Pourquoi il pourrait y avoir une pénurie de profs de maths
La moitié des postes d'enseignants de mathématiques n'ont pas été pourvus lors de la séance exceptionnelle 2014 du concours externe du Capes. En cause, des conditions de travail dégradées et des salaires trop bas.
Pour l'Education nationale, l'équation risque d'être difficile à résoudre. La moitié des postes de professeurs de mathématiques n'ont pas été pourvus lors de la séance exceptionnelle 2014 du concours externe du Capes, selon les chiffres officiels publiés mardi 29 avril. Dans le détail, 793 candidats ont été admis en liste principale, soit moitié moins que le nombre des postes à pourvoir (1 592). Sans compter que sur les 4 583 inscrits au Capes de maths, seulement 2 529 se sont effectivement présentés aux épreuves.
Ce n'est pas nouveau. Le Capes de mathématiques est l'une des disciplines dites "déficitaires" depuis plusieurs années. Francetv info en détaille les raisons.
Le métier d'enseignant (dans son ensemble) fait fuir
La crise des vocations ne touche pas spécifiquement les profs de maths. Elle est valable pour l'ensemble du corps professoral. Plusieurs facteurs l'expliquent. "Paupérisation des profs, dégradation des conditions de travail, réforme de la formation, dénigrement du métier et de ses acteurs par les ministres successifs", évoquait déjà notre blog L'Instit'humeurs en 2012.
Salaires trop bas. L'attractivité du métier souffre de salaires considérés comme trop bas pour des diplômés à bac+5 (niveau master). En effet, les professeurs français sont plutôt mal payés si l'on compare leur salaire à celui de leurs homologues étrangers.
Conditions de travail dégradées. Les questions de discipline sont devenues un problème majeur, comme l'a montré le documentaire L'envers du tableau / Pile : profs – Face : élèves, de Stéphanie Molez et Thierry Kubler. Les extraits diffusés par francetv éducation sont éloquents. Lors de sa sixième année d'enseignement à Creil (Oise), dans une zone sensible, un professeur raconte avoir vécu "l'enfer" : "Combien de fois je suis rentré chez moi en pleurant parce que j'étais épuisé nerveusement, et j'étais dégoûté de m'être embêté à passer tous ces concours pour faire ça."
A une échelle plus large, le constat est inquiétant. Quelque "14% des agents de l'éducation sont en situation d'épuisement professionnel", indiquait une étude, en 2012. Un chiffre supérieur à celui constaté pour l'ensemble du monde du travail (11%). "Le personnel chargé de l'éducation est pris entre deux feux, d'un côté il doit faire son maximum pour assurer la discipline, la gestion du programme annuel et l'éducation des enfants de manière générale, et de l'autre il doit subir les critiques, les attaques que suscitent ses méthodes d'enseignement", écrivait cette étude publiée par le Carrefour santé social, citée par L'Instit'humeurs.
Les Français n'aiment pas les maths
"Une matière qui peut inspirer le rejet." Pour avoir des profs de maths, il faut déjà compter sur des passionnés de la discipline. Or, avec les cours d'allemand, ceux de maths font souvent partie des pires souvenirs de classe des Français.
C'est ce que montre le film d'Olivier Peyron, Comment j'ai détesté les maths, sorti en 2013. "Je me suis interrogé sur le rejet que pouvait inspirer cette matière. C'est tout de même la seule discipline pour laquelle les gens n'ont pas honte de dire qu'ils sont nuls. Et certains en éprouvent même une sorte de fierté", raconte le réalisateur au quotidien La Croix.
Dans le bas des classements internationaux. Ce désamour des Français pour les mathématiques n'est pas qu'une impression ou une idée reçue. D'après une vaste enquête menée dans 24 pays, et publiée en octobre 2013, notre capacité à utiliser des compétences numériques et mathématiques, la "numératie", est une des "plus basses" des pays évalués.
Ce constat a été conforté, en partie, par le classement Pisa (lien PDF) publié en décembre 2013, après une étude conduite, en 2012, dans 61 pays. Cela est à relativiser, a relevé notre blog L'Instit'humeurs : "Si on compare les résultats des élèves français à Pisa 2012 avec ceux de Pisa 2009, on s'aperçoit que les scores sont stables depuis 2006 en maths (496 points contre 495 en 2012)."
Mais, de façon paradoxale, les chercheurs français excellent dans les mathématiques. L'Hexagone compte 11 lauréats de la médaille Fields (considérée comme le Nobel de mathématiques) sur un total de 50, et se place juste derrière les Etats-Unis.
Ceux qui veulent faire des maths ne passent pas le Capes
Classes préparatoires. Devenir prof de mathématiques n'est pas une évidence. Même pour un "matheux". "Lorsqu'un élève décide qu'il va passer une partie de sa vie dans les mathématiques, il s'oriente rarement vers la voie universitaire qui mène au Capes, explique Etienne Ghys, mathématicien et directeur de recherche au CNRS, contacté par francetv info. Il fait math sup, math spé et intègre une grande école. Il devient ensuite ingénieur ou chercheur avec une carrière bien tracée."
"Etre enseignant, c'est un choix de vie. Il ne suffit pas d'aimer les mathématiques pour être professeur. Il faut aimer les enfants, aimer transmettre, aimer le contact", estime-t-il. Un point de vue partagé par Bernard Egger, président de l'association des professeurs de mathématiques : "Avant, les personnes qui devenaient professeurs de mathématiques voulaient faire des mathématiques. Maintenant, elles estiment qu'enseigner est un métier à part entière : en plus des compétences liées à la matière, il faut avoir une connaissance des enfants, être davantage dans le relationnel, savoir tenir une classe."
Les sirènes de la finance. Bernard Egger affirme encore rencontrer des jeunes professeurs "très motivés". Mais il explique aussi qu'il est de plus en plus difficile d'en attirer de nouveaux, car d'autres secteurs font les yeux doux aux diplômés en maths. La finance, désormais dominée par les mathématiques, est l'un d'eux. Etienne Ghys confirme que nombre de ses étudiants se dirigent vers "l'économie en général". Mais Bernard Egger indique que la finance séduit même ceux qui ont suivi un cursus universitaire. "Un étudiant titulaire d'un master 2 en maths n'hésite pas beaucoup entre un travail mal payé avec des conditions de travail difficiles et un poste où il est dans un bureau plus tranquille avec un salaire plus conséquent. Et les vacances plus nombreuses dans l'Education nationale ne sont plus un argument qui pèse", explique Bernard Egger.
Mais il se veut rassurant sur les connaissances en mathématiques des enseignants actuels. "Ce ne sont pas des sous-profs, lance-t-il. Avec la mastérisation, ils ont un niveau bac+5 : ils ont une excellente maîtrise de la discipline puisqu'ils sont, malheureusement, principalement jugés sur ce critère. Les postes ne sont pas bradés. Si cela avait été le cas, il n'y aurait pas de risque de pénurie."
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