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